Les clés économiques pour comprendre la situation. En 2008 et la crise des Subprimes, la production de richesse européenne était de 10,36% supérieure à celle des États-Unis alors qu’en 2023 elle était de 48,77% inférieure. De 2008 à 2023, le PIB des États-Unis a augmenté de 84,83% celui de la Chine de 287,58%. En même temps, le PIB de l’Union européenne était de 12,58% (mesuré en dollar courant) soit en moyenne 0,79% par an (source Banque mondiale).
Les conflits économiques des États-Unis avec le Japon, la Chine et l’Europe.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont été, en tant que superpuissance démocratique, le moteur de l’économie internationale. Mais au milieu des années 1980, sous la présidence Reagan, ils ont eu leur première peur. Le Japon, un pays sans défense et protégé par les Américains, est sur le point de devenir la première puissance économique et technologique. En avril 1987, les USA imposent 100% des droits de douane sur certaines importations japonaises, dont l’acier, les voitures… Ils négocient plusieurs accords dans lesquels le Japon accepte de limiter ses exportations. En 1989, la crise immobilière et financière, conséquence des approches américaines coercitives, freine le dynamisme économique japonais et la menace japonaise disparait progressivement du continent américain. Les États-Unis ont ainsi forcé le Japon à transformer son modèle de croissance pour protéger les producteurs américains.
Entre le Reaganomics à la Trumponomics, il y a un fossé. Arrivé au pouvoir en 1981, le Président Reagan, tout en minant l’économie japonaise, a pris plusieurs décisions pour lutter contre une longue période de croissance économique lente (le cas actuel de l’Europe) : réduction des dépenses publiques, réduction des impôts, réduction de la réglementation et ralentissement de la croissance de la masse monétaire pour contrôler l’inflation. Il s’est efforcé de remodeler l’économie américaine par le biais d’une économie libre et du libre-échange. L’approche de Trump dans son premier mandat a suivi en grande partie la tradition de Reagan. Sa principale réalisation législative a été une réduction d’impôt sévère qui n’a pas stimulé l’investissement industriel. Dans son nouveau mandat, le Président Trump utilise une politique interne nationaliste et populiste autoritaire. Pour ses alliés la politique économique adoptée est celle d’un colonialisme financier.
Le conflit économique entre les États-Unis et la Chine diffère des attaques économiques américaines contre les Japonais. L’objectif des États-Unis est de réduire le développement de la Chine, de rééquilibrer les échanges commerciaux en taxant les importations. Ils souhaitent limiter l’accès des entreprises chinoises au marché financier américain et protéger leurs multinationales. Actuellement, la Chine cherche à retrouver la confiance des investisseurs européens.
La Guerre froide intervenue entre les États-Unis et l’Union soviétique ne reposait pas sur un conflit commercial, mais plutôt sur une compétition militaire et spatiale. Aujourd’hui le rapprochement entre la Russie et le gouvernement américain est favorable aux deux parties avec deux économies vacillantes. La Russie est structurellement affaiblie et l’économie des États-Unis en perte de vitesse.
La mondialisation renforce la puissance de la Chine et de l’Europe. En revanche, l’Europe est une proie plus aisée, plus divisée, avec une défense qui n’est rien sans l’OTAN. Les succès de l’Europe dans les secteurs de l’automobile, de l’acier, des semiconducteurs et aujourd’hui l’industrie pharmaceutique sont encore désignés comme la cause de la désindustrialisons des États-Unis.
L’Europe a été une alliée américaine de longue date sur la base de valeurs partagées et d’intérêts démocratiques communs. L’Europe entretient également d’importantes relations économiques avec la Chine centrées sur le commerce et l’investissement. Face aux menaces américaines, la Chine se tourne vers l’Europe et est prête à trouver des accords sur tous les produits stratégiques. L’UE a conclu plus de 40 accords avec plus de 70 pays et régions (accords de partenariat économique, libre-échange, accords d’association). Elle se trouve à la croisée des chemins alors qu’elle a une guerre à ses portes et un désengagement de son principal allié militaire. L’approche de Trump 1.0 était relativement ciblée en concentrant son attention sur l’acier et l’aluminium et sur le secteur automobile. L’approche de Trump 2.0 est un protectionnisme généralisé et aveugle (exemple la guerre contre les programmes DEI promouvant la diversité, l’équité, et l’inclusion, etc.).
Le choix de l’Europe est simple, comment protéger l’ordre international fondé sur des règles ; établir des relations commerciales saines tout en maintenant l’ordre international ; s’armer pour se protéger contre les oligarques des temps modernes (États-Unis, Chine, Russie, etc.) tout en créant la sécurité, l’élargissement et une prospérité durable.
Avec l’expérience japonaise et chinoise, l’administration américaine met en place les mêmes décisions ou lois déjà utilisées, mais modernisées à l’encontre de l’Europe considérée comme une nouvelle menace économique pour les États-Unis.
L’Europe après le Japon, la Chine, le Canada, etc., n’a pas échappé aux hausses des droits de douanes (acier, voitures, …). D’après le Président américain, l’Union européenne a été “formée pour tirer parti des États-Unis“. Trump 2.0 a oublié que la crise financière américaine de 2008 a entraîné une augmentation de la dette publique d’environ 4,8% du PIB dans la zone euro. L’Europe a mis 10 ans pour absorber cette crise, etc.
Les tensions entre les États-Unis et la Chine ainsi que le rapprochement entre les États-Unis et la Russie sont une opportunité : l’UE pourrait devenir la deuxième grande puissance mondiale si elle sait négocier les ententes avec les autres pays démocratiques tels que la Grande-Bretagne, le Canada, Nouvelle-Zélande, l’Australie, etc.
La situation pour l’Europe n’est pas la même que celle du Japon dans les années 1980 et l’économie américaine est sous forte pression : une population américaine de plus en plus inquiète, la confiance des consommateurs chute et les marchés financiers ne sont pas en reste… 3 bulles financières guettent la population américaine. Des plans et lois anti-immigration, anti-bureaucratie, anti-diversité, anti-woke et anti-LGBT font leurs apparitions… Avec l’autoritarisme et l’ultra conservatisme, les États-Unis ne sont pas sûrs de gagner la guerre en interne, en Ukraine, à Gaza, ni la guerre commerciale contre les autres pays développés.
Face à une Amérique imprévisible, l’UE doit revoir ses priorités, ses investissements, ses structures, ses stratégies, etc. Elle doit investir massivement pour une plus forte croissance qui permettra à chaque État européen de financer sa sécurité par son propre budget dans le cadre d’une zone européenne de défense au lieu de proposer une grande facilité d’emprunts.
De nouvelles zones intra-européennes. L’Europe est devenue trop grande et hétérogène. Le vote à l’unanimité bloque les grandes décisions. Comme en 1951, il est préférable de démarrer en aménageant de nouvelles zones intra-européennes : Communauté européenne de la défense (CED), etc. Il y a déjà un précédent d’une entité intra-européenne : la zone euro.
Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui découle du traité de Lisbonne doit être adapté. “Ce traité a été engagé à la suite du résultat négatif de deux référendums sur le traité constitutionnel tenus en mai et juin 2005“. Il a cherché à réformer un modèle néolibéral par un mouvement de réformes structurelles (santé, retraite, chômage, etc.). Le modèle économique européen est à la poursuite des États-Unis, les partis d’extrême droite et le populisme ont le vent en poupe et soutenus par les dirigeants américains… aujourd’hui il faut changer de physiologie.
Depuis 1945, il reste 7 travaux plus que jamais nécessaires à finaliser : l’Europe de la défense, l’harmonisation fiscale des sociétés, le marché des capitaux, la TVA financière, les critères de convergences, l’euro numérique et la taxation des transactions financières.
Financer des nouveaux projets par des fonds en euro numérique. Un prêt direct de la BCE aux États européens est interdit par les traités européens relatifs à la Banque centrale. La BCE accélère l’euro numérique et souhaite le lancer en octobre 2025. Il suffit qu’elle accepte une fraction des épargnes des ménages en euro numérique sur des fonds spécialisés et son passif va automatiquement augmenter. Ce passif pourra servir à financer des projets communs en Europe. La BCE pourra adopter des monnaies numériques pour l’énergie, pour la santé, etc.
Création de produits d’épargne européens. Les taux d’épargne des ménages remontent en Europe avec 14,8% pour le deuxième trimestre 2024 (environ 35 500 milliards d’euros). Une grande partie de cette épargne est “exportée” en dehors de la zone euro tandis que les États et les entreprises européennes se procurent une grande fraction de leurs emprunts auprès d’investisseurs non-résidents. Il faut donc repenser totalement la manière de relier en Europe l’épargne et l’investissement. L’épargne des Européens doit financer la croissance européenne. Les demandes de liquidités pour la défense, l’IA, l’énergie, etc., vont créer des risques de stabilité et manque de liquidité. Une grande partie de cette épargnée doit être dirigée immédiatement vers des investissements productifs dans la transition écologique, etc.
Réindustrialisation et création de 15 millions de nouvelles petites entreprises locales financées par des Caisses de crédit public. Tous les pays européens doivent avoir, comme l’Allemagne, des Caisses de crédit public en plus des Banques commerciales privées et des Banques coopératives. Ces caisses emprunteraient directement à la BCE pour financer les fonds propres ou faire des crédits d’investissements aux PME et ETI. L’Allemagne a adopté le «Mittelstand» qui est la principale force de l’économie allemande avec 3,5 millions d’entreprises familiales innovantes. La France a choisi de développer des champions nationaux cotés en Bourse, vont-ils tourner le dos à l’Europe ? Dans ce cas et pour les entreprises qui choisissent un cadre purement fiscal, un « Exit Tax » est nécessaire en conformité avec le droit de l’UE.
L’Europe doit équilibrer sa politique de l’offre. À garder pour les entreprises européennes les subventions pour la recherche et le développent, pour l’investissement immatériel en capital (c’est-à-dire la propriété intellectuelle, la R&D, les logiciels, la technologie, le capital humain…), pour un budget total dépassant les 3% du PIB et allant jusqu’à 4,5% à 5%. Les subventions doivent être en proportion du chiffre d’affaires réalisé en Europe. L’UE doit être prête à accueillir les chercheurs venant des États-Unis. Il est primordial de supprimer les aides directes et les remplacer par des capitaux-investissement.
L’Europe doit maitriser sa monnaie. Le taux de change de l’euro en USD est influencé par un réseau de forces économiques, des politiques des banques centrales aux tensions commerciales mondiales… Dans le cadre d’une guerre commerciale, le rôle de la BCE est important pour maitriser un taux de change faible (pour contrepeser les droits de douanes élevés) par rapport au dollar. Les déséquilibres commerciaux, les droits de douane et les sanctions peuvent influencer la demande pour chaque monnaie. En général, un excédent commercial dans la zone euro c.à.d. l’Europe exporte plus vers les États-Unis qu’elle n’importe ceci peut affaiblir le dollar, tandis que les droits de douane commerciaux américains pourraient le renforcer… Dans tous les cas l’Europe subira une chute de croissance. Il faut un protectionnisme européen de force capable de frapper en profondeur les pressions américaines.
Des idées pour des nouvelles ressources pour l’Europe :
- établir un taux d’imposition légal en Europe sur les sociétés de 15% dont 5% au profit de l’UE (revenus pour les États à compenser par une taxe sur le numérique et bancaire) ;
- établir une règle générale d’imposition des plus-values des cryptomonnaies en Europe à 50% sans aucunes exonérations, dont 10% au profit du budget de l’UE ;
- appliquer une taxe sur les rachats d’actions et impôts sur les dividendes en Europe de 35% avec 5% au profit de l’UE ;
- introduire une taxe d’accise européenne (importation de charbon, carburant pour les avions, matières dangereuses, etc.) ;
- établir une taxation européenne sur les ultrariches (type taxe Zucman) :
- …
Il faut préparer l’avenir et le remboursement de la dette de la pandémie (NextGenerationEU) de 2028 à 2058.
Faut-il encore investir aux États-Unis ? Une grande majorité des oligarques modernes américains ou russes, préfèrent investir et vivre en Europe. Les familles les plus riches du monde adaptent leurs stratégies d’investissement. Il y a une évolution importante vers les obligations et autres produits à revenu fixe émises par les pays développés… À la suite de la victoire de Trump 2.0, les milliardaires américains ont perdu en 8 semaines 400 milliards de dollars. Tous les investisseurs européens dans l’énergie propre aux États-Unis (l’IRA l’Inflation Reduction Act du Président Biden) sont maintenant obsédés par les nouvelles mesures en faveur des combustibles fossiles et si Trump 3.0 ou J.D. Vance succédé à Trump 2.0 ?
Il faut une économie saine pour éviter les conflits (FMI) et une économie écologique, sociale et citoyenne pour sortir crises.
Gabriel Gaspard