Le 5 mai dernier, le gouvernement lançait une concertation nationale sur le financement des mobilités. L’initiative est salutaire, car derrière les grands objectifs de transition et d’aménagement, une question déterminante reste souvent implicite : avec quels outils, quels moyens, quelle ingénierie financière accompagner la montée en puissance de transports collectifs efficaces, propres et innovants ? Pour le ferroviaire, un levier reste largement ignoré en France : la location de matériel roulant. Il est temps d’ouvrir le débat.
Le fret européen, précurseur discret d’un modèle vertueux pour les trains du quotidien
À l’instar des secteurs routier et aéronautique, la location de matériel — ou leasing opérationnel — n’est ni un pari ni une expérimentation. C’est un modèle solide, éprouvé partout en Europe pour financer aussi bien des locomotives et wagons de marchandises, que, dans plusieurs pays en tout cas, des trains du quotidien. Aujourd’hui, depuis 10 ans, plus de la moitié des locomotives européennes ont été acquises par des loueurs. En Allemagne, entre 2020 et 2024, près de deux milliards d’euros de trains neufs ont été acquis par des loueurs pour le transport de voyageurs — y compris pour le compte de l’opérateur national, la Deutsche Bahn. Partout où il est déployé, le leasing a démontré son efficacité pour moderniser les flottes, développer l’offre, maîtriser les coûts et stimuler l’innovation industrielle.
Pourquoi ce qui fonctionne ailleurs ne fonctionnerait-il pas en France?
Aujourd’hui, les régions acquièrent des trains, délèguent la gestion du matériel à la SNCF, et assument l’ensemble des risques financiers et opérationnels pendant toute la vie en train, soit pour plus de trente ans. Elles se retrouvent liées sur de très longues durées, sans agilité. Parce que les régions et l’État font face à des enjeux majeurs pour moderniser et développer l’offre de transport, ne pas considérer la location de matériel roulant serait une occasion manquée.
Le leasing est un dispositif très protecteur du denier public : plutôt que de financer 100 % de l’acquisition du train, il permet de limiter l’engagement sur la seule durée de location (8 à 15 ans). Par ailleurs, il sécurise le financement des opérations de maintenance lourde, type révision à mi-vie, par des engagements contractuels transparents entre le loueur, l’opérateur et la région. La location est un mécanisme très concret pour répondre au besoin des régions et impliquer les investisseurs privés dans la transition ferroviaire, sans alourdir la dette publique : ce sont plusieurs milliards d’euros qui pourraient être mobilisés par des loueurs du secteur ferroviaire pour renforcer la mobilité du quotidien.
Louer, innover, développer
Le leasing opérationnel, au-delà de ses vertus budgétaires et de la flexibilité de gestion qu’il apporte, est un puissant levier d’innovation et de performance. Il permet d’accélérer les investissements dans des technologies de pointe et vertueuses pour la transition écologique — trains transfrontaliers, plus capacitaire ou hybrides à batterie — et de sonner le glas du diesel. Les régions portent, au quotidien, l’effort de la transition sur leurs territoires : ne pas leur donner accès à une solution qui pourrait accélérer cette mutation relève moins d’un choix que d’un blocage.
Et ce n’est pas tout. Ce modèle s’appuie sur un écosystème d’acteurs industriels dans le domaine de l’ingénierie, de la maintenance des équipements et des matériels. Le marché de la location de trains peut participer à l’émergence d’un tissu de PME et ETI françaises qui, au travers de plus de concurrence, d’innovation et d’une saine émulation, permettra de diminuer les coûts d’exploitation tout en améliorant la qualité du service et en contribuant à la transition écologique. Il faut voir la location comme un catalyseur de cette dynamique : on renforce la souveraineté industrielle tout en répondant aux enjeux de mobilité et de durabilité.
Ouvrir le débat du leasing ferroviaire
La France ne part pas de zéro. Elle dispose de champions industriels capables et désireux de contribuer à un nouveau modèle de financement du rail, plus ouvert et plus agile. Disons-le clairement : le financement des mobilités ne peut plus reposer exclusivement sur la puissance publique. Il doit s’ouvrir à une diversité de modèles et de partenaires, comme c’est déjà le cas dans d’autres secteurs. Il n’est pas question de privatiser l’ensemble du secteur, ou d’imposer aux acteurs en place un financement privé des trains. Il s’agit simplement d’élargir le champ des possibles, d’intégrer au débat une solution éprouvée, pragmatique, qui peut aider la France à tenir ses ambitions : renforcer l’offre, accélérer la transition, maîtriser les coûts.
Refuser d’en discuter, c’est s’interdire d’innover
C’est laisser passer sa chance, au nom d’un réflexe de conservation. À l’heure où l’investissement public doit être mieux ciblé, où chaque euro dépensé doit avoir un impact positif, nous ne pouvons pas nous permettre de négliger un levier aussi concret, aussi opérationnel, aussi immédiatement mobilisable. Ouvrir le débat sur le leasing ferroviaire, c’est refuser l’immobilisme — et choisir d’agir !
(*) Fabien Rochefort est ingénieur et titulaire d’un Master de Management général. Il a une longue expérience dans le domaine du transport ferroviaire et de l’exploitation du réseau. Il crée en 2008 Akiem, aujourd’hui leader européen de la location de locomotives et de trains. Il est, depuis 2021, Président de AERRL (Association of European Rail Rolling stock Lessors).
Fabien Rochefort