Alors que les tensions entre Israël et l’Iran ont atteint de nouveaux sommets ces dernières semaines, nombreux sont ceux qui redoutent une bascule vers une confrontation militaire directe intense et incontrôlable. Le concept de guerre est évolutif et le retour à la négociation peut survenir aussi rapidement. Les derniers échanges entre Tel-Aviv et Téhéran sont probablement du jamais vu, mais chaque pays, s’il sait ce qu’il pourrait faiblement gagner, sait surtout ce qu’il peut perdre. Tel-Aviv est déjà parvenu à reculer de 4 ans l’aboutissement du programme nucléaire militaire iranien. Et chacun craint vraiment le pire, les Israéliens comme les Iraniens. Les morts se multiplient depuis plusieurs jours, mais va-t-on pour autant basculer dans un conflit sans fin ? Pas sûr.
La tendance générale est de croire à un risque majeur d’embrasement. Pourtant, depuis des années, chaque acteur du Moyen-Orient se positionne ou se repositionne et aucun conflit d’envergure entre deux d’entre eux n’a eu lieu. L’Iran et l’Arabie Saoudite se sont même « réconciliés », c’est dire et récemment Mohamed Ben Salmane a même condamné l’attaque d’un « pays frère » par l’État hébreu. La loi historique devrait nous faire nous ranger derrière un apaisement dans les jours à venir. Malgré l’escalade verbale, les frappes militaires ciblées, l’assassinat de pontes du régime et les mises en garde des deux côtés, une guerre totale entre l’État hébreu et la République islamique reste peu probable. Trois facteurs peuvent à ce stade l’expliquer : le pragmatisme stratégique des deux camps, les limites opérationnelles d’un conflit régional ouvert, et l’influence des puissances tierces.
Une hostilité ancienne, mais balisée
Le conflit entre Israël et l’Iran ne date pas d’hier. Depuis la révolution islamique de 1979, la rhétorique iranienne antisioniste et la perception par Israël d’une menace existentielle ont nourri un climat de confrontation permanente. Natanyahou en a fait son cheval de bataille depuis des années. Pourtant, malgré des épisodes de forte tension — frappes israéliennes sur des positions iraniennes en Syrie, attaques cybernétiques, sabotages nucléaires présumés — aucun des deux États n’a franchi le seuil d’un affrontement direct à grande échelle.
Ce n’est pas par hasard. Chaque action est calibrée, chaque provocation mesurée. Les dirigeants israéliens comme iraniens savent que l’ouverture d’un véritable front bilatéral impliquerait des pertes majeures, un isolement diplomatique accru, et une instabilité régionale incontrôlable. L’équilibre de la terreur reste, en quelque sorte, le mode opératoire de cette rivalité stratégique.
Un Iran affaibli sans le Hamas et le Hezbollah
Malgré sa supériorité technologique et sa capacité de frappe rapide, Israël savait il y a encore quelques mois que l’Iran disposait d’un réseau d’alliés armés dans la région — du Hezbollah au Yémen en passant par Gaza — qui pouvaient riposter de manière asymétrique. Aujourd’hui, la donne a changé avec l’élimination provisoire de ses « proxis ». Une guerre ouverte exposerait le territoire israélien à des frappes multiples et ferait basculer l’ensemble du Moyen-Orient dans un engrenage incontrôlable. Tout à ce stade est mesuré, les représailles iraniennes également sur Tel-Aviv ces dernières heures.
Du côté iranien, malgré sa puissance régionale, le régime est affaibli par une situation économique fragile, des troubles sociaux latents et une légitimité intérieure de plus en plus contestée. Une guerre contre Israël, appuyée militairement par les États-Unis, pourrait menacer la survie du régime lui-même. Le régime actuel de Téhéran a tout à perdre. Dans ce contexte, les deux puissances préfèrent agir dans l’ombre, par procuration, en évitant soigneusement de franchir le point de non-retour.
Le rôle de la dissuasion américaine et du calcul global
Les États-Unis, bien que souvent perçus comme alignés sur Israël, jouent un rôle clé dans la prévention d’une guerre totale. Certes, Donald Trump n’a pas été très efficace dans ses négociations depuis son retour à la Maison-Blanche. Pas plus sur le dossier iranien après 60 jours. Le 13 juin dernier, c’était le 61e jour. Averti par Netanyahou des frappes à venir, il s’est finalement rangé derrière le Premier ministre israélien, renforçant un peu plus encore sa position de chef de guerre, soutenu par l’union sacrée en Israël malgré les critiques violentes à son égard.
Après l’annonce de la publication prochaine d’un nouveau rapport de l’AIEA critique de l’Iran, annonçant que Téhéran était sur le point d’atteindre le fameux seuil d’enrichissement du nucléaire, pouvant lui permettre d’accéder au nucléaire militaire, Israël avait les mains libres pour frapper les cibles nucléaires. Dans les jours à venir, le dialogue va se poursuivre. D’ailleurs les discussions prévues dimanche 15 juin entre les États-Unis et l’Iran étaient à ce jour toujours maintenues. Washington a tout intérêt à éviter une déflagration régionale qui compromettrait ses positions dans le Golfe, ferait flamber les prix du pétrole et ouvrirait la voie à une intervention chinoise ou russe plus visible au Moyen-Orient.
(*) Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS (Bruxelles), associé au Cnam Paris (équipe Sécurité Défense), à l’Institut d’études de géopolitique appliquée (IÉGA Paris), au Nordic Center for Conflict Transformation (NCCT Stockholm) et à l’Observatoire géostratégique de Genève (Suisse).
Sébastien Boussois