Les électeurs MAGA applaudissent à ce qui est présenté comme la lutte résolue contre l’antisémitisme et le risque terroriste, mais les démocrates critiquent le stress test auquel le 47e président des États-Unis soumet les libertés publiques et les institutions tandis que, au lendemain de Pourim qui commémore l’héroïne Esther, des voix juives s’inquiètent de l’effet, en réalité néfaste, de cette répression qui, loin de réduire l’antisémitisme, va aggraver l’hostilité à l’égard du peuple juif assimilé au bellicisme de Netanyahu.
Des voix chrétiennes s’élèvent pour dénoncer une instrumentalisation du terrorisme islamiste pour promouvoir une théocratie américaine chrétienne et appellent à l’œcuménisme. Les musulmans américains qui avaient refusé de soutenir Kamala Harris peuvent aujourd’hui regretter leur vote « non engagé », c.-à-d. blanc. La propagande populiste de Trump participe des grandes peurs, celle de la « grande submersion », du « grand remplacement », « de l’ennemi de l’intérieur » instrumentalisés en France également.
La chasse aux militants propalestiniens est ouverte
L’arrestation le 8 mars 2025 de Mahmoud Khalil, étudiant de Columbia, sa déchéance de sa carte verte, sa déportation et son emprisonnement en invoquant The Immigration and Nationality Act de 1952 une expulsion déclaré illégale, marque le lancement du « Plan Esther ». Trump se félicitant de l’arrestation de Mahmoud Khalil, en a promis d’autres à venir et a ajouté le chantage à la suppression des subventions fédérales de Columbia puis d’Harvard tandis que Barak Obama, ancien d’Harvard, appelle les universités à résister même au prix de leurs finances, mais celles-ci cèdent les unes après les autres.
Terroriser les immigrés en situation irrégulière
L’expulsion des militants propalestiniens participe d’un plan global : terroriser les émigrés en situation irrégulières pour dissuader les candidats à l’immigration. L’Executive Order (EO) The White House, 20/01/2025 déclare l’état d’urgence à la frontière sud, mexicaine, « attaquée par les cartels, des terroristes notoires, des trafiquants d’êtres humains, des narco-trafiquants, des déserteurs, des contrebandiers ».
Opération Aurora de rafle des gangs vénézuéliens et législation de temps de guerre
The Alien Enemies Act de 1798 fut invoquée pour déporter 140 détenus du cartel vénézuélien Tren de Aragua, en urgence absolue, sans audience préalable et ce en contrevenant à une décision judiciaire, une rafle annoncée par Trump dès octobre 2024 comme « Opération Aurora » (Colorado).
La perte de la nationalité de citoyens américains jugés suspects
Fermer les frontières et chasser les porteurs de cartes vertes ne suffit pas aux nationalistes extrémistes de The Article III Project aka A3P.org pour qui il faut purger le peuple américain de ses éléments dangereux par des déchéances de nationalité.
The Heritage Fondation
The Heritage Foundation THF est un think tank fer de lance du christianisme évangélique nationaliste, incarné par Paul Weyrich qui fut le maître à penser de Ronald Reagan qui déjà fit campagne sur le slogan « Make America Great Again ». THF prône le retour au “Good Old America” pervertie par la culture Woke, l’arrêt de la Cour suprême Roe vs Wade 410 US 113, les LGBTQ, autant de Sodome et Gomorrhe. Une Amérique profonde, déclassé, déjà minoritaire veut reprendre le pouvoir, par la force si nécessaire, pour restaurer un ordre ancien.
2025 Mandate for Leadership, le vade-mecum des 100 premiers jours du 47ePrésident des États-Unis
2025 Mandate for Leadership le programme de mandature de THF, – « The Plot against America » selon The Nation -, structure les 100 premiers jours du 47e Président qui recrute certains de ses auteurs à des postes clés, notamment Brendan Carr (FCC), Russell Vougth (OMB). Trump envoie la Garde nationale à la frontière sud, ce qui est l’exacte recommandation de 2025 Mandate for Leadership, p.255 qui appelait à l’ « usage des personnels militaires et de la Garde nationale pour procéder aux arrestations à la frontière ».
Le « Projet Esther », un plan ourdi par The Heritage Foundation
Le PROJECT ESTHER A National Strategy to Combat Antisemitism National Task Force to Combat Antisemitism, une contremesure au Plan de lutte de mai 2023 de l’administration Biden, est un document bref, 33 pages, qui fut publié par THF à une date symbolique : un an jour pour jour après l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre 2024. Il recommande que le gouvernement fédéral américain concentre son attention sur les groupes d’hostilité virulente à l’égard d’Israël, ceux antisionistes et anti-américains qu’il désigne comme « Hamas Support Network » aka HSN, qu’il assimile au German American Bund, en allemand Amerikadeutscher (Volks)Bund Bund germano-américain aka AV, un Bund (alliance) prônant le rapprochement des États-Unis avec l’Allemagne nazie dénonçant Frank Delano Roosevelt « Frank D. Rosenfeld » et le New Deal.
Le plan appelle à l’emploi des lois contre le terrorisme et la réglementation sur l’immigration, ainsi que le recours à la loi anti-mafia RICO (Racketeer Influences and Corrupt Organisations) contre les leaders du HSN ainsi que contre Jewish Voice for Peace et Students for Justice in Palestine mais encore contre des organisations progressistes comme Tides.org et le Rockefeller Brothers Fund.
Seule l’ultra-conservatrice Coalition for Jewish Values se réclame du Projet Esther. Christians United for Israel (CUFI) un groupe de chrétiens évangélistes sionistes a récusé toute contribution Jewish Insider tandis que six organisations de chrétiens évangélistes publient leur contribution au Projet Esther au motif que les chrétiens doivent être solidaires des Juifs exposés à l’antisémitisme islamique, car ils sont, à terme, tout aussi menacés « First the Saturday People, then the Sunday People ».
Forward qualifie le plan d’ « antisémitique » en citant l’un de ses contributeurs The America First Policy Institute (AFPI). Les organisations juives reprochent au Plan Esther de ne mettre au pilori que l’antisémitisme islamiste du Hamas et de dénier celui de l’extrême droite, celui des Patriots, zélateurs de Trump et insurgés ayant attaqué le Capitole, amnistiés par Trump, qui arborent toujours des drapeaux nazis sur X 14/10/2024 -. Le Projet Esther (p.15-16) accuse les organisations juives de complaisance-, et compare son combat à la lutte contre le Ku Klux Klan et contre Al Quaida après le 11 septembre.
Instrumentalisation et détournement de l’héroïne biblique Esther, icône des libéraux américainsetdu christianisme nationaliste américain
La reine Esther est un modèle invoqué tant par les progressistes américains que par les chrétiens nationalistes, car « Même dans les temps les plus sombres, son histoire suggère que l’espoir viendra des endroits les plus inattendus et même d’une orpheline » ce qui en fait une héroïne pour les soutiens que pour les opposants à l’arrêt Roe vs Wade qui légalise le droit à l’avortement.
Sojourner Truth (1797-1883), prédicatrice évangéliste noire, ancienne esclave, prenait exemple sur Esther dans sa lutte pour les droits des femmes et les droits civiques. Hillary Clinton, lors de sa campagne présidentielle de 2008, a cité l’histoire d’Esther parmi ses préférées. D’éminents pasteurs noirs ont utilisé son histoire pour galvaniser le soutien à la vice-présidente Kamala Harris, dans sa campagne pour la Maison-Blanche.
À l’inverse, la volonté du Texas d’imposer l’enseignement de la Bible et obliger à l’étude du Livre d’Esther, revu et corrigé par les manuels texans d’éducation religieuse du Bluebonnet Learning, a soulevé l’opposition de chrétiens et de juifs comme la marche contre les libertés des femmes organisée organisée lors du Yom Kippour, la fête juive de purification collective des péchés que l’on rejette sur le bouc émissaire, en l’espèce, le Hamas, tout un symbole ! par la pasteure évangéliste Dehavilland Ford est une autre illustration de l’instrumentalisation évangéliste d’Esther.
Le vrai sens du Livre d’Esther et du Pourim
Car si en cette occasion tu persistes à te taire, soulagement et délivrance surgiront pour les Juifs d’un autre endroit, tandis que toi et ta famille vous serez anéantis. Or, qui sait ? Si c’était pour une occasion comme celle-ci que tu es arrivée à la royauté… ? » Livre d’Esther 4,14
Il y a une tragique ironie dans la dénomination comme Plan Esther par le THF des rafles indiscriminées de résidents américains au motif d’un soutien aux Palestiniens de Gaza. Faire ainsi référence au pogrome biblique est une manipulation épouvantable de l’histoire biblique et de l’histoire de l’antisémitisme.
Le Livre d’Esther raconte comment l’extermination du peuple juif, ourdi par Haman, le conseiller du roi Assuérus, fut déjouée par Esther, une orpheline vierge, qui avait été raflée pour le harem royal. Assuérus tombe amoureux d’Esther, détrône la reine en titre Vashti et, sur l’intercession audacieuse d’Esther, fait mettre à mort l’infâme Haman. Mardochée, l’oncle d’Esther devient alors le conseiller du roi Assuérus, celui qui, historiquement, autorisa le peuple juif qui le souhaitait, à revenir de sa déportation à Babylone par Nabuchodonosor. Les Juifs célèbrent cette heureuse issue, célèbrent Esther et moquent Haman à grand renfort de crécelles. Hitler fut pour les Juifs un nouvel Haman. Quelques instants avant d’être pendu, Julius Streicher s’exclama « C’est Purim 1941 ».
Un stress test des institutions américaines
La politique anti-migratoire et la répression de l’expression propalestinienne, sous couvert de répression de l’antisémitisme et de protection du Homeland face au risque terroriste, en recourant à des législations d’exception met en péril plusieurs piliers de l’ordre juridique américain : la tolérance religieuse et la neutralité religieuse de l’Etat fédéral par la promotion d’une théocratie chrétienne évangéliste, celle des émeutiers du 6 janvier 2020, la répression de l’expression politique contrairement au 1er amendement et en contradiction avec le laxisme qui font de X un dégueuloir de tous les complotismes et racismes. L’administration Trump n’exécute pas les jugements fédéraux dans l’espoir d’un blanc-seing de la Cour suprême sur le recours à des lois d’exception pari en passe d’être gagné.
Les ferments antisémites de la droite nationaliste chrétienne américaine
« Le nationalisme chrétien teinte de ferveur religieuse l’activisme d’extrême droite » formule Graves-Fitzsimmons de Christians against Christian Nationalism. Pour Bradley Onishi, animateur de Straight White American Jesus, Podcast et auteur de Preparing for War. The Extremist History of White Christian Nationalism, les théories conspirationnistes et un mépris pour le peuple juif sont intrinsèques à ce mouvement.
Le Christianisme nationaliste ne vise pas tant la conversion au Christianisme que ce que C. Peter Wagner, l’un de ses pères fondateurs, appelait « The Seven Montain Mandate » placer la foi chrétienne au cœur des sept sphères de la vie américaine : la famille, la religion, l’éducation, les médias, l’art, le divertissement, l’économie et le gouvernement (Invading Babylon: The Seven Mountain Mandate 2013 ), une vision dont l’origine historique est à rechercher dans la campagne de Barry Goldwater en 1964 sur « Dieu, la nation et la liberté », « la Sainte Trinité du nationalisme chrétien » selon Onishi, une conviction largement partagée par les supporters chrétiens nationalistes de Trump.
Le nationalisme chrétien est le fer de lance de l’angoisse existentielle d’une population blanche qui se sait condamnée à devenir minoritaire, tentant de reprendre, par la force, le pouvoir dans la sphère politique et sociale, une menace pour les institutions et pour toutes les religions, un ferment d’antisémitisme au prétexte d’une guerre sainte contre l’antisémitisme et le terrorisme islamiste. Pour le Christianisme nationaliste, les É.-U. sont une nation dont les fondements sont chrétiens et c’est la perte des valeurs chrétiennes qui est la cause du déclin américain dont la puissance retrouvée passe par la promotion active, obligatoire, de ces valeurs dans la sphère publique et privée.
Une phraséologie nauséabonde à relents racistes et suprématistes
Cette détestation de l’antisémitisme islamiste n’est pas l’amour des Juifs, c’est une haine de l’autre, aujourd’hui de l’Arabe, demain du Juif, déjà du Démocrate.
La diabolisation de l’étranger – La chasse au faciès par la propagande la plus aberrante comme celle des Haïtiens mangeurs de chats, le Springfield Pet-eating Hoax a des résonances terribles avec l’antijudaïsme chrétien ayant nourri l’antisémitisme moderne .
L’ « ennemi de l’intérieur ». Trump dénonce comme tel Adam Schiff, Rep. D de Californie, coupable à ses yeux, d’avoir dirigé son impeachment le 18/12/2019 par la Chambre des représentants.
Hussein Obama. Trump polémiqua en 2008 sur la nationalité américaine de Barak Obama.
La « vermine » et le « mauvais sang » qui menace l’Amérique. Trump déclare que les immigrants meurtriers propageaient de « mauvais gènes » dans le pays, que leur « mauvais sang empoisonne celui américain ». Trump qualifie de « vermine » ses ennemis politiques. Joe Biden déclarera que le mot « vermine » avait un relent nazi tant il évoque l’épouvantable carricature de FIPS du Juif comme un Giftpiltz, un champignon toxique, dans le livre d’éducation pour les enfants, publié par Der Stürmer la maison d’édition de Julius Streicher , un des plus ignobles compagnons de route d’Hitler, adulé par Unity Walkyrie Mitford, la petite nièce de Churchill, qui prit le thé jusqu’en 1940 avec ‘Wolfie’ (Hitler) .
La déportation. « Je vais mettre fin à la politique de frontières ouvertes de Biden, mettre fin à l’invasion de notre frontière au sud et engager la plus large déportation domestique de notre histoire » promet le candidat Trump le 21 décembre 2023.
Trump, nouveau Jehu
Le roi hébreu Jehu cité par le Livre des Rois (2 R 9-10) pour avoir mis à bas le culte de Baal introduit par l’apostat roi Achab en détruisant son temple et en massacrant ses prêtres. Curieusement, Jehu ne s’attaque pas au culte du veau d’or institué par Jéroboam 1er. Un roi tiré de son presque oubli par le rabbin messianique Jonathan Cahn qui affirma au National Faith Advisory Board NFAB que Trump en était l’incarnation. Que Jehu ait laissé prospérer le culte du veau d’or est un signe divin qui rapproche, il est vrai, Trump et le roi juif.
Trump instaure un service religieux évangéliste à la Maison-Blanche
Une confusion, un détournement des Écritures, une manipulation de la foi chrétienne à des fins partisanes qui sont savamment entretenus par Trump posant en prière dans le Bureau ovale avec la télévangéliste Paula White et annonçant rétablir un office religieux à la Maison-Blanche. Le général de Gaulle avait fait aménager un oratoire privé à l’Élysée, mais ne faisait pas étalage de sa foi, elle, sincère.
Project 2025 véhicule des valeurs non soutenues par la majorité du judaïsme
Trump est plus populaire en Israël que dans la communauté juive américaine dont 79 % des ont voté Harris. Project 2025 veut revenir sur les droits accordés aux LGBTQ+ dont le droit à se marier, un droit soutenu par les Juifs tant réformistes, conservateurs que reconstructionnistes, il bannit l’avortement qui est permis par la loi juive et même prescrit, dans certaines circonstances, pour le bien de la mère.
Trump, nouveau Pharaon
Le Plan Esther, s’alarment des voix juives américaines, ne fera que nourrir l’hostilité à l’égard d’Israël et par extension à l’égard du peuple juif diabolisé comme tout entier soutien de l’extrémisme nationaliste belliciste de Benjamin Netanyahu et du suprématisme israélien du ministre de l’Intérieur Itamar ben Gvir. Soixante-dix rabbins new-yorkais ont écrit à Eric Adams, maire de New York, pour l’ « implorer » de s’opposer à la chasse aux étrangers conduite par Trump qu’ils comparent à Pharaon.
Un projet délétère pour la lutte contre l’antisémitisme
Le syllogisme « Soutien des Palestiniens de Gaza = soutien du Hamas = terroristes = antisémites » est à la base de la propagande trumpienne.
L’antisémitisme instrumentalisé par Trump. De nombreuses voix juives libérales s’élèvent aux États-Unis pour s’inquiéter de l’effet délétère de l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme « Cela ne protégera pas les Juifs. Nous sommes instrumentalisés » déclare ainsi Rabbi Sharon Brous. L’Anti-Defamation League (ADL), après avoir applaudi sans réserve, devant la critique du Washington Post, a révisé sa position, son Président Jonathan Greenblatt déclarant : « Personne ne doit minimiser les actes haineux et violents commis contre des étudiants juifs, mais si nous sacrifions nos libertés constitutionnelles au prétexte de la sécurité, nous sapons les fondations mêmes de la société diverse et plurielle que nous défendons ».
(*) Christophe Stener, Professeur de Géostratégie à l’Université Catholique de l’Ouest et Ancien élève de l’IEP Paris et de l’École Nationale d’Administration.
Christophe Stener