Donald Trump est cohérent avec lui-même et résolu. L’affichage d’Andrew Jackson dans le bureau ovale était bien annonciateur du retour des États-Unis à leur tendance « Jacksonienne » de réalisme froid. Ce n’est pas tant que l’intérêt économique et politique des États-Unis redeviennent la boussole de leur politique internationale, car il n’avait jamais cessé de l’être. Ce qui change c’est son affichage brutal et décomplexé et le renoncement à une présentation policée et paternaliste des relations internationales. Exit la « Pax Americana » sous la douce férule éclairée du bon Oncle Sam. Cette dernière était née de l’affrontement avec l’empire soviétique. Son moyen d’action était le libre-échange et l’OMC. L’enrichissement mutuel via le commerce international et la croissance économique devait extirper les pays de la tentation communiste puis à plus long terme défaire l’Union soviétique via son incapacité à suivre le rythme de croissance économique du bloc de l’ouest.
Depuis son premier mandat en 2017, Trump a fait officiellement de la Chine le nouvel adversaire à défaire. La République Populaire de Chine a vu multiplier son PIB par plus de 100 en 40 ans devenant non seulement la 2e puissance économique mondiale, mais aussi un géant industriel et technologique grâce au commerce international et à l’OMC. Elle est également devenue une puissance militaire à même de défier l’hégémonie des États-Unis dans le Pacifique. Plus inquiétant, les É.-U. sont devenus de plus en plus dépendants des importations chinoises, dans de nombreux secteurs industriels, civils et militaires.
Trump a initié une politique de découplage économique avec la Chine. Le découplage a comme fonction essentielle, comme nous l’avions déjà exposé dans un autre texte, de diminuer le coût économique en cas d’un éventuel conflit entre les deux pays. Ce faisant, cela envoie le signal que les É.-U. sont économiquement prêts à un conflit ouvert, ce qui, en principe, pourrait éviter un tel conflit.
Pendant son premier mandat, Trump avait augmenté fortement les tarifs douaniers et commencé à interdire l’accès à des technologies avancées aux entreprises chinoises. Son premier assaut contre la Chine a été rendu possible par la forte croissance de l’époque qui a compensé l’effet récessif venant de l’augmentation des tarifs douaniers et de la guerre commerciale. L’Administration Biden a maintenu ces tarifs et a appliqué de nouvelles mesures de découplage. Pour son deuxième mandat, Trump poursuit sa stratégie de découplage économique avec un nouveau round d’augmentation des tarifs douaniers contre la Chine de – 20% de plus sur l’ensemble des produits importés et devrait utiliser tout son poids politique pour que d’autres pays poursuivent la même politique d’isolement de la Chine, au mépris des règles de l’OMC.
La situation économique des É.-U. en 2025 est cependant bien différente de celle de 2017 et de sérieux doutes existent sur l’ampleur du coût économique de cette deuxième offensive contre la Chine et la capacité des États-Unis à l’encaisser.
En 2017 l’inflation était sous contrôle depuis plus de 30 ans et les É.-U. étaient en croissance. En 2025 le pays est toujours en croissance, avec 2,8% de croissance sur l’année 2024. Cependant les consommateurs américains sortent traumatisés de l’inflation post-covid (2022-2024) et la Fed n’a pas encore réussi à en venir à bout. En février 2025 l’inflation mesurée par le CPI est encore à 3% en rythme annuel. La confiance des consommateurs mesurée par l’indice du Michigan s’est effondrée en février à la perspective d’une hausse des prix causée par les tarifs douaniers de 25% sur le Canada et le Mexique et de 20% sur la Chine. La confiance des directeurs d’achat mesuré par l’indice ISM s’effrite également à 50,3 début mars. Les indices boursiers viennent d’effacer les gains du début d’année, et le taux sur les obligations à 10 ans se maintient à un niveau très élevé.
Ces anticipations négatives sont-elles justifiées ?
Il est difficile de prévoir l’impact d’une hausse des tarifs douaniers sur les prix intérieurs. L’effet direct est inflationniste. La restructuration de l’appareil productif pour tenir compte du changement de prix relatifs devrait réduire la production potentielle. Face à une demande constante ou croissante dynamisée par la réduction des impôts l’effet indirect est également inflationniste. Tant que le déficit public demeure abyssal, le dollar devrait s’apprécier du fait de l’entrée des capitaux nécessaires pour financer la dette américaine, ce qui aura pour effet d’aggraver à court terme le déficit commercial. En revanche cette appréciation du dollar aura un effet déflationniste et, à plus long terme, devrait contenir l’effet des tarifs sur l’équilibre commercial. Donald Trump pense que les firmes américaines pourront encaisser une partie de la hausse des tarifs douaniers sans en transférer l’intégralité au consommateur. Si cela peut fonctionner pour de faibles variations des prix d’importation, cela reste à voir pour des hausses de 20%. Au niveau sectoriel, certains secteurs très dépendants des fournisseurs mexicains et canadiens seront amenés à augmenter leur prix avant de pouvoir réorganiser leur approvisionnement, avec le danger de sortir du marché. L’exonération des nouveaux tarifs pendant un mois d’abord des principales entreprises productrices d’automobiles puis des biens canadiens et mexicains inclus dans l’accord de libre-échange de 2020 (soit 50% des exportations mexicaines et 38% des exportations canadiennes) indiquent clairement que même Donald Trump doit se plier aux règles de l’économie.
Selon Goldman Sachs, la seule hausse des tarifs sur le Canada et le Mexique pourrait augmenter l’inflation de + 0,6%. L’impact le plus inquiétant est cependant celui sur la croissance économique. Goldman Sachs estime que l’impact sur le PIB serait de -0,2%. On peut penser que cette estimation est encore trop favorable. La modification brutale des prix relatifs n’est pas un évènement anodin, et les modèles économétriques traditionnels manquent d’observations suffisantes pour proposer une mesure précise du choc d’offre que cela peut engendrer.
Pour compenser ces deux impacts négatifs, Trump s’appuie sur des moyens classiques de politique de l’offre : baisse de l’impôt sur les entreprises et les ménages et baisse des coûts administratifs via une vaste dérégulation. Plus un pays est réglementé, plus une déréglementation a un impact fort. L’économie américaine étant déjà peu règlementée en comparaison avec d’autres pays avancés, l’impact sera positif, mais risque d’être modéré.
Trump court le risque de répéter l’erreur de Joe Biden en 2022 avec d’un côté une politique de relance de la demande et d’un autre côté une offre potentielle qui se contracte ce qui génère à terme un effet inflationniste. Il nous semble que Trump minimise délibérément l’impact économique négatif qu’aura sa politique commerciale sur la croissance, l’emploi et l’inflation, les considérant comme « des perturbations de court terme ». Il nous semble surestimer la capacité des industriels américains à se restructurer rapidement et à relocaliser. Il semble également sous-estimer l’impact du déficit public sur la hausse des taux d’intérêt et l’effet de frein que cette politique involontaire de quantitative tighthening aura sur l’économie américaine.
En revanche, le voilà dépendant de la crédibilité de la Fed pour contrer les anticipations d’inflation, ce qui est ironique. Trump réalise son dernier mandat et se donne 4 ans pour changer la structure économique et industrielle des É.-U.. Il est donc logiquement indifférent aux coûts de transition de court terme comparés aux gains de long terme qu’il imagine. Il a pour l’instant obtenu un premier résultat économique important, mais involontaire hors des É.-U.. Les Allemands semblent résolus à rompre définitivement avec l’ère Merkel et à sortir de leur marasme économique par une colossale relance budgétaire orientée vers la défense et les infrastructures qui pourrait profiter à toute l’Europe.
Marc Guyot et Radu Vranceanu