Depuis quelques semaines, dix grandes compagnies d’assurance et de réassurance, dont AXA, Allianz, et SCOR, ont quitté la « Net Zero Insurance Alliance », invoquant des risques juridiques liés à la concurrence, dans un contexte exacerbé par la montée du mouvement anti-ESG aux États-Unis.
Ce recul est paradoxal. Le secteur assurantiel est en première ligne sur le sujet climatique. Depuis 20 ans, près de 600 milliards de dollars, soit un tiers des pertes assurées dues aux catastrophes météorologiques mondiales, lui sont imputables. Pourtant, certains assureurs maintiennent investissements et garanties dans les énergies fossiles, renforçant ainsi leur propre vulnérabilité.
L’assurance ne doit pas tourner le dos à un sujet crucial pour sa pérennité : elle doit faire des deux leviers, atténuation et adaptation, des atouts pour se réinventer.
Choisir la résilience plutôt que la désertion
Face à l’aggravation des risques climatiques, augmenter les primes ou réduire l’exposition aux zones vulnérables semble rationnel a priori. Mais ce n’est pas soutenable. Les pertes économiques liés au catastrophes naturelles et climatiques explosent : 310 milliards de dollars en 2024, contre 241 milliards en moyenne depuis dix ans. Parallèlement, de plus en plus d’acteurs économiques ne sont plus assurés. En France, plus de 1 000 communes seraient privées d’assurance. Poursuivre cette stratégie contribuera à rendre une partie croissante du monde inassurable.
Le rôle des assurances ne peut pas être de déserter les zones à risques, mais de travailler à réduire la vulnérabilité des assurés en les accompagnant dans la construction de leur plan de résilience pour atténuer ces risques. Ainsi, plutôt que perdre des clients, le secteur assurantiel pourrait conserver son marché et contribuer activement à l’adaptation de la société. Par exemple, AXA Prévention a lancé en 2023 la plateforme « Ma Commune en action » qui aide les petites communes à construire leur plan communal de sauvegarde face aux catastrophes naturelles.
Maîtriser ses impacts, une opportunité de performance économique et environnementale
L’autre enjeu stratégique réside dans l’atténuation du changement climatique. Et celle-ci n’est en rien incompatible avec exigences de productivité et de maîtrise du coût par dossier.
Le premier sujet est de cesser d’assurer des projets à forte intensité carbone. Generali a ouvert la voie en annonçant en 2023 l’arrêt de toute couverture des nouveaux projets pétroliers et gaziers.
Les assureurs européens soumis aux directives CSRD et CS3D vont par ailleurs être tenus de mettre en œuvre une diligence raisonnable sur leur chaîne de valeur. Ce travail constitue une opportunité de réduire les émissions GES liées au scope 3 et d’optimiser sa chaîne de valeur en fonction de critères environnementaux, notamment dans la gestion des sinistres et l’assistance.
Par exemple, l’optimisation logistique par l’IA dans le secteur de l’assistance (choix du dépanneur le plus proche, remplissage optimal des avions sanitaires) permet de réduire les coûts et les émissions de CO2. Une électrification à 50 % des véhicules de remplacement permettrait, quant à elle, de réduire jusqu’à 11 % les émissions de CO2 associées à la gestion des sinistres.
Favoriser les comportements responsables des assurés sans compromettre la satisfaction client
La prise de conscience environnementale des consommateurs crée de nouvelles attentes auxquelles les assureurs doivent répondre stratégiquement. Adapter les garanties en proposant des solutions écologiques – orienter un assuré vers le train plutôt que vers la voiture – améliore non seulement leur image, mais aussi leur performance économique. L’enjeu est aussi de réduire le biais de “surqualité” qui engendre des coûts évitables.
Au-delà de l’application des garanties, les assureurs lancent des initiatives sur les produits eux-mêmes. Le Crédit Agricole Assurances, en partenariat avec Murfy, a par exemple lancé en 2024 une assurance habitation qui favorise la réparation ou le reconditionnement des appareils électroménagers.
Enfin, en tant qu’investisseurs institutionnels majeurs, les assureurs détiennent un levier puissant. Avec 76 % des Français attentifs à l’impact environnemental de leurs placements, intégrer une approche ISR constitue un levier d’attractivité sur les marchés financiers.
Une nécessité stratégique plus qu’un choix éthique
Le changement climatique représente un risque systémique qui menace directement le modèle économique des assureurs à moyen terme. En France, le régime des catastrophes naturelles est déficitaire depuis 2015, avec des pics en 2022 et 2023. Sans changement profond de stratégie, le secteur assurantiel risque de se retrouver pris en étau entre actifs fortement dépréciés et pertes croissantes dues aux catastrophes naturelles.
Les assureurs ont l’opportunité de transformer cette contrainte en avantage durable, conjuguant réduction des coûts, fidélisation accrue des clients, attractivité renforcée auprès des investisseurs, et contribution active à la lutte contre le changement climatique. Le secteur n’a pas seulement un enjeu éthique, mais un intérêt vital à agir, et ce, dès maintenant.
(*) Louis Raynaud de Lage est diplômé de l’ESSEC avec une spécialisation en innovation sociale. Il a plus de 10 ans d’expérience professionnelle dans l’accompagnement des organisations sur leurs enjeux de durabilité, en cabinet de conseil et en laboratoire de recherche. Il possède une expertise particulière sur les sujets d’évaluation d’impact social et environnemental. Il est actuellement Senior manager chez Bartle où il contribue au développement de l’offre RSE du cabinet.
Sébastien Lécorché est consultant en management et stratégie depuis 2018. Il accompagne notamment les entreprises du secteur assurantiel dans leurs projets et transformation. C’est un spécialiste de l’assistance, domaine en première ligne dans la réduction des impacts climatiques de la branche.
Louis Raynaud de Lage et Sébastien Lécorché