Lorsque Sundar Pichai, PDG de Google, révèle que 25% du code de l’entreprise est désormais généré par des machines, il illustre une réalité incontournable : l’intelligence artificielle (IA) transforme radicalement nos organisations.
à cette révolution, deux questions essentielles émergent : quelle sera la place de l’humain dans les organisations de demain ? Et à quoi ressemblera concrètement l’expérience de travail dans ce nouveau contexte ?
Les réponses ne sont pas à chercher ailleurs, elles sont à inventer ici et maintenant. Nous devons les construire, en choisissant des conceptions d’organisation qui équilibrent la centricité des objectifs (c’est-à-dire l’atteinte des objectifs) et la centricité humaine (c’est-à-dire la création d’environnements sociaux que les gens trouvent attrayants). Cette dualité n’est pas optionnelle — elle est existentielle.
L’organisation : notre plus ancienne technologie
Les accomplissements les plus impressionnants de l’humanité — des pyramides aux vaccins contre la Covid-19 — ne sont jamais des exploits individuels. Ils résultent de notre capacité à organiser efficacement le travail collectif. L’art d’organiser des groupes pour atteindre des objectifs constitue notre plus ancienne “technologie à usage général”.
Mais les organisations représentent bien plus que de simples outils. Elles sont aussi l’habitat naturel de l’homo sapiens, une espèce évoluée pour prospérer en groupe. Elles nous offrent ce sentiment d’appartenance essentiel, tout en équilibrant nos besoins de connexion sociale, d’autonomie individuelle et d’efficacité personnelle.
Le paradoxe de l’IA
C’est précisément cette double nature des organisations qui rend de nombreuses révolutions technologiques si complexes. La promesse d’une efficacité accrue via l’automatisation s’accompagne de la menace de déshumanisation. L’IA ne fait pas exception, bien qu’elle soit inhabituelle par la vitesse, l’échelle et la portée de ses impacts.
L’automatisation algorithmique peut non seulement dévaluer certaines compétences humaines — entraînant potentiellement du chômage — mais aussi, pour ceux qui conservent leur emploi, réduire l’autonomie, affaiblir les liens sociaux et saper la confiance en leurs propres capacités. Privés d’autonomie, surveillés à outrance, interagissant principalement via des interfaces, nous risquons de devenir de simples sous-routines humaines dans un algorithme organisationnel.
L’impératif économique de l’humanité
Dans un avenir prévisible, la plupart des organisations continueront d’avoir besoin d’humains. L’avenir immédiat est “bionique” — un mélange d’intelligence humaine et artificielle. Nous restons supérieurs aux machines dans de nombreux domaines, et même lorsque ce n’est plus le cas, nous pouvons améliorer leurs performances grâce à notre perspective unique. Des questions de responsabilité et de légitimité maintiendront également les humains au cœur des organisations.
La centralité humaine devient alors cruciale : c’est ainsi que l’on attire, retient et motive les talents. Paradoxalement, la compétition pour les talents pourrait s’intensifier malgré
les réductions d’effectifs liées à l’automatisation. Pourquoi ? Parce que les compétences nécessaires dans les organisations imprégnées d’IA seront rares — certaines n’étant pas encore définies, d’autres faisant appel à des aptitudes cognitives supérieures déjà peu communes.
Tant que les humains sont essentiels à une organisation, et qu’ils sont motivés par des aspects non financiers de leurs contextes de travail, il y aura une justification commerciale pour l’organisation centrée sur l’humain.
Choisir notre avenir
Nous ne sommes pas des spectateurs passifs de cette transformation majeure, et l’IA n’est pas nécessairement l’antagoniste dans l’histoire des organisations futures. Par une conception réfléchie, nous pouvons utiliser l’IA pour renforcer plutôt que diminuer l’humanité de nos structures.
Au lieu d’accroître la surveillance, nous pouvons concevoir des systèmes d’IA pour aider les individus à travailler plus efficacement sans supervision constante. Plutôt que de remplacer l’interaction humaine, développons des systèmes qui améliorent les processus de groupe. Au lieu de déqualifier les humains, construisons des systèmes qui renforcent leurs compétences et soutiennent l’apprentissage continu. L’ère des algorithmes pourrait aussi devenir l’âge d’or des organisations humaines. Cette vision n’est pas utopique — elle est stratégique. Les organisations qui abandonnent l’humanité pour se transformer en algorithmes se condamneraient à perdre face à ces mêmes algorithmes.
La technologie ne choisit pas notre avenir. Nous le faisons.
(*) Phanish Puranam est professeur à l’INSEAD et auteur de “Re-Humanize: How to Build Human-Centric Organizations in the Age of Algorithms”. Il est titulaire de la chaire Roland Berger de stratégie et de design organisationnel à l’INSEAD. Il est également directeur académique de l’alliance INSEAD Wharton.
Les recherches de Phanish portent sur la conception d’organisation et la stratégie d’entreprise. Il a publié de nombreux articles dans des revues universitaires de renommée internationale et a occupé des fonctions éditoriales de premier plan dans ces revues. Ses recherches ont été récompensées par des prix internationaux et des subventions compétitives dans le domaine des sciences sociales et naturelles. Phanish a obtenu son doctorat à la Wharton School de l’université de Pennsylvanie en 2001, et a fait partie de la faculté de la London Business School jusqu’en 2012.
Phanish Puranam