L’océan, qui couvre 71 % de la planète et produit 50 % de notre oxygène, est aussi un régulateur naturel du climat et un puits de carbone essentiel. Il est notre meilleur allié face à la crise écologique. Le laisser mourir, c’est mettre notre avenir en péril. Pourtant, dans une quasi indifférence générale, nous le laissons actuellement, et littéralement, se transformer en décharge. Chaque minute, 15 tonnes de plastique, l’équivalent d’un camion-poubelle, y sont déversées.
Le plastique nous accompagne au quotidien depuis à peine plus de cent ans. C’est un battement de cils à l’échelle de l’histoire de l’humanité. Il lui a pourtant suffi pour envahir les fonds marins, menacer la faune et s’infiltrer dans notre alimentation. Le plastique représente aujourd’hui 85 % des déchets marins et se retrouve dans l’estomac de 90 % des oiseaux marins. D’ici 2050, l’océan pourrait en contenir davantage que de poissons, et pendant que la vie marine suffoque, l’humanité continue à regarder ailleurs.
Invisible à 99%, le plastique se fragmente et se dissémine en microparticules qui intègrent la chaîne alimentaire et finit dans nos assiettes. Nous ingérons du plastique, chaque jour, alors que ses effets sur notre santé restent encore largement méconnus.
Nous devons agir maintenant, à l’échelle individuelle et collective, dans un grand mouvement embarquant les entreprises, les collectivités, les gouvernements. Dans ce contexte, la France porte une responsabilité immense. Avec 10,9 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive, la France est la deuxième puissance maritime mondiale. Elle est aussi une grande puissance diplomatique, qui a joué un rôle de leader en 2022 en rejoignant le moratoire pour l’interdiction de l’exploitation minière en eaux profondes, qui menaçait la destruction des écosystèmes.
Comment la France peut-elle convaincre à l’international, si elle recule sur ses propres engagements ?
En cette Année de la Mer, notre pays doit aller plus loin, à contre-courant d’un backlash écologique chaque jour plus puissant : sous la pression des ultra conservateurs et des lobbies, des reculs inquiétants s’observent de Washington à Bruxelles. En France, c’est l’inaction qui prime : la loi AGEC est trop souvent restée lettre morte.
Le polystyrène expansé est encore présent dans les rayons, les emballages plastiques autour de fruits et légumes restent autorisés, et près de la moitié des fast-foods ne respectent pas l’obligation de vaisselle réutilisable. Même l’accès à l’eau potable n’est pas assuré dans 75 % des établissements recevant du public. Ces signaux sont désastreux. Comment la France peut-elle convaincre à l’international, si elle recule sur ses propres engagements ? Porter une ambition forte à l’ONU ou à Genève ne suffit pas. Il faut traduire cette ambition en actes.
Les prédictions sur l’état de santé de l’océan et, sans mauvais jeu de mot, sur sa submersion par le plastique ne doivent pas être abordées avec fatalisme. L’opinion publique est acquise à la lutte contre la pollution plastique. En passant des intentions à la prise de mesure fortes et à l’action, nous pouvons encore nous diriger vers une société beaucoup plus sobre en plastique, transitionner d’une société du tout jetable à une société du réemploi. Un tel changement de paradigme se planifie, s’accompagne, et se construit à toutes les échelles.
Dans les semaines à venir, l’océan et la pollution plastique seront au cœur de deux rendez-vous diplomatiques majeurs. D’abord, la Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC-3), du 9 au 13 juin à Nice. Puis, en août à Genève, la dernière session de négociation d’un traité plastique international contraignant. La France doit faire entendre une voix forte et cohérente.
Nous appelons avec la Coalition Océan à un grand rassemblement citoyen à Paris, Bordeaux, Lyon, La Rochelle, Brest et Marseille le 8 juin, à l’occasion de la Journée mondiale de l’Océan, veille de l’ouverture de l’UNOC.
Elle doit faire jouer sa diplomatie pour embarquer les pays riverains de la Méditerranée — la mer la plus polluée du monde — dans la version la plus ambitieuse du traité. Mais elle doit aussi balayer devant sa porte. Car si les lois ne sont pas appliquées sur notre propre territoire, alors elles resteront des textes sans effet, et les déchets continueront à s’accumuler dans la nature… et dans l’océan. Chez Wings of the Ocean, association de terrain, nous en sommes convaincus : les ambitions restent vaines si le déploiement des lois ne fait l’objet d’aucun contrôle, d’aucune information et de peu de financements.
Sans volonté forte ni capacité donnée à l’ensemble des acteurs de respecter la hiérarchie de la gestion des déchets, qui commence par la réduction, continue avec le réemploi et termine avec le recyclage, tout idéal de transition vers une économie circulaire reste illusoire. Nous plaidons pour un accompagnement fort des territoires, au plus près des consommateurs et des gestionnaires, à une échelle adaptée au passage à l’action et au suivi des évolutions de réduction et de réemploi.
En 2022, c’est la mobilisation collective qui a infléchi la position du Président de la République sur l’exploitation minière en eaux profondes. En 2025, elle peut peser à nouveau pour exiger un changement systémique. C’est pourquoi nous appelons avec la Coalition Océan à un grand rassemblement citoyen à Paris, Bordeaux, Lyon, La Rochelle, Brest et Marseille le 8 juin, à l’occasion de la Journée mondiale de l’Océan, veille de l’ouverture de l’UNOC.
Montrons que les citoyens sont prêts à s’unir pour un océan sain, un océan sans déchets. Montrons que la France ne peut pas se contenter de promesses internationales si elle ne les applique pas chez elle.
La tâche est immense, parfois décourageante, mais elle est nécessaire. Comme l’écrivait Camus, il faut imaginer Sisyphe heureux. Parce que chaque action compte. Parce que protéger l’océan, c’est choisir l’espoir.
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Sarah Chouraqui, directrice générale de Wings of the Ocean