En France, la crise du logement met en lumière des besoins massifs non satisfaits : plus de 4 millions de personnes souffrent de mal-logement et 12 millions sont en situation de fragilité. Pourtant, 400 000 logements neufs sont construits en moyenne chaque année, sans toujours répondre aux attentes réelles des habitants. Parallèlement, les coûts continuent d’augmenter, creusant l’écart entre l’offre et les attentes.
Ces constats révèlent un double défi : construire plus et mieux, tout en maîtrisant les coûts. Mais cela implique une transformation profonde de notre manière de concevoir et de réaliser des logements. Ce changement de paradigme nécessite de réinventer les relations entre les acteurs de la construction pour replacer, tout au long du cycle de vie, l’humain au cœur des projets.
Fragmentation et absence de vision globale
La construction repose encore sur une organisation fragmentée entre les parties prenantes – maîtres d’ouvrage, architectes, bureaux d’études, entreprises de BTP, industriels des produits de construction – souvent isolées dans leurs silos. Ce fonctionnement séquentiel génère des pertes d’informations, des inefficacités et parfois des tensions. Au-delà des conséquences opérationnelles, ce déficit de vision globale altère profondément la finalité des projets. Le logement doit demeurer un lieu pensé pour ses habitants. La logique de réduction des coûts par poste prime sur le gain global en performance et la qualité d’usage.
Les effets pervers de cette situation se manifestent pourtant sur le plan financier. Par exemple, les assureurs constatent une augmentation des coûts liés au défaut de concertation et au manque de confiance entre les acteurs. Des dérives soulignent l’urgence de repenser les relations dans la chaîne de valeur.
La confiance, une réponse à un monde incertain et complexe
Travailler dans un climat de confiance, c’est mieux comprendre les objectifs, les besoins et les contraintes des autres acteurs ; c’est clarifier les attentes, limiter les malentendus et renforcer l’engagement collectif pour aboutir à un résultat d’intérêt partagé : la confiance fluidifie les relations et rend les projets plus robustes face aux aléas.
L’importance de la confiance se formalise dans des outils rationnels (contrats, assurances, réglementations, modalités pratiques de coopération, etc.). Ces mécanismes apportent un cadre structurant, mais ne doivent pas se substituer à une relation de confiance entre les parties. Celle-ci demeure indispensable pour surmonter les défis de manière collective et agile.
Des solutions pour réinventer la collaboration
Pour transformer durablement le secteur, une meilleure collaboration est indispensable en intégrant toutes les parties prenantes dès les premières étapes du projet.
Des plateformes collaboratives existent. Elles réduisent les frictions et améliorent la coordination. Cela n’empêche pas le facteur humain, au travers de démarches itératives et de facilitateurs. Ces pratiques élargies permettraient de limiter les erreurs, d’identifier en amont les difficultés de mises en œuvre comme les risques qui leur sont associés, de mieux gérer les délais et le coût global, tout en augmentant la qualité des ouvrages.
Mais l’innovation ne doit pas se limiter aux outils techniques. Il est essentiel de promouvoir la « bulle de confiance » entre les acteurs : un espace de transparence où chacun peut exprimer ses contraintes et ses attentes. Cela encourage des solutions adaptées et limite les conflits. Par exemple, un promoteur sensibilisé aux enjeux d’un maître d’œuvre pourra ajuster ses demandes, tout comme une entreprise de construction mieux informée des limites budgétaires proposera des alternatives pertinentes.
Replacer l’habitant au cœur de la conception
Construire mieux, c’est aussi construire pour l’habitant et intégrer ses besoins dès la conception. Des projets participatifs ou des écoquartiers, par exemple, démontrent qu’impliquer les habitants dès les premières étapes permet de créer des logements fonctionnels, durables et adaptés aux évolutions démographiques et climatiques.
Un logement durable ne se limite pas à des performances écologiques : il doit être pensé comme un lieu de vie répondant aux habitudes et attentes de ses habitants, tout en préservant une capacité d’adaptation face aux enjeux futurs.
La nécessité d’une dynamique collective
La transition vers une construction plus collaborative et orientée vers l’usager repose sur un engagement partagé par tous : décideurs publics, promoteurs, bureaux d’études, architectes, industriels, entreprises du BTP et habitants. Les professionnels du secteur, conscients des limites actuelles, doivent mieux travailler ensemble. Pour cela, il faut identifier les conditions préalables au développement de relations basées sur la confiance, le partage de connaissances et d’expériences.
En écho à la récente initiative citoyenne appelant à un immobilier plus éthique et durable (REpIT), il est urgent de mettre en place des initiatives concrètes visant à bâtir des logements de meilleure qualité, accessibles et pensés pour le long terme. Construire pour l’habitant, dans un esprit de confiance et de coopération, c’est bâtir des lieux de vie qui rassemblent et durent.
(*) Signataires :
– Frédéric Lafage, Président de la Fédération Cinov, organisation patronale représentative de la branche Betic – ingénierie, conseil et numérique ;
– Paul Duphil, Secrétaire général de l’Organisme professionnel prévention bâtiment travaux publics ;
– Jean-Claude Martinez, Président de la Mutuelle des architectes français.
Collectif (*)