Après l’arrêt des achats de pétrole à la Russie, l’Union européenne a décidé, le 6 mai, le même virage stratégique avec le gaz russe, pour 2027. Ce choix augmente certes la pression sur l’économie russe, mais impose aussi un substantiel défi aux Européens. Vers quelles autres sources s’orienter ? Comment faire évoluer notre mix-énergétique ? Comment les nouvelles technologies, dont l’IA, peuvent contribuer ? De nombreux challenges à résoudre en un court laps de temps.
La décision russe d’envahir l’Ukraine a non seulement fait revenir le traumatisme de la guerre sur le sol européen, mais redessine, et certainement pour le temps long, les flux énergétiques européens. La politique de sanctions élaborée par l’Union européenne s’est déroulée par étapes au cours des 3 dernières années, et sur deux volets différents, des sanctions proprement dites sur les flux économiques et monétaires, et la suppression progressives des approvisionnements énergétiques.
Un resserrement progressif
La recomposition de la stratégie d’importation énergétique de l’Union européenne a été amorcée, après l’invasion de l’Ukraine, dans le cadre du plan RePowerEU dès mai 2022. Ce plan cadre, 3 mois seulement après le début du conflit, définissait les différents objectifs visant à réduire la dépendance de l’Union aux combustibles fossiles russes. Quatre axes avaient été définis :
- Encourager la réduction de la consommation énergétique, en visant des secteurs-clés
- Diversifier les sources d’approvisionnement, en sécurisant des sources alternatives au pétrole, charbon et gaz russe, et en développant un marché européen de l’hydrogène
- Accélérer une transition vers une énergie propre, par un investissement massif dans les renouvelables, et les infrastructures de gaz naturel liquéfié
- Sécuriser les approvisionnements entre États membres afin d’éviter les pénuries
Le schéma stratégique de 2022 présentait déjà l’objectif d’arrêter l’approvisionnement en gaz russe, avec 2027 comme date butoir. Les décisions récentes se situent donc dans le déroulement du plan initial.
Dans le cadre de cet arrêt, l’exécutif européen propose d’agir en deux temps : interdiction des nouveaux contrats et des contrats courts (spot) existants avec les entreprises russes, fin 2025, puis extinction de l’ensemble des importations de gaz, en contrat à long terme, deux ans plus tard.
Toutefois les entreprises européennes pourraient invoquer des clauses de « force majeure » pour dénoncer les contrats sans être sanctionnée. Il reste à savoir si cette option offre toute garantie.
La Commission européenne prévoit de présenter dès le mois de juin, une législation encadrant l’ensemble de ce processus. Cette feuille de route va être soumise aux États membres et au Parlement européen. Les discussions s’annoncent sensibles sur fond de craintes d’un amorçage de dynamique haussière des prix.
Les orientations de substitution
Le désengagement européen des approvisionnements russes représente un réel challenge stratégique, surtout dans le cadre d’un calendrier serré. La mise en place de solutions devrait s’articuler autour de 3 axes principaux.
Il s’agit premièrement de s’appuyer sur la diversification des sources d’approvisionnement. Les États et les opérateurs doivent rapidement renforcer leurs importations de Gaz Naturel Liquéfie (GNL) en provenance d’autres pays producteurs, comme la Norvège, l’Algérie, le Qatar, le Canada, et les États-Unis.
L’UE avait évoqué, il y a plusieurs mois, la possibilité d’augmenter encore les importations de GNL américain. Mais les tensions commerciales, récentes, avec les États-Unis, brouillent pour le moment cette carte.
Une deuxième orientation consiste à accélérer le développement des énergies renouvelables, l’éolien et le solaire, ce qui permet d’accroître la production d’hydrogène vert.
En troisième lieu, il s’agit d’accroître l’efficacité énergétique, à travers l’optimisation des infrastructures. Dans un tel schéma, l’apport technologique de l’IA devrait offrir des gains que les technologies classiques ne permettent pas d’atteindre.
À travers ces 3 orientations, il est impératif que Les États membres de l’Union européenne préparent, dès cette année, des plans nationaux détaillant la manière dont ils prévoient de sortir de l’usage des combustibles russes, dans les 30 mois à venir
La dynamique de changement
La part des importations de gaz russe dans les pays de l’Union européenne est passée de 45 % en 2021 à 19 % en 2024, traduisant ainsi dans la réalité, les choix politiques. Mais si les pays de « UE ont réduit de plus de 50 % leurs approvisionnements par gazoducs, ils se sont en partie tournés vers le Gaz Naturel Liquéfié (GNL
En 2024 La Russie occupe une place centrale avec 20 % des importations en GNL de l’UE, soit 20 milliards de mètres cubes, derrière les États-Unis (45 %). De nouveaux développements technologiques à travers l’IA vont contribuer à apporter des réponses à cette situation.
À cet égard, la société italienne ENI a décidé un investissement de 100 millions d’euros dans l’acquisition d’un super-computer afin de disposer, en interne, des ressources technologiques requises par l’intelligence artificielle. En dehors de l’amélioration des process industriels, des progrès importants sont attendus dans la technologie des matériaux pour le captage et le stockage du CO2.
Tous les acteurs de l’industrie gazière mondiale sont concentrés sur l’impact de l’AI dans leur domaine. Ils se réuniront d’ailleurs prochainement, et en Europe, ce qui n’est probablement pas un hasard.
Les opportunités d’une rencontre mondiale
L’événement mondial annuel de la profession, Gastech, réunissant exposition et conférences, se déroulera justement en Europe, à Milan, du 10 au 15 septembre. Gastech 2025 sera le plus grand événement autour du gaz naturel, du GNL, de l’Hydrogène, des technologies du climat. Il sera marqué par l’impact de l’IA dans ces secteurs. Plus de 50 000 personnes sont en effet attendues, 1000 exposants et autant d’intervenants, dont Patrick Pouyanné président de TotalEnergies, qui considère l’apport de l’IA comme une révolution.
L’innovation sera mise en avant autour de 3 thématiques, l’accélération de la décarbonation, optimisation de la transformation de l’énergie, et l’élargissement du développement de l’hydrogène. On peut à cet égard citer la réalisation en cours entre RWE et TotalEnergies à la raffinerie de Leuna en Allemagne, qui vise à supprimer l’émission de 300 000 tonnes de CO2 grâce à l’utilisation d’hydrogène vert.
Les applications de l’intelligence artificielle auront donc toute leur place, à travers l’optimisation de l’efficacité énergétique, mais aussi à travers les besoins énergétiques des data centers.
Pendant toute la durée de cet événement seront donc débattus tous les développements technologiques permettant à l’Europe de se diriger vers une transformation de ses besoins énergétiques gaziers
L’arrêt d’importation du gaz russe s’intègre au schéma stratégique global RePowerEU. Ce dernier s’inscrit lui-même dans la stratégie plus large du Pacte vert européen, visant la neutralité climatique d’ici 2050. La mise en œuvre de ce plan global repose sur un calendrier très offensif, requérant la mobilisation de toute l’industrie gazière internationale, et de ses partenaires, privés et publics.
(*) diplômé de l’ISC Paris, Maîtrise de gestion, DEA de Finances Dauphine PSL, Fondateur du média web : www.le-monde-decrypte.com Chroniqueur géopolitique sur IdFM 98.0
Gérard Vespierre