Comme nous le soutenons depuis longtemps et l’affirmions encore dans Le Guide du développement organisationnel, (re)pensez vos organisations pour engager les personnes et les équipes (Editions Pearson France), il est illusoire de penser une transformation durable des pratiques managériales en se concentrant uniquement sur les individus, aussi compétents ou bien formés soient-ils. Penser le management sans penser l’organisation, c’est ignorer l’essentiel : le système dans lequel les managers évoluent conditionne en grande partie leur capacité à agir, à embarquer, à faire évoluer.
Dès lors, la vraie question que les entreprises devraient se poser n’est pas « comment mieux former nos managers ? », mais bien : « comment repenser nos organisations pour permettre à nos managers – et à leurs équipes – de réussir dans un cadre aligné, soutenant et cohérent ? » Car tant que l’on ne changera pas les règles du jeu structurelles, les meilleurs outils et formations resteront des rustines sur un système en tension.
Système organisationnel et système managérial ne font qu’un !
Le développement d’une culture managériale inspirante et durablement performante, c’est-à-dire en équilibre entre recherche de performance, prise en compte des attentes des salariés et intégration des enjeux environnementaux et sociétaux – repose sur quelques principes clés, observés dans la quasi-totalité des entreprises ayant réussi à relever ce défi : subsidiarité, autonomie des acteurs et responsabilisation. Or la mise en œuvre de ces principes ne peut s’envisager sans une réflexion profonde, à engager par la Direction, sur le système organisationnel en vigueur dans l’entreprise et sa nécessaire évolution : type de gouvernance, circuits et modes de décision, choix des indicateurs de performance et modes de reporting, système de management de la performance…
Rechercher la cohérence : le rôle des dirigeants responsables
Dès lors, il nous semble qu’en matière de management, le premier rôle d’un dirigeant responsable est de garantir la cohérence du cadre de fonctionnement, entendu comme l’ensemble des principes et règles qui régissent l’action du collectif mais également les comportements de chacun. Et de considérer avec discernement les défauts du système organisationnel en place pour les corriger, plutôt que d’appeler de façon incantatoire à ce que les managers fassent leur travail « parce qu’ils sont les représentants de l’institution et non du corps social », « qu’ils sont payés pour ça » ou bien encore « que l’entreprise a dépensé suffisamment d’argent depuis des décennies pour les former »…
Des managers en première ligne, mais sans filet
De la même façon, il nous semble assez facile d’affubler le télétravail de tous les maux et de décréter qu’il doit être abandonné au motif de sa non-performance – alors qu’aucune réflexion de fond sur le travail hybride n’a été engagée -, de demander aux managers de renouer avec une culture du contrôle, rendue encore plus efficace avec les capacités de « flicage » sans précédent offertes par la digitalisation plutôt que de s’interroger sur les causes du désengagement, ou bien encore de pointer du doigt des processus administratifs devenus lourds et chronophages sans chercher à les remettre fondamentalement en question. Plus facile en tout cas que de reconnaître lucidement que la navigation en eaux troubles demandée sans relâche aux managers d’aujourd’hui requiert qu’on leur garantisse un cadre de jeu simple, clair et commun et qu’on leur donne de vraies marges de manœuvre sur le terrain.
A l’ère du post-covid, il est temps de reconnaître enfin que le management, avant d’être une question d’appétences et de compétences des acteurs, est une question de système, d’organisation et de règles, et donc de relations de pouvoir et d’autorisations. Pour enfin libérer les capacités à agir de ces femmes et hommes de devoir qui ont choisi le métier de manager par vocation.
Et si les dirigeants responsables se décidaient enfin à s’attaquer aux racines du mal ?
(*) Geoffroy Carpentier, Managing Partner / Mews Partners – Mews Human Inside.
Geoffroy Carpentier