Être soutenu psychologiquement dans ces périodes est une nécessité sous-estimée, y compris par les premiers concernés.
Les entreprises qui mettent en œuvre les plans sociaux consacrent beaucoup de temps et d’énergie à concevoir des organisations cibles en lien avec les emplois qu’elles souhaitent supprimer. Le formalisme juridique, social et économique français conçu pour être protecteur produit des effets qui peuvent être paradoxaux. En chambre, pendant un temps souvent long et « secret », un petit nombre de personnes se consacre à « comment faire partir les gens », parfois au détriment de l’activité, du management, du développement. L’intention initiale était louable, dans la réalité, un plan social produit souvent un temps suspendu, avec une communication limitée, une perte de vision et d’élan stratégique, un sentiment de flottement et d’attente, où l’énergie collective est détournée.
Par ailleurs, les parties prenantes qui négocient se sont longtemps concentrées surtout sur les mesures d’accompagnement pour retrouver un emploi, ainsi que sur « le montant du chèque » pour partir, sans toujours être suffisamment attentif à l’état psychologique des personnes et aux mesures réelles pour en prendre soin. Un plan social « généreux » faisait office de compensation acceptable : avec tout ce qu’on leur a accordé / négocié, ils ne peuvent qu’aller bien / n’ont pas le « droit » d’aller mal. Troublante confusion de registres.
La nécessité d’accompagner pour palier l’impact des plans sociaux
Il est indispensable de soutenir les personnes, en tant qu’individu, de prendre soin psychologiquement pour ceux qui en ont besoin. En effet, les plans sociaux peuvent avoir un impact important sur l’état psychologique des personnes : anxiété, stress, incertitude vis-à-vis de l’avenir, perte de lien social, insécurité, dépression liée à la perte de l’emploi et de l’environnement de travail structurant, perte de confiance dans l’entreprise pour ceux qui restent, burn-out lié au surengagement défensif dans le travail, risque suicidaire dans les cas les plus extrêmes pour les personnes n’envisageant plus d’issue favorable à l’évolution de leur situation de vie. Sans même aller jusqu’à ces extrémités, l’ébranlement produit par cette rupture de stabilité n’est pas propice à se maintenir en bonne santé. Les transitions fragilisent et peuvent nécessiter d’être soutenu pour les vivre au mieux. Il n’y a ni faiblesse, ni honte, ni vulnérabilité coupable à cette nécessité.
Si l’on ajoute ces dernières années la crise du covid, l’accélération du changement climatique, le retour de l’inflation, le développement de l’IA, la présence de la guerre et très récemment la bascule dans un autre monde géopolitique incertain, les atteintes à la santé mentale sont potentiellement décuplées. Nous passons d’un monde plutôt stable, assez prévisible et relativement maitrisé à une incertitude importante et un risque de souffrance accru.
Redoubler d’ambition pour soutenir véritablement
Les entreprises et le législateur ont intégré cette nécessité de proposer du « soutien psychologique » dans les dispositifs d’accompagnement des plans sociaux. C’est une bonne chose. Il s’avère que souvent ce n’est pas suffisant. C’est une « mesure » dans un bouquet de mesures, une proposition de « service » pour ceux qui en auraient besoin, renvoyant l’usage à une décision individuelle dans un espace confidentiel…dont on n’a pas trop à se préoccuper. Une forme d’externalisation de la gestion de la souffrance. On observe que les dispositifs ne proposant qu’une ligne d’écoute fonctionnent peu et mal. On se confie peu sur sa souffrance au travail à une plate-forme anonyme et désincarnée…
Il est nécessaire d’être beaucoup plus ambitieux en matière de soutien des personnes. Apporter du soutien permet de la mise en mot de ce qui est ressenti, vécu, pensé, sans jugement, pour prendre conscience, extérioriser, mettre en travail et soigner dans certains cas. Tout le monde a potentiellement besoin de soutien. Non pas parce que nous sommes tous « fous » ou malades, mais parce que nous avons besoin de prendre conscience de ce que le réel nous fait pour ne pas être dans le déni, l’impensé et… risquer la maladie. Le psychologue en entreprise est là pour apporter le cadre et la pratique permettant cette prise de conscience et cette mise en travail.
Créer une culture globale de la co-vigilance pour prévenir et protéger
Mais pour être pleinement efficace, le soutien ne peut pas être juste proposé comme un service individuel. Il doit s’inscrire dans le développement d’une culture de l’attention à l’autre, pro active, collective, incarnée et organisée autour de la notion de la co-vigilance. Comment chacun est en attention à l’autre et sait quand et comment mobiliser les autres « acteurs de la prévention » dont le psychologue, présent sur site, fait partie, mais parmi d’autres. Il s’agit de passer de la prestation de soutien psychologique à la mise en œuvre d’un dispositif interne de prévention et de soutien dans lequel chacun à un rôle. Le soutien – social, psychologique – est en fait l’affaire de tous dans l’entreprise, en particulier en période de plan social.
En cette année 2025 placée sous le signe de la santé mentale, dans un monde qui change très vite et en profondeur, apporter un soutien psychologique volontariste et qualitatif dans les périodes de transition est une responsabilité sociale et sociétale de l’entreprise et de ses parties prenantes. À l’instar de la gestion des compétences qui doit permettre des passerelles organisées et fluides entre deux emplois, la réactivité et la rapidité demande de maintenir chacun en bonne santé pour que les transitions se passent le mieux et le plus vite possible, dans l’intérêt de tous. C’est une question d’efficacité collective autant que de dignité humaine.
(*) Nicolas Magnant est un spécialiste en sociologie des organisations et des sujets de QVCT (qualité de vie et conditions de travail). Titulaire d’un DEA en Sociologie des Organisations de l’Université Paris Dauphine, il a co-fondé et dirige AlterHego, cabinet spécialisé en prévention des risques psychosociaux et accompagnement des transformations depuis 2004 avant de rejoindre avec son expérience le groupe AlterNego (cabinet qui accompagne les entreprises pour mettre en œuvre leurs transformations et développer un climat propice au dialogue social) en en tant que directeur associé en 2023. Il a en outre notamment contribué à l’ouvrage collectif « La qualité de vie et des conditions de travail, l’affaire de tous ! » publié en 2024 aux éditions ESF.
Nicolas Magnant