La réunion du 20 mai dernier à Saint-Martin-de-Crau, sous la présidence du préfet de la Région PACA, était particulière. Il s’agissait de la deuxième réunion organisée par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) au sujet de l’implantation à partir du village de Jonquière-Saint Vincent dans le Gard, d’une ligne Très Haute Tension (THT) de 400 KVolts, dans le but d’accroître le flux électrique approvisionnant le site industriel de Fos-sur-Mer, dans les Bouches-du-Rhône.
Réunion pittoresque parce que cet immense chantier industriel traversant les terres agricoles du Gard, des Bouches-du-Rhône et de la Camargue sur 65 km, n’engendre ni l’opposition des industriels de Fos-sur-Mer, ni celle des agriculteurs du Gard et des Bouches-du-Rhône, ni celle des ONG gardiennes de la Camargue. Au regard d’autres grands travaux tel que celui de l’A69 Castres-Toulouse, cette unanimité en faveur de la décarbonation et de l’emploi est une situation rêvée pour le préfet de région qui doit autoriser la construction de la THT.
En outre, le projet regorge de souplesse puisque la date de mise en route de cette ligne THT avant 2030 n’est pas un culte de latrie, mais c’est une décision politique, elle est donc flexible comme l’a été le report européen de la commercialisation de 100 % de véhicule électrique après 2035. En surplus, le projet de cette THT dispose de temps additionnel, puisque les consommations futures seront graduelles à partir de 2030 et arriveront au seuil de leur optimum après 2035. Il y a donc plus de dix années pour construire une solution consensuelle.
Situation rêvée effectivement, sauf qu’il y a un hic : l’entreprise nationale et filiale d’EDF qui doit réaliser les travaux, Réseau de Transport d’Électricité (RTE), n’est pas à la hauteur de l’unanimité de la population.
Elle réussit en effet l’exploit de semer la zizanie entre l’industrie d’un côté et l’agriculture de l’autre ; elle sème la discorde entre les emplois des dockers de Fos-sur-Mer et ceux des agriculteurs des deux départements ; elle provoque une profonde et durable polémique entre les mairies de Fos-sur-Mer ou de Port-Saint-Louis d’une part contre celles de Saint-Martin-de-Crau, d’Arles, de Beaucaire et de Bellegarde d’autre part ; elle plonge des millions de citoyens de toute la région PACA en dans le doute sur notre État puisque qu’en plus du Gard et des Bouches-du-Rhône ce sont des habitants du Var et des Alpes Maritimes qui témoignent aux réunions de la CNDP.
Comment RTE en est-il arrivé là ? En imposant en 2025 des technologies des années 1960, qui devront durer jusqu’en 2100. C’est-à-dire en plantant une ligne aérienne de 180 pylônes dont la hauteur et l’amplitude de chacun d’entre eux seront comparables aux deux tours de Notre-Dame de Paris. Ligne aérienne qui deviendrait une véritable procession anti-touristique visible aussi bien des Saintes-Maries-de-la-Mer en Camargue que d’Arles et des Alpilles. Ligne aérienne qui anéantirait le travail de générations d’agriculteurs, de vignerons et d’acteurs du tourisme, qui sont tous en pleine déréliction.
Le dysfonctionnement de ce dossier est à peine croyable, parce qu’encore une fois, ce n’est pas la finalité d’augmenter le volume d’électricité qui dérange, il y a unanimité en faveur de cette décarbonation qui sauvegarde l’emploi. C’est en revanche la technologie qui divise les millions de personnes de la région PACA et du Gard, non pas parce que la technologie de RTE est futuriste, mais au contraire parce qu’elle est obsolète.
Comment une entreprise dont la vocation est de garantir la souveraineté nationale en bâtissant des stratégies d’avenir à la pointe du progrès, peut-elle sombrer dans une carence si éblouissante que des décideurs ne la perçoivent pas ?
Une réponse réside peut-être dans la gouvernance de RTE, parce que son management est devenu trop politique et plus assez technique. L’étude de l’université de Chicago est éclairante à ce sujet, elle qui indique que plus une entreprise est dirigée par des politiques plus son action est centrée sur l’influence et moins elle innove
RTE a-t-elle perdu ce chemin de l’innovation et de la science ? N’y a-t-il plus de héros à RTE capables de décarboner la Camargue sans la balafrer ? La réponse sera apportée le 2 juin à Arles au cours de l’ultime réunion de la CNDP consacrée à la possibilité d’enterrer cette ligne THT. Solution qui satisfera toutes les parties puisqu’elle préservera les emplois des dockers, ceux des agriculteurs et ouvre la possibilité à de nouvelles industries décarbonées à Fos-sur-Mer.
(*) Didier Julienne anime un blog sur les problématiques industrielles et géopolitiques liées aux marchés des métaux. Il est aussi auteur sur LaTribune.fr.
Didier Julienne