Pendant la semaine qui a suivi le chiffrage donné par Donald Trump sur le montant des droits de douane appliqué aux « 15 dirty » et au reste du monde ensuite — la confusion a régné partout et à tous les niveaux. La seule certitude émergeant dans l’incertitude était le consensus des économistes. Le choc d’offre que ces tarifs vont générer va déclencher une récession, les divergences portant uniquement sur l’ampleur de la récession et l’impact sur l’inflation. Le sursis à exécution de 90 jours avec un tarif à 10% pour l’ensemble des pays et le maintien des tarifs sur la seule Chine repousse la tempête de trois mois. Cette volte-face est soit l’exécution d’un plan prévu à l’avance, soit au contraire une reconsidération au vu des effets du plan.
Notre point de vue est que c’est la réaction du marché obligataire américain qui est l’alarme qui a provoqué la mise à l’arrêt provisoire du plan. Entre la mise en place et la mise en pause du plan, le taux d’intérêt sur l’obligataire à 10 ans avait augmenté de 0,6 point pour atteindre 4,51%, contrepartie automatique de l’effondrement de leur prix. La baisse des prix des obligations du Trésor est un danger pour l’économie à plusieurs niveaux. Outre qu’il devient plus difficile de lever des fonds en première émission, la probabilité de faillite de grands fonds de placement ou de grandes banques régionales augmente dangereusement. Une crise financière généralisée de la même nature que la Crise financière Mondiale de 2007-2008 devient techniquement possible. La dépréciation du dollar et la chute du prix des actions ne peuvent que renforcer les craintes des investisseurs de détenir des actifs américains.
Personne ne peut rien contre le marché financier, pas même Donald Trump. Le marché financier présente la note en permanence, au travers des primes de risque, face aux gouvernements comme aux entreprises. En particulier, le marché financier contraint les gouvernements à la discipline budgétaire via la hausse des taux d’intérêt. James Carville, stratège en chef de Bill Clinton, a déclaré un jour avec humour : « Je pensais autrefois que si la réincarnation existait, je voudrais revenir en tant que Président, Pape ou batteur à 400 au baseball. Mais aujourd’hui, je préférerais revenir en tant que marché obligataire. Vous pouvez intimider tout le monde. »
L’ex-Première ministre britannique Liz Truss constitue un exemple frappant de la manière dont les marchés financiers peuvent imposer leur loi. Élue le 6 septembre 2022 avec un programme de baisses massives d’impôts, accompagnées de quelques coupes budgétaires, elle prévoyait un creusement du déficit de 45 milliards de livres, dans un contexte où la dette anglaise était déjà chahutée sur les marchés. L’envolée immédiate des taux d’intérêt, l’effondrement des obligations, la panique des fonds de pension ont amené Truss à démissionner après 49 jours, un minimum record dans la vie politique anglaise.
En fournissant un effort important, on peut discerner une logique possible dans le plan Trump qui n’est pas si inhabituelle chez les Américains. Un ministre a dit une fois : le dollar est notre monnaie et votre problème. Donald Trump ici dit « notre déficit commercial est votre problème ». C’est à vous de le résoudre. Chacun d’entre vous faites ce que bon vous semble pour le réduire, l’alternative si vous ne faites rien, ce sont les tarifs du 3 avril dans 90 jours. On est bien en présence d’une brutalité inouïe où les causes du problème importent peu, ce qui compte c’est la pression exercée pour obtenir le résultat, quoi qu’il en coûte pour les relations internationales futures.
Les marchés financiers ont rétabli provisoirement une forme de normalité dans la politique économique de Trump. En revanche, le concept de pays « amis », base de l’alliance entre les pays occidentaux, a du plomb dans l’aile. Trump a manifesté avec sa brutalité habituelle que les É.-U. n’avaient pas d’amis, mais uniquement des intérêts. Pour les alliés historiques du Pacifique et d’Europe, le réveil est brutal lui aussi.
Par construction, l’économie de marché est fondée sur le principe des échanges volontaires et sur la flexibilité des prix, permettant d’orienter les décisions économiques vers la plus grande efficacité. La manière Trump de gérer les échanges internationaux, basée sur le rapport de force et la coercition, ne peut que détruire la confiance de tous dans l’Amérique, y compris la confiance des Américains eux-mêmes. Il n’est pas garanti que le sursis de Donald Trump sur ses décisions de politiques commerciales suffise pour rétablir cette confiance. Il est fort probable que les turbulences sur le marché des titres, et l’ensemble du marché financier subsistent et s’amplifient.
Marc Guyot et Radu Vranceanu