L’Union européenne est aujourd’hui confrontée à une double menace. Celle du désengagement de l’allié américain de l’OTAN suite à l’élection du président Trump, et celle de la stratégie de guerre de la Russie contre l’Ukraine. Devant cette double menace, l’Union européenne doit réagir rapidement et doit renforcer impérativement son union et sa défense.
Elle semblerait le faire par la mise en œuvre d’un plan de réarmement de 800 milliards d’euros sur quatre ans. Un plan qui permet de déroger au critère de convergence budgétaire de 3%. En effet, les dépenses militaires ne seraient plus soumises à cette contrainte budgétaire. Cette relance des dépenses militaires d’inspiration keynésienne favoriserait ainsi la réindustrialisation de l’Union européenne qui avait été abandonnée au nom des avantages comparatifs du libre-échange.
Aujourd’hui, avec la montée vertigineuse du protectionnisme pour des raisons politiques décidée par l’administration américaine, la donne internationale a changé. C’est l’occasion pour l’Europe de créer une défense commune.
Dans ce contexte face à cette double menace économique et géopolitique, le keynésianisme militaire serait-il devenu le moyen d’unir davantage l’Europe ? Serait-il devenu un des leviers économiques pour redynamiser une croissance économique endormie ?
Un réveil européen qui doit être collectif et coordonné…
La priorité de l’Union européenne est désormais d’élaborer cette stratégie industrielle et de la coordonner avec l’ensemble des pays européens afin de produire des armes, mais pas seulement. L’Europe a besoin d’une autonomie en matière d’infrastructure numérique, en matière d’intelligence artificielle. Elle a besoin aussi d’innover en matière de biens intermédiaires, d’encourager la recherche, de développer les savoirs universitaires afin que l’économie de guerre tire en même temps l’économie réelle civile. Elle a donc besoin d’investir davantage.
Pour cela, elle doit organiser collectivement cette relance et la coordonner au sein même du continent en mutualisant ses ressources financières pour ne plus dépendre des fournisseurs américains. Alors qu’une approche nationale individuelle selon laquelle chaque État finance seul ses dépenses militaires serait très coûteuse et inefficace pour développer les capacités de défense commune ainsi que toutes les autres capacités de production.
… pour que le réarmement européen crée un cercle vertueux de croissance où la défense et la protection sociale vont bien ensemble.
Grâce à son effet multiplicateur, les dépenses militaires auront un impact positif sur la croissance économique que si celle-ci s’accompagne en contrepartie d’une hausse des revenus. Ce qui augmenterait les recettes fiscales sans aucune hausse d’impôt et donnerait ainsi la possibilité de financer les dépenses d’armement sans réduire les dépenses sociales. En d’autres termes, créer un cercle vertueux rendant compatible l’État social (Welfare State) avec la défense (Warfare State).
Un cercle vertueux qui doit être renforcé par la poursuite de la politique de baisse des taux d’intérêt à court terme sur plusieurs années de la Banque Centrale européenne.
Avec un taux de croissance nominal supérieur au taux d’intérêt, dans lequel l’Union européenne dispose d’un excédent commercial et d’une épargne abondante, la dette publique deviendra largement soutenable.
Voilà qui contredit l’idée qu’il faille à tout prix réduire les dépenses sociales pour financer l’économie de guerre.
En effet, réduire la Sécurité sociale au profit de la sécurité nationale et européenne serait une grave erreur économique et politique. Un tel choix pourrait briser l’élan de solidarité et d’adhésion nationale qui sont nécessaires dans ce contexte conflictuel. Et qui pourrait même affaiblir la démocratie et désunir l’Europe.
C’est pourquoi le keynésianisme militaire ne pourra réveiller l’Union européenne que si les pays européens restent plus unis et plus forts socialement et économiquement.
(*) Gérard Fonouni-Farde est professeur agrégé émérite d’économie. Il est notamment l’auteur de L’économie en quatre leçons, paru chez L’Harmattan en 2022.
Gérard Fonouni-Farde