Le 29 mai 2005, les Français envoyaient un signal fort aux oligarchies européennes. Ils refusaient par référendum le traité constitutionnel européen qui leur était proposé. Il s’agissait pour le coup d’un véritable acte d’insoumission, exprimé en toute conscience. Le verdict de cette insurrection civique était sans appel, la victoire du non étant incontestable par sa netteté. Le non recueillait près de 55 % des suffrages exprimés. Encore plus fortement, le taux de participation grimpait à 70 %, niveau difficilement imaginable pour un référendum censé n’intéresser que peu de nos concitoyens. À cette occasion, le peuple reprenait véritablement en main ses affaires et son destin.
En effet, la campagne référendaire avait été perçue comme un printemps démocratique joyeux. Cette campagne, citoyenne, unitaire et dynamique, avait tout pour être un moment politique démocratique fondateur. Un succès aussi éclatant de la souveraineté populaire, en dépit de la coalition des forces du système en place, ne peut être que célébré. Vingt après, que reste-t-il de ce printemps démocratique ? Principalement, un double sentiment de gâchis et de trahison. Le constat est sans appel : le désenchantement est omniprésent.
Entre l’enthousiasme de la campagne et le désenchantement actuel, se trouve la forfaiture post-29 mai. Le Président Nicolas Sarkozy fit adopter en catimini, dans le dos du peuple, par la voie parlementaire, le traité de Lisbonne. Celui-ci était quasiment identique au texte initialement rejeté. Ce déni démocratique a généré dans la sphère politique des générations désenchantées. « L’aquabonisme » a proliféré sur ces bases : à quoi bon aller voter puisque notre choix est invalidé en fin de compte par le fait du prince ? La fatalité et la résignation règnent en maîtresses. La confiance dans l’action politique avait été régénérée : le discrédit de la chose politique a repris le dessus. Le non de gauche avait été l’élément moteur de la victoire, la concurrence libre et non faussée que l’on prétendait graver dans le marbre rejetée : l’austérité est devenue la règle d’or que l’on applique sur le dos des peuples à l’égal d’un fer rouge.
Cette période d’intense implication citoyenne aurait pu et dû servir de levier pour l’émergence d’un projet de transformations en tous domaines. C’est-à-dire d’une gauche fidèle à sa mission historique. Car le non rassemblait la gauche par un retour à ses fondamentaux historiques, tandis que le oui la divisait : la fameuse concurrence libre et non faussée provoquait des clivages insurmontables quant à la vision de l’économie et de la société. Par ces prises de positions électorales, les deux gauches « irréconciliables » émergeaient, du simple fait qu’une des deux n’était tout simplement plus de gauche.
La loi d’airain du marché s’appesantit plus que jamais sur les peuples, mis en concurrence les uns contre les autres, pour mieux garantir les profits d’une minorité toujours plus avide. Pourtant, il n’existe nulle fatalité à ce que ce sombre dessein se réalise. Les peuples peuvent et doivent se réveiller pour reprendre en main leur avenir. À l’image de ce que réalisa le peuple français le 29 mai 2005 en congédiant l’impitoyable férule d’un projet de société que les possédants voulaient lui appliquer sans ménagement. C’est à ces conditions qu’un nouveau printemps du peuple pourra advenir.
Lutter contre ce trou noir démocratique passe par la construction d’un nouveau récit mobilisateur. Le défi est celui d’un nouvel enchantement politique, ou plus précisément d’un ré-enchantement. Le verdict du référendum du 29 mai 2005 aurait pu être le détonateur d’un nouveau printemps des peuples européens. Sur les cendres de l’espérance du 29 mai 2005 bafouée par cet incroyable déni démocratique, agissons en conséquence pour contribuer à l’édification d’un autre printemps démocratique.
La souveraineté populaire ne s’use que quand on ne s’en sert plus ou quand on la bafoue. Célébrons la formidable victoire électorale du 29 mai 2025. Commémorons l’espoir détruit par l’incroyable forfaiture sarkozyste. Espérons l’irruption d’un nouveau printemps du peuple, qui s’avère plus que jamais nécessaire. C’est à ces conditions que la date du 29 mai 2005 restera une référence mobilisatrice incontournable pour les idéaux d’une gauche fidèle à son histoire et à ses perspectives.
Francis Daspe