Le 14 avril, Donald Trump a gelé 2,2 milliards de subventions fédérales à Harvard qui a déposé plainte une semaine plus tard devant un tribunal fédéral de Massachusetts. L’université Columbia a également été privée de 400 millions de dollars. Officiellement motivée par un manque de transparence, cette décision semble s’inscrire dans la continuité de l’Agenda 47. Depuis début avril, l’administration Trump a exigé auprès des universités la fin des programmes DEI (diversité, équité et inclusion). En ciblant les universités perçues comme « trop à gauche », le Président remet en cause le principe constitutionnel d’indépendance académique.
Théorisé par Joseph Nye, le soft power américain s’appuie notamment sur l’attractivité de ses universités. Harvard, MIT, Stanford ou Columbia ne sont pas seulement des institutions d’élite mais des instruments d’influence globale. En s’attaquant à ce pilier, Trump fragilise le soft power américain. Lors de son précédent mandat, les États-Unis avaient déjà perdu 6 places dans l’indice mondial, avant de retrouver la première place dans le classement de soft power sous l’administration Biden.
Les universités américaines disposent d’un atout : une société civile structurée, philanthropique et institutionnalisée. Elles reposent sur un modèle fondé sur la pluralité des ressources. À titre d’exemple, Harvard dispose d’une dotation de plus de 53 milliards de dollars, Columbia dispose de près de 15 milliards, des montants issus majoritairement de contributions privées. Cette forme d’autonomie financière partielle doit leur permettre de maintenir leurs missions académiques même en cas de retrait partiel ou total des subventions fédérales. La société civile s’appuie sur un socle d’infrastructures juridiques et politiques consolidées. L’ACLU (American Civil Liberties Union), fondée en 1920 a intenté plus de 430 actions en justice contre l’administration Trump durant son premier mandat. La loi Lobbying Disclosure Act, de 1995, encadre le plaidoyer auprès du pouvoir exécutif et législatif permettant aux ONG et think tanks d’exercer une influence institutionnelle sur les politiques publiques. La puissance de la société civile américaine repose également sur la puissance de ses fondations, comme la Ford Foundation, la MacArthur Foundation qui financent des causes d’intérêt public. Elles constituent une force d’influence indirecte mais structurante au sein de la démocratie américaine. Le tissu des ONG américaines représente près de 10% de l’emploi privé, un chiffre similaire à celui observé en France, mais avec une différence majeure : leur capacité de levée de fonds. En 2023, les dons caritatifs outre-Atlantique se sont élevés à 499 milliards de dollars (2% du PIB). A titre de comparaison, les associations et ONG européennes, bien que plus nombreuses, lèvent moins de dons.
Cette structure multiforme — financière, juridique, politique — confère à la société civile américaine une résilience face au pouvoir exécutif.
Dans l’hypothèse où la France serait confrontée, en 2027, à un climat politique polarisé ou à un rétrécissement de l’espace civique, cela exposerait nos universités à une vulnérabilité bien plus marquée. Les universités françaises, telles que La Sorbonne ou Paris-Saclay sont financées à près de 80% par l’État, sans dotations substantielles, ni leviers privés de compensation. Des écoles comme Sciences Po (28% de financement public), ou encore l’INSP (ex ENA), entièrement publiques, seraient particulièrement exposées. Contrairement au modèle américain, les fondations universitaires françaises demeurent peu dotées, les campagnes de levée de fonds sont rares et la culture du don reste marginale. La loi Sapin II (2016) encadre le lobbying mais l’accès aux décideurs reste inégal, souvent informel, loin du modèle américain de plaidoyer. De plus, en France, les ONG dépendent en grande partie de subventions publiques (44% en moyenne), ce qui limite leur capacité d’action autonome.
Selon le dernier classement CIVICUS Monitor 2024, qui évalue l’état de la société civile dans 197 pays, la France est classée dans la catégorie « rétrécie » (narrowed), présentant un espace civique relativement libre mais parfois restreint en pratique. Cette notation reflète des restrictions perçues sur la liberté de manifester, et la participation publique. Dans ses recommandations 2024, l’institut CIVICUS appelle les États, dont la France, a, entre autres, favoriser la transparence du dialogue public et à associer pleinement la société civile aux décisions politiques. Selon l’indice V-Dem (Varieties of Democracy), la France affiche un score de 0,90 (sur 1) en 2024 sur l’indicateur de la participation de la société civile, ce qui atteste d’un bon niveau d’engagement citoyen via les mécanismes de la société civile. Ce score confirme que le tissu civique français est actif et mobilisé, mais il contraste avec le score plus stable et élevé des États-Unis (0,98), inchangé même sous le premier mandat de Trump. Une telle capacité de résistance deviendrait cruciale si, en 2027, la France devait faire face à un exécutif plus hostile aux contre-pouvoirs.
Ce constat invite à une réflexion stratégique. Face des dynamiques de polarisation croissante en Europe, il s’agit de construire les conditions de la résilience — en renforçant l’autonomie de la société civile, et en reconnaissant pleinement son rôle politique — Les indicateurs internationaux signalent une possible amplification de l’espace civique en France. La France dispose d’une marge de progression structurelle pour faire de sa société civile un troisième pouvoir, indispensable au bon fonctionnement démocratique.
Véronique Chabourine