Charles Denpheng
On est allé voir
Par Isabelle Barbéris
Publié le
Figure hors norme du spectacle vivant, Olivier Dhénin Hữu et sa compagnie Winterreise (fondée en 2008) nous surprennent à chaque création. Sa marque de fabrique : l’exploration des croisements entre la scène lyrique, la poésie et le théâtre, et le thème de l’enfance – sujet allant de pair avec la participation artistique d’enfants et d’adolescents dans quasiment tous ses spectacles. Son dernier opus, « Partition vietnamienne », chroniques de l’exil et du lointain en cinq actes, est de toute beauté.
C’est fort d’une distribution de 21 acteurs, chanteurs – et la présence du pianiste Emmanuel Christien qui accompagne chaque tableau – que la fresque brodée par Olivier Dhénin et son équipe (pour certains, des fidèles) s’étend sur plus d’un siècle, de l’intronisation du jeune empereur Duy Tân, portée au pouvoir par les autorités coloniales françaises en 1907, jusqu’aux années 2010, quand Antonin, fils d’exilés vietnamiens ayant fui la guerre, décide de sonder cette mémoire familiale et transnationale, pour en tirer un opéra.
Les strates tectoniques du souvenir s’animent alors, elles se superposent, se dédoublent, au fil des cinq actes. On suit la lente agonie de la famille impériale, l’invasion japonaise de 1940, une scène de la vie de la peintre Alix Aymé, les sursauts du protectorat indochinois suivis de la débâcle française, la résistance du Viet Kong, la douloureuse partition de l’Indochine et les ravages infligés par l’armée des États-Unis : napalm et agent orange.
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Comme toile de fond de ce livre d’images animées, un décor poétique et épuré, dans lequel les personnages semblent imprimés sur du fin parchemin, pour mieux laisser se détacher les costumes flamboyants d’Hélène Vergnes. Chaque acte, ponctué par un air chanté (musiques de Benjamin Attahir, ou reprise d’Opium, une chanson de 1931 qui fut adoptée par les soldats lors de la guerre d’Indochine, évoquant la nostalgie du foyer), qui participe à la dimension onirique et fantastique des tableaux.
Ces stases musicales condensent toute la sensibilité de cette histoire faite de violence, d’erreurs tragiques, d’abandon, de déchirements… Toute cette dramaturgie a été mise en musique lors d’une résidence de création dans le cadre du programme « Villa Saïgon » de l’Institut français.
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Le metteur en scène s’est inspiré de ses archives familiales ainsi que des traces retrouvées lors de sa résidence vietnamienne. À la manière d’un conte, le fil se déroule, fragile pont sur les brèches de cette mémoire meurtrie, fatalement fragmentaire. L’écriture de Dhénin n’en est pas moins politique lorsqu’il rappelle la béance des blessures encore ouvertes. Elle se fait résiliente en célébrant, dans un dernier acte bouleversant convoquant les fantômes, les pouvoirs de soin du récit et de la poésie – comme nous le rappelle le personnage du Petit garçon : « Il y aura toujours une histoire. Un poème appris par cœur. Une chanson d’antan. »
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Partition vietnamienne, à l’auditorium du Musée Guimet, 75016 Paris. Puis reprise en novembre prochain.
Der Jasager – Celui qui dit non, mise en scène Olivier Dhénin, les 4 et 5 mai 2025 au Théâtre Antoine Watteau, Nogent-sur-Marne. Autres dates sur le site.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne