Perte d’emplois, de savoir-faire, de souveraineté… Les conséquences du rachat de Vencorex par son concurrent chinois Wanhua

Marianne - News

https://resize.marianne.net/img/var/cezua05mda/asSVRcmLSgNhbYB9W/asSVRcmLSgNhbYB9W.jpg









Perte d’emplois, de savoir-faire, de souveraineté… Les conséquences du rachat de Vencorex par son concurrent chinois Wanhua





















« C’est la mise au chômage de centaines de familles et la perte de notre souveraineté », a dénoncé la députée locale Cyrielle Chatelain après la cession de Vencorex au chinois Wanhua.
Benoit PAVAN / Hans Lucas

Et ça continue, encore et encore

Par

Publié le

Ce jeudi 10 avril, le tribunal de commerce de Lyon a décidé de céder une partie de l’activité du chimiquier Vencorex au géant chinois Wanhua, son principal concurrent. Après la « colère » saine des syndicats et des élus qui se battent depuis des mois pour sauver l’entreprise iséroise, quelles conséquences pourraient découler de cette décision mortifère ? Perte d’emplois, de savoir-faire, de souveraineté nationale… « Marianne » fait le point sur un fleuron français qui s’apprête à passer sous pavillon chinois.

Les salariés de Vencorex, près de Grenoble, avaient un dernier espoir. Celui de reprendre leur entreprise iséroise en coopérative pour permettre de conserver ce fleuron de la chimie dans le giron français. Mais ce jeudi 10 avril, cet espoir a été définitivement battu en brèche. Le tribunal de commerce de Lyon a ainsi jugé « irrecevable » ce projet défendu notamment par la CGT, préférant celui d’une reprise partielle du chimiquier à l’arrêt depuis l’automne par son principal concurrent : le géant chinois Wanhua, via sa filiale hongroise Borsodchem.

Un « jour noir » pour le territoire, et plus largement toute l’industrie française, qui a d’ailleurs été dénoncé par des politiques de tous bords à travers le pays, à commencer par les élus locaux… Ces derniers mois, ils étaient nombreux – des députés insoumis à la présidence LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes – à demander une « nationalisation temporaire » de Vencorex pour ne pas voir brader à la concurrence étrangère l’entreprise située sur la plateforme de Pont-de-Claix (Isère) et éviter de lourdes répercussions sur l’emploi industriel de la région et sur notre souveraineté nationale.

À LIRE AUSSI : “Il n’a pas étudié le dossier” : après le refus de Bayrou de nationaliser Vencorex, la vallée de la chimie tremble

Après avoir fait mine d’étudier le dossier, le Premier ministre François Bayrou avait donné une « fin de non-recevoir » à cette option fin février. Et tant pis si salariés, syndicats, élus locaux et nationaux dénonçaient un « scénario catastrophe », si Vencorex devait prochainement fermer l’essentiel de son activité à la suite son placement en redressement judiciaire en septembre 2024… Qu’en est-il dans le détail ? Marianne dresse un panorama des enjeux à venir après la cession de ce pivot de la chimie française qui va entraîner une perte de souveraineté pour des secteurs hautement stratégiques.

Un chinois « prédateur »

À l’automne dernier, après la mise à l’arrêt de l’entreprise, une seule offre de reprise de l’activité avait été déposée sur la table : celle du géant chinois Wanhua via sa filiale hongroise Borsodchem. Celle-ci avait été présentée aux élus du comité social et économique (CSE) le jeudi 6 février. Et d’emblée, elle ne faisait pas l’unanimité… Et pour cause, ce rachat ne concerne qu’une faible part de l’activité de Vencorex – l’offre partielle prévoit de ne reprendre qu’un atelier sur trois. Sur les 480 emplois que comptait l’entreprise iséroise, seuls 54 sont conservés par le groupe chinois qui promet d’investir 19 millions d’euros sur le site d’ici 2027.

« C’est un projet au rabais : très peu d’emplois seront conservés et il y aura beaucoup d’appels à la sous-traitance en support alors qu’aujourd’hui ce sont des salariés de Vencorex qui occupent ces postes, déplorait à cette occasion auprès de Marianne Séverine Dejoux, élue CGT au CSE de Vencorex et représentante des salariés dans la procédure de redressement judiciaire. « Si on fait le même travail mais avec des sous-traitants demain, il semble se dessiner un rabotage des conditions de travail et des conditions sociales derrière… », craignait la syndicaliste. Et de préciser : « Ils commencent déjà à nous annoncer qu’il y aura renégociations des accords dans les 15 mois. »

Une perte de savoir-faire

En février, Séverine Dejoux jouait la course contre la montre alors que les 136 premières lettres de licenciements partaient le 1er mars, avant même la décision du tribunal de commerce. « Cette reprise de Vencorex ne résout rien, bien au contraire. Elle acte la fin de Vencorex. Ne garder que 54 salariés équivaut à la fermeture du site », s’alarmait de son côté la présidente de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale Aurélie Trouvé, en soulignant le caractère « prédateur » de Wanhua.

« C’est une grande entreprise chinoise qui vient récupérer des sites un peu partout en Europe… C’était le principal concurrent de Vencorex ! Ils ont coupé la boîte et viennent récupérer le savoir-faire pour aller produire ailleurs », dénonçait l’élue insoumise qui demande aujourd’hui au gouvernement d’agir en nationalisant l’usine. « Vencorex bradé à Wanhua, son concurrent. C’est le savoir-faire français liquidé », a dénoncé ce jeudi le chef de file de son mouvement, Jean-Luc Mélenchon, qui s’était rendu sur le site de Pont-de-Claix le 12 mars dernier.

Effet en cascade sur l’emploi

Si le rachat de Vencorex par Wanhua entraîne la suppression de 400 emplois directs, beaucoup plus pourraient en réalité être concernés dans la région à cause de l’interdépendance des activités chimiques sur le territoire. Premier d’une future longue série ? Le groupe Arkema a d’ores et déjà annoncé la suppression de 154 emplois en 2025 sur le site de son usine chimique de Jarrie (Isère) en cas d’arrêt d’exploitation du sel de Vencorex. Et dans l’agglomération grenobloise et au-delà, l’inquiétude se fait aussi sentir du côté de Framatome.

À LIRE AUSSI : ArcelorMittal : comment l’ogre industriel chinois dévore le secteur de l’acier

« Ce n’est que le début d’une longue série d’annonces dans une industrie chimique déjà mise à mal par un marché en difficulté, prévenait la CGT en décembre dernier dans un communiqué appelant à la nationalisation de Vencorex pour éviter la chute en cascade de toute l’industrie en aval de la production. Ce sont 5 000 emplois qui pourraient être menacés par l’effet domino inévitable dans ce système interconnecté. »

L’élue de Vencorex Séverine Dejoux s’inquiétait aussi auprès de Marianne il y a quelques semaines d’une « réaction en chaîne qui va impacter des milliers d’emplois ». Et d’ajouter : « On ne va quand même pas attendre que toute la filière soit à terre », en faisant allusion à des « filières qu’on a laissées tomber avant de se rendre compte qu’on ne sait plus faire », comme le paracétamol ou l’industrie du textile.

Des secteurs hautement stratégiques

Des conséquences en cascade sur l’emploi… et sur notre souveraineté. En effet, Vencorex produit un sel très pur qui joue un rôle central dans la région. Ce sel fabriqué dans l’usine de Pont-de-Claix est notamment indispensable aux filières spatiales et nucléaires. Il peut être utilisé pour le refroidissement des centrales nucléaires, le carburant de la fusée Ariane ou encore des missiles de défense français… Le démantèlement du chimiquier pourrait générer une perte de souveraineté pour des secteurs hautement stratégiques.

Un risque pointé par la présidente de la commission des affaires économiques de l’Assemblée Aurélie Trouvé : à l’avenir, ArianeGroup ou Framatome pourraient ainsi se fournir avec du sel transformé venant d’Allemagne ou d’Italie. « Cela voudrait dire que pour produire une fusée Ariane ou un missile français, il faudra demander l’autorisation à ces États ? C’est cette perte de souveraineté en matière d’armement qui pour nous doit pousser à la nationalisation », insistait auprès de Marianne la députée LFI.

Vers une friche à ciel ouvert ?

Autre enjeu de taille posé par la cession tout à fait partielle de l’activité de Vencorex : l’avenir du site de Pont-de-Claix, sur lequel se trouve la plateforme chimique centenaire. Que deviendront les hectares qui ne seront plus exploités ? L’usine pourrait devenir une immense friche industrielle à ciel ouvert… qu’il s’agirait de dépolluer. Une vaste entreprise compte tenu de la présence de produits chimiques et de métaux lourds. Et tandis que la nationalisation temporaire de Vencorex – refusée par le gouvernement – avait été chiffrée à 300 millions d’euros, la dépollution du site de Pont-de-Claix pourrait coûter « plus d’un milliard » selon plusieurs élus locaux.

À LIRE AUSSI : Vencorex : vers une pénurie de carburants pour les missiles nucléaires de nos sous-marins ?

« On parle tout de même de 120 hectares extrêmement pollués en cœur de métropole dans des territoires densément habités », soulignait la locale de l’étape et présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, Cyrielle Chatelain, après le refus du Premier ministre de nationaliser l’entreprise. « La réponse, c’est qu’ils ne veulent pas mettre d’argent pour dépolluer le site. C’est irresponsable au regard des catastrophes sanitaires et écologiques que cela peut engendrer », soulignait alors la députée iséroise, à propos de ce site classé Seveso seuil haut.

De son côté, le gouvernement privilégie toujours la piste d’une « revitalisation de la plateforme » pour ne pas que le site devienne une friche industrielle, comme l’a rappelé le cabinet du ministre de l’Industrie aux Échos ce jeudi. Sûrement pas de quoi rassurer les syndicats. « Ils n’ont pas compris ce que représentait une telle plateforme qui va être laissée en l’état… Ce n’est pas un terrain vide sur lequel on va pouvoir reconstruire des entreprises l’année prochaine ! On n’arrête pas de leur dire : il faut qu’ils viennent sur place pour se rendre compte de ce que cela implique », s’alarmait déjà il y a plusieurs semaines sur notre site la représentante des salariés dans la procédure de redressement judiciaire Séverine Dejoux, déplorant ne jamais avoir été reçue à Matignon.


Nos abonnés aiment

Plus d’Economie

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne

0 0 votes
Article Rating
S’abonner
Notifier de
guest
0 Comments
Most Voted
Newest Oldest
Inline Feedbacks
View all comments

Welcome Back!

Login to your account below

Create New Account!

Fill the forms below to register

Retrieve your password

Please enter your username or email address to reset your password.

Add New Playlist

0
Would love your thoughts, please comment.x
Are you sure want to unlock this post?
Unlock left : 0
Are you sure want to cancel subscription?