Le 17 mars dernier, le Conseil de politique nucléaire (CPN), présidé par Emmanuel Macron, a demandé à EDF, Framatome, Orano et au CEA de remettre « un programme de travail et une proposition d’organisation industrielle pour la fin de l’année 2025 » portant sur un réacteur à neutrons rapides, sur la base d’une technologie permettant de fermer le cycle du combustible nucléaire. De quoi se passer, à terme, des importations d’uranium naturel dont la disponibilité des ressources d’ici à la fin du siècle demeure incertaine, et ainsi de favoriser la souveraineté énergétique de la France.
Une déclaration qui vient conforter la trajectoire sur laquelle s’est inscrite l’entreprise française Newcleo, qui venait alors juste d’annoncer son implantation à Chusclan (Gard), à côté du site du CEA de Marcoule, pour y construire un centre d’innovation et de formation autour de cette technologie.
« Le CPN confirme la volonté de soutenir les réacteurs modulaires avancés de génération IV,les AMR, et la possibilité de créer, dans la décennie 2030, un réacteur de démonstration, ce que nous voulons faire, et il confirme la volonté de lancer des réflexions sur la fermeture du cycle du combustible nucléaire MOX, qui est le cœur de notre projet, analyse Cédric Barba, directeur général des filiales françaises de Newcleo et directeur du développement industriel. C’est un signal très positif. »
Du plomb à la place du sodium
Créée en 2021, Newcleo se positionne sur la conception et l’exploitation d’AMR refroidis par du plomb liquide et alimentés par des matières nucléaires valorisables. Née à Lyon, la société a délocalisé son siège à Paris en septembre dernier. Ses 1 100 salariés sont répartis entre la France, le Royaume-Uni, l’Italie, la Belgique, la Suisse et la Slovaquie.
Cédric Barba a rejoint Newcleo, présidée par Stefano Buono, en décembre dernier, avec dans ses bagages, notamment, une expérience de la gestion des grands projets d’investissements chez Orano (acteur du combustible nucléaire). Il revendique, chez Newcleo, « une double culture technique : celle des réacteurs rapides et de la fabrication du combustible MOX en France, et celle des réacteurs au plomb en Italie ».
« Notre objectif est de produire électricité en utilisant les déchets nucléaires recyclés des centrales existantes, et d’utiliser le plomb permettant d’avoir un nucléaire sûr, comparé au sodium utilisé par d’autres, résume-t-il. Sachant qu’en France, il y a une quantité de matières valorisables et recyclables indéfiniment. Grâce à cette manne, on peut produire de l’électricité pour plusieurs milliers d’années. Soit une souveraineté complète car plus besoin ni de mines ni d’enrichissement à l’étranger. »
Le dirigeant déroule le film à l’envers : Newcleo prévoit de concevoir un réacteur de 30 MW proche de la centrale de Chinon à horizon 2031, « qui sera un outil de recherche pour nous et pour d’autres clients ». Avant cela, il lui faudra construire une ligne pilote de fabrication de combustible MOX à partir de matières nucléaires valorisables, opérationnelle en 2030. Et d’ici là, Newcleo travaille sur la construction en Italie d’un réacteur non nucléaire, sorte de simulateur présentant l’ensemble des fonctionnalités d’un réacteur complet, qui devrait être livré en 2026.
Un centre d’innovation et de formation
Mais c’est aussi à Chusclan que l’entreprise veut peaufiner son projet. Le groupe souhaitait « une installation proche des équipes que nous avons déjà à Avignon et Aix-en-Provence, sur un bassin où nous avons des partenaires pour nous aider », indique Cédric Barba. Newcleo s’est porté acquéreur d’un terrain d’un hectare, sur lequel elle va implanter le centre Faster (pour Fuel process Assembly Storage Training and Enhanced Reality), dédié à l’accélération du développement de sa ligne pilote de fabrication de combustible innovant – « qui sera en France mais on est toujours dans la phase de recherche de site », précise le directeur du développement industriel – et à la formation de ses opérateurs.
« L’acquisition de ce terrain marque une avancée significative dans notre feuille de route stratégique, confirme Stefano Buono, fondateur et P-dg de newcleo, dans un communiqué. Ce centre d’innovation et de formation ne sera pas une installation nucléaire et jouera un rôle crucial dans la préparation des opérations de notre future ligne pilote de fabrication de combustible nucléaire. Il créera un environnement immersif de type “test and learn”. »
Les travaux démarreront cet été, grâce à un investissement sur lequel Newcleo ne s’exprime pas, pour une mise en service en 2026. Le site accueillera une centaine de salariés, essentiellement des techniciens et ingénieurs.
Suffisamment de stocks de plutonium ?
Newcleo n’est pas seule positionnée sur ce segment de recherche autour du MOX de quatrième génération. Elle participe à un groupe de travail sur ce sujet aux côtés de son partenaire Orano et de start-up comme Hexana ou Otrera.
« Sur les réacteurs à neutrons rapides, il existe bien sûr plusieurs acteurs qui travaillent sur différentes technologies, notamment en Russie, en Chine, aux Etats-Unis ou en Belgique, à différent stades de recherche et/ou d’installation, souligne Cédric Barba. Mais en France, nous sommes les seuls à avoir cet avance technique sur la génération IV, en particulier en utilisant du plomb. »
L’entreprise a déjà mobilisé 537 millions d’euros de capitalisation privée. Soutenue par le plan France 2030, elle prévoit de candidater à la prochaine vague d’appel à projets. Cédric Barba précisant que « nous voulons investir 3 milliards d’euros en France, entre notre réacteur de 30 MW à Chinon et la future usine de production de combustible ».
Reste que ce modèle, reposant sur les stocks de plutonium – issu des combustibles nucléaires usés et qui serait utilisés pour ces réacteurs nouvelle génération – est interrogé, notamment au regard de la disponibilité de ces stocks. Une source institutionnelle souligne ainsi, auprès de La Tribune, que les 45 tonnes disponibles aujourd’hui à La Hague appartiennent à EDF qui ne voudra pas forcément les céder à des start-up : « Il y en a peut-être assez pour quelques unités de réacteurs mais pas suffisamment pour des flottes ». Ce qui rendrait ce type de projets irréalistes dans une logique industrielle.
Ce à quoi Newcleo répond : « Nous avons une stratégie de déploiement de nos réacteurs qui utilise temporairement une fraction limitée de la matière nucléaire disponible en France. Les réacteurs à neutrons rapides de 4ème génération permettent de valoriser beaucoup plus cette ressource grâce au multi-recyclage, ouvrant la voie à une production d’énergie décarbonée sur plusieurs milliers d’années sans extraction de minerais ».