Frederic Petry / Hans Lucas
Casting
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Le casting de ceux qui pourront poser leur question au chef de l’État sur TF1 ce mardi 13 mai va de l’influenceur musculation à la dirigeante d’ONG en passant par la lobbyiste ultralibérale. Mais comment a été réalisé ce casting ? Quels sont les points communs entre ces brefs débatteurs visibles seulement quelques minutes chacun ?
C’est un « dispositif inédit ». Emmanuel Macron adore ça, peu importe le fond, il faut toujours chercher une forme innovante pour se relancer et partir à la reconquête de l’opinion publique sur les sujets nationaux, qu’il a délaissés contraint et forcé depuis qu’il n’a plus de majorité. Cette fois, TF1 a sorti la carte des invités multiples et très hétéroclites pour aller taquiner le chef de l’État, ce mardi 13 mai, à 20 heures : de l’influenceur musculation à l’idole des jeunes écologistes en passant par la – plus classique – secrétaire générale de la CGT. Mais que faut-il comme qualité pour faire partie de ce casting d’intervenants présidentiels ?
Avoir beaucoup d’abonnés
Première condition qui semble être respectée par plusieurs invités qui ne sont pas déjà dans le giron des habitués des plateaux télés : peser lourd sur les réseaux sociaux. Salomé Saqué, d’abord, journaliste, certes, mais surtout véritable figure de l’écologie sur les réseaux sociaux, forte d’une communauté de plus de 450 000 abonnés sur Instagram, c’est-à-dire autant de personnes qui pourront regarder son intervention sur TF1 ce soir – dans un monde où les jeunes sont quand même très rarement devant leur télévision – et surtout visionner les extraits de la réponse présidentielle sur les réseaux sociaux pendant les jours qui suivront la diffusion de l’émission. Son passage sera, évidemment, placé sous le signe de l’écologie, et peut-être de l’éco-anxiété des plus jeunes générations, l’influenceuse ayant écrit chez Payot les ouvrages Résister (2024) et Sois jeune et tais-toi (2022).
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Idem pour TiboInshape. Plus porté sur les haltères que sur l’écriture d’ouvrages, l’influenceur musculation est connu de tous les habitués de Youtube et X, régulièrement au cœur des débats pour ses prises de position controversées, parfois affublé du qualificatif d’extrême droite par la gauche. Fort de ses près de 30 millions d’abonnés, il est chargé de poser une question (en vidéo) à propos de la pratique sportive à l’école, sujet primordial d’éducation sur lequel sa légitimité se limite à sa capacité à soulever des poids. Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron s’acoquine avec des vidéastes de Youtube, il avait notamment donné de sa personne dans une vidéo de « concours d’anecdotes » avec le duo McFly et Carlito (7,5 millions d’abonnés), un carton à 20 millions de vues.
Être une caricature
Autre caractéristique appréciée par TF1 : être la caricature d’une cause, son visage plutôt radical. Dans le genre, il y a évidemment le maire de Béziers Robert Ménard, un temps en lutte contre les kebabs dans sa ville, soutien fluctuant de la droite et de l’extrême droite, entre Nicolas Sarkozy, Nicolas Dupont-Aignan et, pour une bonne partie de sa carrière Marine Le Pen. En 2022, il a multiplié les rapprochements avec Emmanuel Macron, derrière qui il a appelé à « faire bloc » lors des élections législatives. Il sera en plateau pour évoquer le thème de la sécurité, l’un de ses thèmes favoris.
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Dans le genre caricature, bien sûr, il y a Agnès Verdier-Molinié. Sa légitimité ? Elle est une lobbyiste qualifiée de libéral, à la tête de l’iFRAP, un think tank « faux institut de recherche et vrai lobby ultralibéral ». Elle prône évidemment une dérégulation massive du marché du travail, la réduction des aides sociales, le recul de l’âge de départ à la retraite, bref la fin de l’État social à la française. Le sujet sur lequel elle interrogera le chef de l’État ? Les comptes publics bien sûr.
Incarner une cause
Autres intervenantes : Cécile Duflot et Sylvie Eberena. La première, dirigeante d’Oxfam, confédération d’organisation caritative, est spécialisée dans la lutte contre la pauvreté et pour le partage des richesses. La deuxième est une haltérophile championne de France qui dénonce l’interdiction du voile dans le sport. Toutes deux opposantes médiatiques aux gouvernements successifs d’Emmanuel Macron, toutes deux pouvant être facilement taxées de ne pas être objectives.
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Car c’est ce que permet ce casting : placer Emmanuel Macron en majesté, roi du juste milieu, face à des questionnants forcément partiaux, ou biaisés par leur engagement ou leur manque de vision d’ensemble des problématiques évoquées. Agnès Verdier-Molinié est très libérale ? Emmanuel Macron n’aura plus l’air de l’être, et pourra se poser en défenseur du système français. Sylvie Eberena défend le voile ? Emmanuel Macron pourra se montrer défenseur de la laïcité, et rappeler qu’elle ne stigmatise pas des gens mais défend la liberté de tous face à l’entrisme islamiste. Cécile Duflot et Sophie Binet veulent plus de justice et de répartition des richesses ? Bien sûr, répondra le chef de l’État, mais ne sabotons pas la compétitivité ni la « réindustrialisation » en cette période tendue. Salomé Saqué demande qu’on agisse contre le climat ? « Mais madame, on n’a jamais autant agi ! », et ainsi de suite. Le tout sur deux heures ou plus, avec, à la fin, aucun expert qui n’aura véritablement pu interroger Emmanuel Macron, et l’assurance que ses interlocuteurs, tous de passage pour quelques minutes, ne pourront vraiment lui tenir tête.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne