Lille (Nord).– N’en dire ni trop, ni pas assez. Pour son deuxième meeting depuis sa déclaration de candidature pour 2027, Édouard Philippe était censé parler de « méthode ». Il s’en est finalement tenu à des considérations d’ordre général sur l’état du monde, l’impuissance en politique ou son ambition de renforcer l’enracinement de son parti aux prochaines municipales. « Un programme deux ans avant, c’est un programme périmé un an avant », a-t-il justifié pour contenir les impatients, promettant que les annonces « massives » seraient faites à l’automne 2026.
Devant 1 500 militants et un parterre de ministres et d’élus Horizons assis au premier rang de l’une des salles de spectacle du Palais des Congrès de Lille (Nord), « le patron » s’est néanmoins confié sur sa crainte d’une « portugalisation » de la France – son « lent effacement » sur la scène internationale – et ses inquiétudes quant au « désenchantement démocratique » à l’œuvre. « Si nous voulons conserver notre mode de vie, nous allons devoir nous battre contre notre propre indolence [et] travailler plus », a aussi lancé, dans la droite ligne d’un Nicolas Sarkozy qu’il a cité à plusieurs reprises.
Se gardant bien de trop se dévoiler sur le sujet (épineux) de l’âge de départ à la retraite, il a appelé à ne verser ni dans la « démagogie de l’extrême gauche » ni dans « les vieilles recettes de l’extrême droite » – car « pour les coups de menton et les bruits de bottes, il y aura toujours plus fort que nous ».
A peine le maire du Havre a-t-il esquissé, en toute fin de discours, ce que, lui président ferait à son arrivée à l’Élysée. A savoir une cascade de référendums : sur le passage à un système de retraites « avec un complément de capitalisation », la mise en place d’une règle d’or budgétaire (dépenses militaires exclues), et la mise en place d’ordonnances pour « agir vite » sur les secteurs de la justice, de la santé et de l’éducation.
Un embouteillage de candidatures
Surtout, rester au-dessus de la mêlée. À deux ans de la présidentielle, l’enjeu pour Édouard Philippe est d’abord de s’imposer à son propre camp, alors que les ambitions se font de plus en plus sonores au sein du « socle commun ». Dans chacune des chapelles de la coalition au pouvoir, on martèle pourtant la nécessité de n’avoir qu’un candidat. « Si on veut éviter un second tour Le Pen-Mélenchon, on n’a pas le choix », glisse un ministre de premier plan, à l’unisson de nos autres interlocuteurs.
Le temps où la droite pouvait se payer le luxe d’une double candidature au premier tour est révolu, s’accordent les mêmes, conscients de l’érosion électorale du bien mal nommé « bloc central ». « Face à un RN aussi fort, le plus difficile pour nous, c’est la qualification au second tour : ce qu’on vise à l’instant T, c’est disputer la seconde place à la gauche », résume un conseiller de l’exécutif.
Reste à choisir l’incarnation, ce qui n’est pas la moindre des difficultés. Désormais à la tête du parti Renaissance, Gabriel Attal n’a rien oublié de ses ambitions présidentielles. Ses deux successeurs à Matignon, Michel Barnier et François Bayrou, s’imaginent eux aussi en recours de leur camp. Au sein du parti Les Républicains (LR), Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez s’affrontent pour le poste de président, pensé comme une rampe de lancement vers la présidentielle.
Comment s’imposer dans un tel embouteillage ? C’est toute l’équation que doit régler l’équipe d’Édouard Philippe où l’on exclut toute passage par une primaire, huit ans après celle, traumatique, qui avait vu le mentor Alain Juppé sèchement éliminé. Dès lors, il s’agit d’apparaître, le moment venu, comme le candidat « naturel », porté par les sondages et les ralliements. Et d’emporter dans un bras de fer politique, les concurrents putatifs.
Le faux duo avec Darmanin
Dans les discussions de couloir et de bistrot, toutes les hypothèses s’échafaudent : un ticket avec Bruno Retailleau, un autre avec Gérald Darmanin… Pour ce dernier, l’affaire paraît mal embarquée. Début février, le ministre de la justice appelait à ouvrir l’hypothèse d’une primaire, « si ce n’est pas évident de dire quel est le meilleur d’entre nous ». Manière de dire que son soutien est loin d’être acquis, mais aussi de remettre publiquement en cause la capacité d’Édouard Philippe, longtemps jugé velléitaire, à s’imposer.
Il faut dire clairement que notre modèle de retraite par répartition est dépassé et oui, aller vers un système par capitalisation
Ce dimanche, le garde des Sceaux avait néanmoins fait le trajet de Tourcoing à Lille pour s’afficher au côté de « [s]on cher Édouard » et sortir le drapeau blanc. Ou du moins, feindre de le faire. Car s’il a promis que l’avenir s’écrirait à deux – « le slogan de notre future campagne commune devrait être non pas les Français d’abord, mais les travailleurs d’abord » -, le vrai patron de la droite du Nord a aussi développé devant les militants d’Horizons une feuille de route quasi-présidentielle.
Au programme : augmentation des salaires en supprimant les cotisations (pour ne pas « pénaliser les entreprises »), obligation pour les salariés de devenir actionnaires de leur entreprise, instauration de prêts à taux zéro pour que tous les Français puissent devenir propriétaires, mais aussi suppression de la fiscalité sur les donations de son vivant et changement radical sur les retraites. « Il faut dire clairement que notre modèle de retraite par répartition est dépassé et oui, aller vers un système par capitalisation », a-t-il lancé, comme pour enjoindre Édouard Philippe à sortir de sa discrétion sur le sujet.
« Propriétaires et actionnaires, voilà comment on fait des citoyens heureux dans la cité », a résumé l’ancien sarkozyste, avant d’appeler à en finir avec la « lutte des classes » et à « changer la vie » – une formule toute mitterrandienne. Puis, comme s’il avertissait Édouard Philippe qu’il était encore loin de la ligne d’arrivée, de glisser, matois : « Le Nord a tous les avantages pour déjouer le scénario d’une élection jouée d’avance. »
Le message a, semble-t-il, été reçu cinq sur cinq par l’intéressé qui en a fait des caisses une fois derrière le pupitre : « Je voudrais te dire, Gérald, combien je t’aime. Le fait que tu nous aies dit des choses profondes qui suscitent la réflexion me touchent particulièrement », a-t-il dit, citant pas moins d’une dizaine de fois le prénom de « Gérald » dans la petite heure qu’a duré son discours.
Bayrou au piloris
Reste le cas Bayrou, qui lui aussi brûle de proposer sa candidature pour 2027, et avec qui les relations sont – ce n’est pas une nouveauté – notoirement exécrables. Ces derniers jours, les tensions sont remontées d’un cran. Édouard Philippe dénonçant, dans le Figaro, le « conclave déjà totalement dépassé » sur les retraites et moquant le programme de travail du premier ministre dont il a dit ne pas croire « qu’[il] soit marqué par une densité exceptionnelle ».
Dimanche midi, sur France Inter, le patron du MoDem cognait donc en retour, soulignant sa « divergence » avec son prédécesseur à Matignon, qu’il a accusé de négliger « la démocratie sociale et les partenaires sociaux ». En février, répondant déjà à Édouard Philippe qui s’inquiétait de son immobilisme, il avait estimé dans La Tribune Dimanche que « l’idée que nous sommes condamnés à l’impuissance est pour moi antinationale ». Un mot qui a beaucoup énervé dans les rangs du pourtant autoproclamé « inénervable » maire du Havre.
La réponse ne s’est pas fait attendre sur la scène du Palais des Congrès de Lille. « Je suis parfaitement à l’aise avec la démocratie sociale quand on lui donne du grain à moudre et non quand on la cantonne sur un tout petit sujet », a rétorqué le patron d’Horizons, rappelant même qu’il avait dit à Bordeaux qu’il « ne se passerait rien pendant deux ans ».
L’ancien premier ministre a aussi tenté de se démarquer d’Emmanuel Macron qu’il a taclé à quelques moments de son discours. Notamment dans sa partie sur la restauration de la légitimité de l’État : « Je n’ai pas aimé qu’on supprime le corps préfectoral et qu’on humilie le Quai d’Orsay », a-t-il lancé.
Quelques minutes plus tôt, c’est le maire de Reims, Arnaud Robinet, qui appelait sur la même scène que, « sans aller jusqu’à la mutinerie », il fallait affirmer « dès à présent qu’Édouard Philippe ne sera pas le successeur politique d’Emmanuel Macron ». Il faut néanmoins qu’Horizons s’impose comme « une formation pivot dans la reconstruction post-macronienne », a-t-il ajouté. Tout un programme.