C’est sa stratégie de la « tortue » à lui. Sans attendre le planning national de La France insoumise (LFI), le député David Guiraud a déclaré en octobre 2024 – un an et demi avant le scrutin – sa candidature aux municipales à Roubaix (Nord), ville historiquement de gauche dont le maire divers droite sortant, Guillaume Delbar, est fragilisé.
Depuis son élection à l’Assemblée nationale en 2022 et sa réélection en 2024, le trentenaire prépare le terrain. « Ça fait deux ans que je suis élu, et ça fait deux ans que je n’ai pas de week-end », résume-t-il en revendiquant une « conception interventionniste au niveau local » de son mandat national. L’Insoumis, fils de l’ancien maire socialiste des Lilas (Seine-Saint-Denis), mise sur son travail d’ancrage local dans cette commune ouvrière de 100 000 habitant·es.
Centres sociaux, agentes et agents municipaux, clubs sportifs, déambulations dans les quartiers, discussions au salon de thé : il laboure la ville avec l’idée d’« aller chercher au-delà des partis ». « Beaucoup d’habitants de ma ville sont des spécialistes de leur thématique mais ils ne sont pas encartés et ne s’identifient pas traditionnellement à la gauche. Pourtant ils sont disponibles pour aider un candidat sérieux », explique-t-il. Quant à l’union de la gauche, c’est une autre paire de manches.
Selon la légende politique locale, une « malédiction » hanterait Roubaix : la division de la gauche. Aux municipales de 2014, deux « frères ennemis » socialistes s’étaient présentés – l’ancien maire Pierre Dubois et le dissident André Renard –, conduisant à la victoire de Guillaume Delbar.
L’élection municipale partielle à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), perdue face à la droite par le député LFI Louis Boyard après l’échec de la fusion au second tour avec la liste du communiste Daniel Henry, est aussi passée par là. Avec son lot d’enseignements.
Convergences locales et tensions nationales
« C’est une élection locale, pas nationale. Et clairement, il ne faut pas oublier qu’il y a deux tours – le second tour, c’est encore une autre élection », retient David Guiraud. Face à lui Karim Amrouni, chef de file divers gauche de l’opposition sous la bannière « Roubaix en commun », passé par La République en marche (LREM), a l’intention de coaliser les « anti-guiraudistes ». L’image sulfureuse de LFI au niveau national et la conflictualisation des relations à gauche depuis la non-censure du gouvernement par le Parti socialiste (PS) l’y aident.
Mais alors que les socialistes, les écologistes et les communistes locaux sont indécis, le député évite les clashs. Le 7 mars, à la surprise générale, Pierre Dubois et André Renard ont même signé un communiqué commun pour le soutenir, le jugeant le mieux placé pour incarner l’union de la gauche. « Nous connaissons le poids de la désunion pour l’avoir vécue et en prenons notre part de responsabilité », précisent les anciens adversaires que David Guiraud a rencontrés plusieurs fois.
« Je n’ai jamais fermé la porte à qui que ce soit, développe le député. Je n’ai pas tapé sur les socialistes en les traitant de “traîtres”, même si je dis que je suis en désaccord avec leur non-censure du gouvernement. C’est cette posture qui va aider à dénouer des choses. » L’élu peut déjà revendiquer quelques ralliements dans la gauche « hors les murs » – l’ancienne vice-présidente écologiste de la région Nord-Pas-de-Calais, Myriam Cau, et l’ancien patron du PS local, Mehdi Massrour, sont dans son comité de pilotage.
90 % des électeurs de gauche n’appartiennent à aucun des quatre grands partis de gauche, et ils veulent l’union.
Alors que le Nouveau Front populaire (NFP) a volé en éclats et que Jean-Luc Mélenchon a annoncé qu’il y aurait « partout des listes insoumises prêtes, ou bien pour l’union, ou bien pour se proposer aux votes des citoyens », ces tentatives de convergences ont fort à faire. Placées à un an de la présidentielle de 2027, ces élections municipales ont tendance à être perçues comme un nouveau test des rapports de force à gauche dans les états-majors.
Dans certaines grandes villes dirigées par des socialistes ouvertement hostiles à LFI – Paris, Montpellier, Rouen, Vaulx-en-Velin, Marseille, Saint-Ouen ou Lille –, des affrontements entre alliances à géométrie variable sont inévitables. C’est le cas à Marseille (Bouches-du-Rhône), où le Printemps marseillais (alliance de plusieurs partis de gauche) avait permis de ravir la mairie à la droite en 2020, et où désormais le député Insoumis Sébastien Delogu dit vouloir concurrencer le divers gauche Benoît Payan.
À Toulouse (Haute-Garonne) aussi, l’expérience de l’Archipel citoyen – une liste établie en 2020 au terme d’un processus long et douloureux et soutenue par 16 formations de gauche – n’a pour l’instant pas de continuité. Le député Insoumis François Piquemal a lancé sa candidature en espérant prendre la tête d’une liste unitaire, mais il ne fait pour l’instant pas consensus.
« Il est député de toute la gauche, mais se met en conflit avec les formations politiques pour imposer sa candidature. Jean-Luc Mélenchon envoie ses députés au casse-pipe », commente Pierre Lacaze, conseiller municipal toulousain et responsable aux élections du Parti communiste français (PCF), qui se dit lui aussi « en capacité de conduire une liste unitaire ».
Quant aux villes conquises par les écologistes en 2020 et gérées avec des majorités plurielles, les Insoumis y plaident pour un rééquilibrage en leur faveur – après leurs bons résultats aux européennes et aux législatives – et menacent parfois dangereusement les édifices unitaires.
L’avenir incertain des majorités plurielles
À Tours (Indre-et-Loire), l’écologiste Emmanuel Denis, élu en 2020 avec une union de la gauche complète dès le premier tour, tente de faire perdurer le NFP. Joint par Mediapart, l’édile, qui prépare activement la suite sans avoir annoncé officiellement sa nouvelle candidature, convient d’une incertitude, même s’il travaille à cimenter l’union en consultant les bases militantes et les responsables politiques locaux : « Je ne sens pas de remise en cause de ma légitimité, mais tout ça est fragile. Il faut respecter tout le monde, et tout le monde veut plus de “parts de marché” », rapporte l’élu, qui craint par ailleurs le « backlash écologique » dans le vote.
Face aux tentatives de son opposition d’attiser les divisions de la gauche en s’appuyant sur les déclarations les plus conflictuelles de Jean-Luc Mélenchon, il appelle les responsables nationaux à la tempérance : « 90 % des électeurs de gauche n’appartiennent à aucun des quatre grands partis de gauche, et ils veulent l’union. »
À Lyon (Rhône), ville ravie à Gérard Collomb (ex-socialiste devenu macroniste) par l’écologiste Grégory Doucet en 2020, l’adjoint au maire Laurent Bosetti plaide lui aussi pour faire l’union dès le premier tour dans le périmètre du NFP. Mais l’Insoumis s’est mis en délicatesse avec les député·es de son mouvement dans le département, qui considèrent qu’un rassemblement « sur la base de la capitulation du PS » est impossible.
« Bien sûr qu’on est déçus, mais il faut entretenir le NFP. Ostraciser le PS, c’est faire le jeu de Hollande et revenir aux deux gauches irréconciliables. Dans le contexte national et international, les gauches n’ont pas le droit à l’erreur », argumente Laurent Bosetti. La validation des accords départementaux ou locaux par les boucles départementales de LFI interviendra au plus tard en juin 2025. On saura alors si la tentative des Insoumis de nouer prioritairement des alliances avec les Écologistes aura porté ses fruits.
Mais les ex-partenaires du NFP voient déjà d’un mauvais œil le style comminatoire des Insoumis. « La volonté de LFI d’envoyer certains de ses députés aux municipales, voire d’être dans un affrontement avec des majorités de gauche ne crée pas les conditions du rassemblement ailleurs », critique Pierre Lacaze, responsable aux élections du PCF, deuxième force à gauche en nombre d’élus locaux (7 000) après le PS.
Celui-ci s’inquiète que la logique du clash entre la gauche traditionnelle et la gauche insoumise, observée à Villeneuve-Saint-Georges – que les communistes convoitaient pour reprendre plus tard le département qu’ils ont perdu en 2021 –, se répète à de multiples endroits, entraînant une spirale de défaites. « Il y a beaucoup de villes de gauche où ça peut se jouer à quelques pourcents près. Alors que l’extrême droite va essayer de conquérir des positions, ces divisions font courir un réel danger », rappelle-t-il.
La base prête à faire revivre le NFP
Loin de cette guerre fraîche entre partis qui s’installe en filigrane des municipales de 2026, des collectifs militants unitaires prennent les devants. C’est le cas à Chartres (Eure-et-Loir), sur les terres de l’ancien ministre, redevenu député Ensemble pour la République (EPR), Guillaume Kasbarian. En 2020 les divisions de la gauche avaient permis au maire de droite, Jean-Pierre Gorges, élu depuis 2001, d’être réélu dès le premier tour.
Mais aux législatives de 2024 à Chartres, le candidat du NFP Jean-François Bridet avait quasiment fait jeu égal avec Guillaume Kasbarian – soutenu par le maire et qui avait pour suppléante son adjointe – 5 008 voix contre 4 813. « C’était comme un sondage grandeur nature pour les municipales. Ça nous a donné une légitimité renforcée pour l’animation d’une dynamique d’union », retrace Jean-François Bridet, conseiller municipal d’opposition (Chartres Écologie) et vice-président du Conseil régional Centre-Val de Loire.
Le 1er mars, la gauche et les écologistes unis avec un pôle citoyen composé de syndicalistes et de non encarté·es ont lancé la bannière « Chartres en commun » et désigné Jean-François Bridet comme tête de liste. Le PS et LFI doivent encore valider, d’ici au 22 mars, cet accord qui prévoit une liste de 39 personnes – avec 15 places réservées aux personnalités hors partis, et une représentation égalitaire de chaque parti. D’ici là, « on travaille avec eux sans attendre », explique Jean-François Bridet.
Comment cette dynamique a-t-elle réussi à éviter les tensions du national entre socialistes et Insoumis ? « C’est notre combat quasiment quotidien, et c’est le pôle citoyen qui veille à ce que ces questions n’envahissent pas nos débats », rapporte la tête de liste, qui souligne la présence dans ce pôle de syndicalistes et d’associatifs, mais aussi de personnes se revendiquant « militants NFP et refusant de prendre leur carte où que ce soit, fatigués des combats d’appareils ».
À Tourcoing (Nord), l’unité de la gauche creuse aussi son sillon. Dans cette ville historiquement de gauche, Gérald Darmanin a été élu en 2014 et réélu dès le premier tour en 2020 face à l’explosion des listes de gauche – « un cataclysme », convient l’écologiste Katy Vuylsteker, conseillère municipale d’opposition. Celle-ci a été désignée tête de liste par trois partis sur quatre du NFP. LFI, dont le processus de désignation de ses chef·fes de file est en cours, manque encore à l’appel.
« Je ne désespère pas, j’ai même très peu de doute sur le fait que LFI nous rejoigne », avance Katy Vuylsteker. « On a la volonté de s’unir parce qu’on est conscients de l’aspiration au changement exprimée aux législatives et qu’on a un adversaire difficile qui use de tous les moyens à sa disposition pour gagner », explique-t-elle. Ces dynamiques sont cependant souvent propres aux villes où la droite est sortante et où la gauche a purgé un passé traumatique. Pour que ces méthodes unitaires passent de l’exception à la règle, le chemin est encore long.