“Pour une gauche intransigeante envers toutes formes d’antisémitisme”

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“Pour une gauche intransigeante envers toutes formes d’antisémitisme”


















Manifestation contre l’antisémitisme du collectif NousVivrons, le 9 juillet 2024
BASTIEN ANDRE / Hans Lucas via AFP

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Dans une tribune, cinquante universitaires et chercheurs lancent un appel à toute la gauche et à tous les républicains pour qu’ils s’engagent résolument dans la lutte contre toutes les formes d’antisémitisme.

Depuis la Révolution française, l’antijudaïsme puis l’antisémitisme ont été principalement propagés par l’extrême droite et une partie de la droite. Si la gauche n’a pas été épargnée, notamment dans les deux périodes de crise des années 1880-1890 et 1930-1940, elle a su longtemps s’ériger en véritable rempart, moral et politique, contre l’antisémitisme, portant haut les valeurs universalistes. Mais la situation actuelle est source de profondes inquiétudes.

À LIRE AUSSI : “Il existe de longue date un antisémitisme de gauche, qui concerne même le grand dreyfusard Jaurès”

Depuis la Libération, jusqu’à la fin du XXe siècle, l’extrême droite a eu un quasi-monopole de l’antisémitisme. Outre les propos de Jean-Marie Le Pen, en 2014 un rassemblement d’extrême droite a encore réuni à Paris des dizaines de milliers de personnes criant des slogans antisémites et négationnistes. À partir des années 2000, l’antisémitisme a pris aussi d’autres formes en lien avec un islamisme plus ou moins explicite : assassinat d’Ilan Halimi (2006), assassinats à Toulouse, école Otzar Hatorah, et Montauban (2012), attentat contre l’Hyper Cacher après l’attaque contre Charlie Hebdo (2015), meurtre de Sarah Halimi (2017), etc.

Au-delà de ces violences, l’évolution de l’antisémitisme est à relier avec l’audience de Dieudonné, aux vidéos de Soral, qui, bien que classés à l’extrême droite, trouvent une audience auprès de personnes se reconnaissant comme d’extrême gauche ou appartenant à la mouvance islamique. Cette évolution est aussi liée à la multiplication des sites complotistes et antisémites sur Internet, sensibles à ces mouvances. On en a vu les effets dans les dérives antisémites de certains « Gilets jaunes » (2018-2019), et les attaques antisémites complotistes contre la ministre de la Santé Agnès Buzyn.

Des ambiguïtés

Si l’antisémitisme d’extrême droite, enserré dans une idéologie de haine plus large visant notamment les Maghrébins (ou les Français d’origine maghrébine), n’a pas disparu, force est de constater qu’un antisémitisme s’est bien développé dans certains segments de la gauche depuis deux décennies, trop souvent ignoré ou minimisé par le reste de la gauche. On constate en conséquence que la mobilisation contre l’antisémitisme s’affaiblit, comparée à celle suscitée après l’attentat de la rue Copernic (1980) ou l’affaire de Carpentras (1990).

Cette évolution résonne avec les tensions du contexte international, de l’influence de la politique iranienne au conflit israélo-palestinien, dont la charge symbolique de ce dernier est très forte, comme nous le constatons d’une manière aiguë depuis le 7 octobre 2023 notamment dans nos universités et nos établissements scolaires. Certes, on doit pouvoir critiquer les décisions d’Israël comme celles de tout autre gouvernement, mais il convient aussi de ne pas glisser dans un registre qui n’a plus rien à voir avec la critique légitime. Depuis la fin de l’URSS et des Démocraties populaires (1989-1991), la lutte des Palestiniens est devenue pour une partie de la gauche le symbole de toutes les oppressions, en ignorant d’autres guerres infiniment plus meurtrières et en oubliant qu’Israël demeure encore un État démocratique.

À LIRE AUSSI : Pierre-André Taguieff : “Il n’y a pas qu’un antisémitisme à gauche, il existe aussi un antisémitisme de gauche”

Le conflit israélo-palestinien pose notamment la question, souvent débattue, du rapport entre antisémitisme et antisionisme. Le terme de « sionisme » est utilisé pour indiquer des cibles différentes, soit l’existence même d’un État juif, soit l’absence d’un État palestinien à ses côtés. Cette confusion est exploitée pour développer des propos flirtant avec l’antisémitisme par une partie de l’extrême gauche, puis la nébuleuse identitaire, la mouvance islamique et les mouvements décoloniaux qui en sont proches. Prétendant lutter contre « l’islamophobie », ils dénoncent l’universalisme et la laïcité, tout en défendant une conception victimaire de type ethniciste ou racialiste. Avec l’appui de certains intellectuels, ils font porter aux Juifs et au CRIF la responsabilité de l’antisémitisme et retournent contre eux l’accusation de racisme en raison de l’existence même d’Israël.

Des voix trop silencieuse

Depuis les années 2010, Jean-Luc Mélenchon et plusieurs de ses proches tiennent ainsi des propos de moins en moins équivoques. En 2019, Mélenchon attribue la défaite de Jeremy Corbyn à l’accusation d’antisémitisme portée contre lui par « le grand rabbin d’Angleterre et les divers réseaux d’influence du Likoud », reprenant l’image très ancienne des Juifs agissant de façon occulte et maléfique. Après les massacres du 7 octobre 2023, il refuse de condamner le Hamas comme une organisation terroriste, puis dénonce la manifestation contre l’antisémitisme du 12 novembre 2023 comme « le rendez-vous des amis du soutien inconditionnel au massacre » des Palestiniens. En 2024, il qualifie l’antisémitisme de « résiduel » en France, malgré une explosion de près de 300 % en un an des actes antisémites, selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Récemment il a encore refusé de reconnaître le caractère clairement antisémite d’une affiche de son mouvement. Le slogan « Du fleuve à la mer », repris par LFI, renvoie à la charte du Hamas appelant à la destruction de l’État d’Israël.

Les dirigeants de LFI n’ont jamais été condamnés pour propos antisémites. Pourtant la fréquence de certaines allusions ou prises de position ambiguës ne peut être réduite à de simples égarements. Certains y voient une stratégie pour séduire l’électorat musulman, perçu – à tort ou à raison – comme réceptif à ces allusions et prises de position. Malheureusement, un grand nombre d’intellectuels refusent de reconnaître cette évolution. Si l’on ne peut donc pas caractériser LFI d’organisation antisémite, comment ne pas voir qu’une grande partie de ses adhérents refusent de reconnaître la dérive de leurs dirigeants ; ils pensent, bien à tort, que puisqu’ils militent à gauche, ils sont immunisés contre l’antisémitisme. Les voix de gauche sont restées longtemps bien silencieuses pour faire cesser cette inflexion détestable, rompant de fait avec la tradition dreyfusarde ; cette situation semble toutefois évoluer, y compris au sein de LFI.

La gauche, et pas seulement elle, est aujourd’hui horrifiée à juste titre par la politique de Benyamin Netanyahou. Cependant la réponse que lui apportent LFI et la gauche radicale dénature les valeurs universalistes de la gauche, tout en laissant l’antisémitisme s’enraciner. À l’heure où l’extrême droite progresse dans toute l’Europe et aux États-Unis avec l’élection de Donald Trump, à l’heure où le RN tente de se dédiaboliser, malgré son lourd passé antisémite et raciste, il devient urgent de s’indigner et d’agir.

À LIRE AUSSI : “Depuis le 7 octobre, on observe une explosion des actes antisémites” : en France, les juifs s’interrogent sur leur avenir

Nous lançons aujourd’hui un appel à toute la gauche et à tous les républicains pour qu’ils s’engagent résolument dans la lutte contre toutes les formes d’antisémitisme.

Signataires :

DREYFUS Michel (CNRS)

TOURNIER Vincent (Institut d’études politiques de Grenoble)

LONGY Françoise (Univ. Strasbourg)

PANCZER Gérard (Univ. Lyon 1)

DUBREUCQ Eric (Univ. Strasbourg)

MARIGNAC Lucie (ENS-PSL)

ALLOUCHE Joëlle (GSRL, CNRS)

BENZAKEN Véronique (Univ. Paris-Saclay)

ATTIAS Claudine (EHESS)

SEPTIER Laurent (Univ. Côte d’Azur)

TAUBER Michele (Univ. Strasbourg)

CANNONE Belinda (Univ. Caen)

BATSCH Christophe (Univ. Lille)

MARTIN Thierry (Univ. Franche-Comté)

HEINICH Nathalie (CNRS)

ROBERT Jacques (Univ. Bordeaux)

SERMAIN Jean-Paul (Univ. Sorbonne Nouvelle)

GILBERT Jacques A (Univ. Nantes)

DENIS Gilles (Univ. Lille)

HUBELE Monica (Univ. Strasbourg)

ESTRIPEAUT Marie (Univ. Bordeaux)

NOVAK-LECHEVALIER Agathe (Univ. Paris-Nanterre)

FRANÇOIS Alexandre (CNRS)

CHAUVEAU Jacques (Sorbonne Université)

SECROUN Claude (Univ. Reims Champagne Ardenne)

CAZALE Claude (Univ. Paris Nanterre)

BÉNATOUIL Richard (Univ. Nantes)

ROSENFELD—KATZ Daniele (Univ. Paris 8 Vincennes Saint-Denis)

KANDEL Liliane (Univ. Paris Cité)

FONTAINE François (Univ. Lille)

FARKHONDEH Iris (Univ. Sorbonne Nouvelle)

DERYCKE Claire (Univ. Lille)

PRUM Michel (Univ. Paris Cité)

LAZARUS Anny (Univ. Montpellier 3)

SQUIRES Claire (Univ. Paris Cité)

CICCOLINI Joseph (Univ. Aix-Marseille)

DAVID Alain (Ancien directeur de programmes, Collège international de philosophie)

MECQUENEM Isabelle de (Univ. Reims Champagne Ardenne)

BALANCHE Fabrice (Univ. Lyon 2)

LE RU Véronique (Univ. Reims Champagne Ardenne)

KOTEK Joël (Univ. Libre Bruxelles)

SCHANDELER Jean-Pierre (CNRS)

DUPLAA Jean-Marie (Univ. Paris nord Sorbonne)

KINTZLER Catherine (Univ. Lille)

KAPLAN Michel (Univ. Paris 1, Panthéon Sorbonne)

SERGENT Bernard (CNRS)

CARLO Catherine (Univ. Lyon 2)

CALBA Caroline (Univ. Strasbourg)

MAUCOURANT Jérôme (Univ. Saint-Etienne)


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