C’est une promesse que Google ne tiendra pas. Le groupe a indiqué mardi qu’il ne renonce finalement pas, sur son navigateur Chrome, aux « cookies tiers », ces traceurs numériques qui sont un outil de ciblage précieux pour les publicitaires et les annonceurs. Dès 2020, le géant californien avait pourtant fait part de son intention de les bloquer, avant de repousser la mesure maintes fois depuis, jusqu’à carrément l’abandonner. Pour comprendre pourquoi, il est bon de rappeler quelques notions clés autour de ces éléments invisibles.
🍪 C’est quoi, déjà, un cookie ?
Il s’agit d’un « petit fichier stocké par un serveur dans le terminal (ordinateur, téléphone, etc.) d’un utilisateur et associé à un domaine Web (c’est-à-dire, dans la majorité des cas, à l’ensemble des pages d’un même site Web) », explique la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), chargée de veiller à la protection des données personnelles en France.
Grâce aux cookies, chaque navigation vers une nouvelle page Internet peut se faire sans que les actions précédentes ne soient oubliées. Leurs usages sont ainsi multiples : mémoriser ses identifiants sur un site marchand, le contenu courant d’un panier d’achat, la langue d’affichage de la page Web, un identifiant pour tracer sa navigation à des fins statistiques ou publicitaires…
👉 À noter qu’il existe deux types de cookies. Les « internes », d’une part, déposés sur le domaine du site consulté par l’internaute. « Ils peuvent être utilisés pour le bon fonctionnement du site ou pour collecter des données personnelles afin de suivre le comportement de l’utilisateur et servir à des finalités publicitaires », précise la Cnil. Et, d’autre part, les « tiers », déposés sur des domaines différents de celui du site principal. « Ces cookies peuvent aussi être nécessaires au bon fonctionnement du site mais ils servent majoritairement à permettre au tiers de voir quelles pages ont été visitées sur le site en question par un utilisateur et de collecter des informations sur lui, notamment à des fins publicitaires », ajoute l’organisme.
📚 Un peu d’histoire
C’est en 1994 que les cookies ont été imaginés par des ingénieurs de l’entreprise américaine Netscape, pionnière du World Wide Web. Ils travaillent alors « sur des serveurs permettant à leurs clients de mettre en place des solutions de commerce en ligne (…) et font face à un problème d’apparence insoluble : comment garder la trace des différents éléments qu’un client qui navigue sur un site Web ajoute à son panier ? » retrace Benjamin Poilvé, ingénieur expert à la Cnil, dans un article.
Des tests sont alors menés pour stocker ces informations dans l’URL des pages, mais se révèlent infructueux. « Cela conduit deux programmeurs, Lou Montulli et John Giannandrea, à proposer une solution permettant de stocker un “état” dans un nouvel objet qu’ils décident d’appeler “Persistent Client State HTTP Cookies” ou cookie, pour faire court », poursuit l’expert.
D’autres ingénieurs, notamment de l’organisme de normalisation américain IETF (Internet Engineering Task Force), ont à la même époque aussi cherché à garder des traces de la navigation des internautes. Mais face à la forte implémentation des cookies de Netscape, ils sont partis de cet outil pour élaborer un standard.
⛔ Une pratique encadrée
Reste que, très rapidement, des voix se sont inquiétées sur l’atteinte à la vie privée que peuvent représenter les cookies. Au niveau européen notamment, l’utilisation des cookies est encadrée par la réglementation. Ainsi, conformément au règlement général sur la protection des données (RGPD) et à la directive ePrivacy (ePR), les internautes doivent pouvoir contrôler l’activation des cookies et des traceurs qui collectent leurs données personnelles.
Cela se matérialise bien souvent par un bandeau qui s’ouvre en même temps que la page web que l’on veut visiter. Là, l’utilisateur peut accepter ou refuser l’activation de certains cookies.
🤑 Des milliards à la clé
Les éditeurs de sites Web, dépendants des cookies pour leurs revenus publicitaires, s’opposent à leur abandon. Il faut dire que les sommes en jeu sont colossales. La publicité numérique a représenté en 2024 près du quart (71,4 %) des recettes publicitaires mondiales, évaluées à 1 040 milliards de dollars (environ 912 milliards d’euros) par le GroupM dans son dernier rapport This Year Next Year. Soit près de 743 milliards de dollars (652 milliards d’euros), en hausse de 12,4 % sur un an.
Et la montagne d’argent suscité n’est pas prête de se tarir. D’après les prévisions de GroupM, le numérique va encore prendre plus d’ampleur (+10 %) et représenter 72,9 % des recettes publicitaires mondiales pour cette année 2025, attendues en hausse, soit 813 milliards de dollars (713 milliards d’euros). En 2029, ce taux devrait même atteindre 76,8 % et correspondre à une masse financière encore plus importante qu’aujourd’hui.
🤫 Le pourquoi de la volteface
Dans ce contexte, « il est clair que les perspectives divergent » entre « éditeurs de contenus, développeurs, régulateurs et l’industrie publicitaire » quant aux modifications éventuelles à apporter aux cookies, a reconnu mardi dans un message posté sur le blog de Google, Anthony Chavez, vice-président responsable de Privacy Sandbox, l’entité du géant américain consacrée à la gestion des données personnelles. D’où la décision finalement de ne pas s’en passer.
Mais les raisons sont en fait multiples. Selon le responsable, les avancées technologiques enregistrées depuis 2022 et la montée en puissance de l’intelligence artificielle (IA) ont offert de nouveaux moyens de protéger les données personnelles des internautes qui ne souhaitent pas les partager. Anthony Chavez mentionne aussi le paysage réglementaire qui a « considérablement évolué » dans le monde. « Pour toutes ces raisons, nous avons décidé de maintenir notre approche actuelle pour les cookies tiers dans Chrome », a justifié le dirigeant.
L’été dernier, quand Google avait déjà indiqué revenir sur sa décision de supprimer les cookies, l’autorité britannique sur la protection des données et l’accès à l’information avait dit regretter ce choix. « Nous pensons que bloquer les cookies tiers serait un pas en avant pour les consommateurs », avait réagi l’un de ses membres, Stephen Bonner. « Nous continuons à encourager l’industrie de la publicité numérique à mettre au point des alternatives plus respectueuses de la confidentialité des données et à ne pas se servir de méthodes de pistage encore plus opaques », avait-il lancé. Un message peu suivi d’effet pour le moment.
À lire également
Agathe Perrier