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Morceaux choisis
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Sur LCI, l’ancien ministre de l’Éducation nationale a affirmé que les Ukrainiens avaient déclenché la guerre en 2014, et a insinué qu’ils étaient « bien partis » pour commettre des crimes de masses. Un dérapage de plus qui vient s’ajouter à son lourd palmarès.
Et celle de l’Ukraine qui a déclenché la guerre, vous la connaissez ? C’est sa dernière. Plus de 20 ans, déjà, qu’il n’est plus ministre de l’Éducation nationale, mais rien n’y fait. Luc Ferry fait partie de ces indéboulonnables de plateaux TV, capable de s’exprimer sur absolument tout, jamais freiné par un éclair de lucidité sur les limites de la pertinence de leurs analyses. Chroniqueur régulier du Figaro, c’est principalement sur LCI, à un rythme hebdomadaire, qu’il nous inonde désormais de sa pensée. Retour sur quelques-unes de ses pires sorties, entre non-sens, propos de table et narratifs complotistes.
La noyade russe
C’est une nouvelle perle à ajouter à son dossier, pas la plus drôle, mais assez détonante pour être relevée. Samedi 12 avril, lors de son émission hebdomadaire sur LCI, l’ancien ministre a donné son avis sur ces trois sujets à l’aide de ses connaissances : « Guerre commerciale, Trump assume, jusqu’à quand ? ; Fin de vie, un débat serein et sans tabou ? ; Partition de l’Ukraine, comme Berlin après 1945 ? » Alors évidemment, quand on ne sait pas trop quoi dire, et qu’on essaie d’être un peu original, le goût du contrepied pousse à se prendre les appuis dans le tapis.
« Invitez tous les intellectuels moralistes que vous voudrez, ils vous diront autre chose que moi, parce que je regarde les choses en face et parce que je pense que c’est l’Ukraine qui a déclenché cette guerre, avec la guerre du Donbass, et parce que je pense que c’était une connerie monumentale que de déclencher, en 2014, une guerre contre les russophones de l’Est », rien que ça. C’est, volontairement ou non, oublier que ce sont des troupes insurrectionnelles prorusses qui se sont soulevées contre le gouvernement ukrainien, bien aidés militairement par les Russes, qui menaient déjà une guerre hybride dans les deux oblasts en question. C’est oublier, également, que ce sont les Russes qui ont tenté de prendre Kiev, lors de leur offensive du 24 février 2022. Bref, Ferry se noie dans le narratif prorusse.
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Il se défend, affirmant volontiers s’extraire d’une soi-disant doxa : « Je sais que ça ne plaît pas à mes copains moralistes parce qu’il faut dire que Poutine c’est Hitler, mais non ! Poutine ce n’est pas Hitler. C’est un dictateur c’est quelqu’un qui assassine ses opposants […], ce n’est pas un homme sympathique, mais ce n’est pas Hitler. Il n’a pas encore tué 6 millions de juifs, en revanche les Ukrainiens étaient bien partis. » Par cette dernière phrase, l’ancien ministre pousse donc même la propagande jusqu’à laisser entendre que les Ukrainiens étaient sur le point de commettre un génocide, à deux doigts de répéter mot pour mot les propos de Vladimir Poutine, « contraint » d’envahir son voisin pour le « dénazifier ».
Baltes hasards
Ce n’est, hélas, pas la première fois que le géopolitologue amateur donne son avis sur l’est du continent européen. Le 11 octobre 2022, quelques mois après l’invasion de l’Ukraine, il affirmait déjà que « la Crimée est russe et doit rester russe ». Mais son domaine d’expertise fumeuse s’exporte un peu partout autour. Dimanche 3 mars 2024, toujours sur LCI, Luc Ferry s’est inscrit dans la lignée d’autres hommes et femmes politiques peu à l’aise sur la géographie, notamment au sujet des « pays baltes » qui ne « sont pas dans l’Otan » et « pas dans l’Union européenne ». Lorsqu’on lui demande quels sont les pays qu’il a en tête – sachant qu’aucun pays balte n’est dans ce cas de figure – l’ancien ministre de l’Éducation nationale a cité… le Monténégro et la Serbie. Deux pays des Balkans, donc pas des pays baltes. Raté. Ça arrive même aux plus fins experts…
Accusations de pédophilie contre un ministre
Autres propos visiblement dénués de liens avec la réalité, en mai 2011 : en direct du Grand Journal de Canal+, Luc Ferry affirme, sans donner de nom qu’un ancien ministre s’était « fait poisser », c’est-à-dire attraper, « à Marrakech dans une partouze avec des petits garçons ». Sa source ? Les « plus hautes autorités de l’État ». Rien que ça. Évidemment, une enquête a à l’époque été ouverte, Luc Ferry a été interrogé, tout comme l’ancien patron des Renseignements généraux Yves Bertrand, connu comme l’un des hommes les mieux informés de la République, qui tiendrait les secrets de chacun dans ses fameux carnets, dont Marianne avait partiellement révélé le contenu en 2013.
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Au final, point de réseau pédophile démantelé grâce aux alertes de Luc Ferry, ni d’anciens ministres mis sous les verrous ou même d’affaire de détournement de mineurs. Devant les enquêteurs, le très bavard Luc Ferry n’a été capable de donner aucun nom, confirmant qu’il n’avait que participé à propager des rumeurs. Quelques mois plus tard, l’affaire a été classée.
Appel à la répression
En 2019, sur Radio Classique, autre établissement où il a son rond de serviette, Luc Ferry évoque le mouvement des gilets jaunes. Évidemment, tout en nuance : « On ne donne pas les moyens aux policiers de mettre fin aux violences. Quand on voit des types qui tabassent à coups de pied un malheureux policier… qu’ils se servent de leurs armes une bonne fois, écoutez, ça suffit ! Il y a un moment où ces espèces de nervis, ces espèces de saloperies d’extrême droite ou d’extrême gauche, ou des quartiers, qui viennent taper du policier, ça suffit » Quelques minutes après avoir appelé à une plus grande violence policière contre les manifestants, il passe à l’étape supérieure, sans doute inspiré par les méthodes de certains régimes autoritaires pour mater les révoltes : « On a, je crois, la quatrième armée du monde, elle est capable de mettre fin à ces saloperies, il faut dire les choses comme elles sont. »
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Alpagué par de nombreux internautes sur ce que certains ont interprété comme un appel à tirer sur la foule, l’ancien ministre de Jacques Chirac avait ensuite rectifié le tir sur Twitter, en modérant ses propos, et en jouant la carte de la mauvaise compréhension par oreilles trop peu ouvertes : « Je n’ai évidemment jamais appelé à tirer sur les gilets jaunes dont je défends le mouvement depuis l’origine. Je demande simplement que les policiers puissent se servir comme ils le demandent de leurs armes non létales quand certains cherchent carrément à les tuer. Clair ? » Admettons. Une erreur, ça arrive.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne