Le scrutin présidentiel polonais s’annonçait serré et il l’a été. Mais, à la fin, un seul vainqueur : Karol Nawrocki, candidat nationaliste qui, avec 50,89 % des suffrages, devient le nouveau président de la Pologne, face au maire libéral de Varsovie, Rafal Trzaskowski. Un coup porté au gouvernement du Premier ministre Donald Tusk, qui espérait avoir à ses côtés un président en phase avec sa ligne politique et économique pro-européenne.
Âgé de 42 ans, le docteur en histoire et fan de Donald Trump succède à Andrzej Duda, un juriste issu des rangs du parti conservateur et eurosceptique Droit et Justice (PiS). Cette élection est donc une victoire pour ce mouvement politique dont certaines positions sociétales sont considérées comme issues de l’extrême droite.
Si en tant que Premier ministre Donald Tusk est celui qui commande la politique de la Pologne, son président dispose d’un outil stratégique redoutable pour entraver les réformes de son gouvernement : un pouvoir de veto au niveau législatif, qui ne peut être annulé que par une majorité des trois cinquièmes au parlement. Ce dont ne dispose pas l’exécutif pro-européen en place. De quoi l’inquiéter quant à sa capacité à déployer sa politique économique, diplomatique et étrangère librement. Une disposition qui inquiète également les marchés, alors que Donald Tusk est plutôt apprécié par les investisseurs. Le WIG 20, le principal indice boursier de Varsovie perdait 1,67 % aux alentours de midi ce lundi.
Capacité de nuisance plus forte
« Il est clair que l’élection de Karol Nawrocki est un vrai caillou dans la chaussure du gouvernement Tusk », confirme Lukas Macek, chercheur en charge de l’Europe centrale et orientale à l’Institut Jacques-Delors. « C’est la même situation, mais en pire car tout le travail législatif de la coalition gouvernementale actuelle risque d’être davantage entravé. » En effet, selon l’expert, bien que dans l’opposition, Andrzej Duda s’est montré « relativement accommodant » sur la fin de son second mandat.
Karol Nawrocki a plusieurs fois répété durant sa campagne qu’il s’opposerait à toute réforme n’allant pas dans l’intérêt premier des Polonais. Son slogan de campagne « La Pologne d’abord, les Polonais d’abord », en témoigne. Sur ce plan, l’un des totems du nouveau président est la remise en question des aides sociales accordées aux réfugiés de guerre ukrainiens.
Si pour Lukas Macek, il est difficile de prévoir dans l’immédiat les conséquences économiques de cette nouvelle donne politique, cette situation risque forcément de créer « moins de prévisibilité » dans le climat des affaires. Il développe : « Donald Tusk peut mener une partie de sa politique économique sans passer par le parlement, mais lorsqu’il devra passer par celui-ci pour légiférer, il sera forcément entravé par les députés de l’opposition et le nouveau président. »
D’autant que la politique qu’entend porter Karol Nawrocki diffère sur bien des points de celle de Donald Tusk. Là où ce dernier prône l’intégration de la Pologne à la politique économique libérale de l’UE, avec plus d’intégration au marché européen, Karol Nawrocki pousse pour plus de souveraineté. La politique climatique, notamment le pacte vert de l’UE, est aussi une bête noire du nouveau président polonais. Mais c’est surtout sur le plan sociétal que ce dernier entend mettre la pression législative sur Donald Tusk. Notamment au sujet du droit à l’avortement ou ceux des personnes LGBTQ+.
Pour l’expert de l’Institut Jacques-Delors, l’autre grand risque auquel devra faire face Donald Tusk est le suivant : la convocation d’élections législatives anticipées si sa coalition gouvernementale « hétéroclite », qui va du centre gauche au centre droit, explose.
Le « miracle économique » polonais comme atout
Face à ces entraves potentielles, Donald Tusk devra donc capitaliser sur un contexte macroéconomique relativement favorable. La Pologne peut en effet se targuer d’afficher de belles performances, certains parlant même de « miracle ». Le pays a connu un effet de rattrapage depuis son adhésion à l’UE en 2004. Le taux de croissance polonais a ainsi été supérieur à la moyenne européenne jusqu’en 2020, puis a ralenti avec la pandémie. Et même à ce moment, la Pologne a été l’une des économies les plus résilientes. Rien qu’en 2024, le PIB a progressé de 2,9 % et son PIB par habitant a tout simplement doublé depuis une vingtaine d’années, pointe l’OCDE.
La Pologne a tiré profit, ces dernières années, des investissements étrangers : elle est devenue l’un des pays les plus attractifs sur le Vieux Continent. D’après la Cnuced, les investissements directs à l’étranger (IDE) vers la Pologne ont représenté 28,6 milliards en 2023, le pays se classant 14e à l’échelle mondiale. Le pays d’Europe de l’Est dispose d’atouts indéniables : sa main-d’œuvre est qualifiée et moins chère, et il dispose d’un système fiscal attrayant pour les entreprises.
De son côté, Donald Tusk compte bien protéger et encourager l’élan économique polonais. Il a d’ailleurs affirmé que le pays avait pour ambition de dépasser les pays occidentaux du Vieux Continent, qui, selon lui, considéraient encore il y a peu les Polonais « avec dédain ». Dans ce contexte, Varsovie a annoncé en février un plan d’investissement massif de 155 milliards d’euros. Outre des dépenses dans les chemins de fer et les infrastructures routières, une grande enveloppe sera consacrée à la sécurité, le pays ayant une frontière commune avec la Russie et l’Ukraine. Varsovie compte, avec ce plan, attirer encore davantage les investisseurs. Des discussions ont déjà eu lieu avec Google, Amazon, IBM ou encore Microsoft.
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Margot Ruault et Mathieu Viviani