Benjamin Monnery est enseignant-chercheur en économie à l’Université Paris Nanterre et fondateur de l’Observatoire des disparités dans la justice pénale. Pour La Tribune, il revient sur la réalité économique de l’incarcération et sur les alternatives à moindres coûts.
LA TRIBUNE – Au cours de son allocution sur TF1 la semaine dernière, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité de louer des cellules de prison à l’étranger. Cela ressemble à un aveu de faiblesse, sept ans après le « Plan 15 000 places » annoncé par le président. Qu’est ce qui a échoué ?
BENJAMIN MONNERY – Le plan de construction de 15 000 places de prison, qui a été annoncé par Emmanuel Macron en 2018, patine. Il y a eu des rapports émanant de la Cour des comptes et de parlementaires qui montrent à quel point ce plan de construction est en retard. Pour ouvrir une prison en France, il faut quasiment une décennie entre la décision et le moment où les premiers détenus arrivent. La première grosse difficulté, c’est tout simplement que les maires et les habitants ne souhaitent bien souvent pas avoir une prison chez eux et font des recours administratifs et juridiques. Actuellement, il n’y a que 40 % des places de prison du plan qui ont été livrées.
Aussi, contrairement aux idées reçues, le flux d’incarcération est assez stable ces dernières années. Il n’y a pas beaucoup plus de détenus qui entrent aujourd’hui en prison, qu’il n’y en avait il y a un an, deux ans ou cinq ans. Cependant, ce qui a beaucoup changé, c’est la durée moyenne de détention. Les détenus passent nettement plus de temps en détention, avec des peines moyennes entre dix et douze mois. Cela crée un stock de détenus qui est de plus en plus gros et qui devient totalement ingérable. Nous avons ainsi actuellement 83 000 détenues pour 63 000 places.
Si Emmanuel Macron propose de louer des places de prisons à l’étranger, c’est que certains pays européens ne remplissent pas leurs prisons. Cela veut-il dire que d’autres modèles d’incarcération sont possibles ?
D’abord, il y a tout un tas d’explications démographiques. En Allemagne, la population vieillit. Mécaniquement, cela ne génère pas les mêmes dynamiques sur la délinquance. Ensuite, il y a des modèles vraiment très différents à travers l’Europe. Des pays comme la Grande-Bretagne — et désormais de plus en plus la France — incarcèrent beaucoup. Et puis, effectivement, l’Allemagne ainsi que de nombreux pays scandinaves sont en état de sous-population carcérale, leurs prisons se vident.
Ainsi, en Allemagne, ils sont à 70 % d’occupation, alors que nous sommes à 140 % de suroccupation ! Cette différence s’explique par une politique pénale différente. En Allemagne, aux Pays-Bas, en Norvège, on privilégie beaucoup plus les peines alternatives. Et lorsqu’il y a de l’incarcération dans ces pays, ce sont souvent des peines courtes, voire très courtes. En Norvège, par exemple, une peine de prison classique, c’est probablement de l’ordre de trois mois.
Des voix s’élèvent pour dénoncer le coût des prisons et donc des détenus. L’irruption de ce sujet dans le débat public est-elle proportionnelle à la croissance du secteur carcéral dans les finances publiques ?
Aujourd’hui nous avons 83 000 détenus en France, un niveau record qui se retrouve fatalement dans les finances publiques. Près de la moitié du budget du ministère de la Justice est absorbée par l’administration pénitentiaire, et donc quasi exclusivement par la gestion de la détention. Mais tout cela provient de décisions politiques. Le programme de construction de prisons, par exemple, coûte très cher aux finances publiques. Ces 15 000 places ont été évaluées autour de 11,5 milliards d’euros. Si on allait réellement au bout de ce plan — ce qui ne sera pas le cas –, on dépasserait largement ce chiffrage.
Chaque place à la construction coûte entre 300 000 et 400 000 euros à la collectivité. Un gros établissement un peu standard de 500 ou 600 places revient donc aux alentours de 200 millions d’euros. En construire des dizaines, ça devient vite très cher, d’autant plus qu’à ces coûts de construction il faut ajouter le coût de fonctionnement. Et donc, au total, un détenu, chaque année, coûte à la collectivité 50 000 euros.
La solution de faire contribuer les détenus à leur détention vous paraît-elle envisageable ?
Une grande partie d’entre eux n’est pas solvable, ce sont des indigents que l’État prend en charge. Même si on récupérait 1 000 euros par détenus par an, il faut les comparer aux 50 000 que coûte le détenu. C’est donc ridicule.
Dans un rapport de la Cour des comptes, auquel vous avez contribué, il est évoqué le coût moindre des peines alternatives (bracelet électronique, travaux d’intérêt général, etc.) ainsi que le taux de récidive pour les condamnés à ces peines. Est ce une bonne solution ?
Ce qui est sûr, c’est que ça coûte beaucoup moins cher que la prison. Le coût d’une peine de travail d’intérêt général pour la collectivité est de 1 500 euros sur toute sa durée, tandis qu’un bracelet électronique coûte environ 3 000 euros. Ensuite, sur la récidive, on démontre que le bracelet électronique semble en effet plus efficace que l’emprisonnement ferme.
Cependant, il n’y a pas d’écart dans les taux de récidive entre un détenu et un condamné à une peine d’intérêt général. C’est un résultat qui a surpris, parce que beaucoup de personnes avaient un a priori favorable aux travaux d’intérêt général, mais ce n’est pas aussi simple que ça. En tout cas, il y a une rationalité économique à privilégier les peines alternatives, car elles coûtent moins cher.
Quelles sont les perspectives à court et moyen terme ?
La population carcérale, à court et moyen terme, ne peut pas diminuer parce qu’il n’y a aucune décision qui est prise qui serait de nature à inverser la courbe. Cette dernière va donc continuer d’augmenter. Dans les projections les plus pessimistes, on aurait ainsi 400 à 500 détenus supplémentaires chaque mois. Ce serait une dynamique intenable et que personne n’avait anticipé il y a encore quelques années. De plus, elle mettrait vraiment en péril l’administration pénitentiaire, soit parce que les détenus vont se rebeller, soit parce que les surveillants vont dire « stop ». Si la situation continue d’empirer, le coût pour les finances publiques ne pourra que s’alourdir.
De plus la nécessité de financer la sécurité des prisons se fera sentir. La direction de l’administration pénitentiaire sait très bien qu’elle va au-devant d’énormes difficultés qui passeront soit par des mutineries de détenus, soit par des grèves de surveillants. Actuellement, il y a presque 10 % des surveillants pénitentiaires en arrêt maladie, notamment parce que le nombre de surveillants théorique est basé sur la capacité des établissements et non sur le nombre de détenus. La situation est intenable.
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Propos recueillis par Julien Gouesmat