Des fissures qui s’agrandissent d’année en année sur les façades ou au sol, sous le carrelage ou sous les toits, une maison qui s’affaisse, c’est le cauchemar vécu par Véronique Estève. « Quand il fait chaud, j’entends la maison craquer. J’ai vu tomber des briques des cloisons dans les couloirs et du plâtre du plafond de la chambre, témoigne cette habitante de Chancelade, près de Périgueux, en Dordogne. Je ne peux plus ouvrir la porte de ma véranda parce que le sol a bougé. Chaque année, ça s’aggrave et je n’ai absolument pas les moyens d’engager des réparations. »
200 maisons fissurées
Contrairement à toutes celles qui l’entourent, la commune de Chancelade n’a pas été déclarée en état de catastrophe naturelle après la sécheresse de 2022. L’assureur de Véronique Estève, la MAIF, ne lui remboursera donc pas un centime !
C’est pour obtenir ce fameux arrêté que se bat depuis cinq ans Pascal Serre, le maire. Sa commune compte près de 200 maisons fissurées à cause de ce problème retrait-gonflement des argiles (RGA), soit 7 % de son patrimoine total. Plus largement, la Nouvelle-Aquitaine est la troisième région la plus concernée par cette typologie de sinistres derrière le Centre-Val de Loire et l’Occitanie.
L’édile a donc déposé un recours contre l’État auprès du tribunal administratif de Bordeaux, au motif que « les critères d’analyse de la nature du sol sont obsolètes. Ils datent d’il y a plus de 30 ans, voire 50 ans et ne prennent pas en compte le dérèglement climatique en cours depuis une vingtaine d’années. Une réforme est prévue mais elle est bloquée entre l’Assemblée et le Sénat car les compagnies d’assurances font du lobbying ! Si elle est positive, j’espère que la décision fera jurisprudence car au-delà des réglementations, ce sont des drames humains. »
Aujourd’hui, cartographie à l’appui, Pascal Serre informe de ces risques géologiques toute personne qui dépose une demande de permis de construire dans sa commune. Au niveau national, le gouvernement a lui mis en place le portail Géorisques.
Éloigner l’eau de pluie et la végétation
Les maisons fissurées sont difficilement réparables et le tarif moyen d’un traitement des fondations par micro-pieux avoisine les 150 000 euros. Le maître-mot aujourd’hui, c’est la prévention pour les futures constructions. « Au-delà d’une étude des sols poussée, il faut éloigner de la maison les eaux de ruissellement ou les eaux pluviales par un jeu de contre-pentes, un trottoir périphérique ou un drainage pour éviter qu’elles ne s’écoulent vers les fondations et que le sol se retrouve gorgé d’eau », détaille Yohann Glasson, membre du collectif d’experts et d’avocats Koudepouce, basé à Lyon mais d’envergure nationale, dédié à la prévention et du traitement des pathologies du bâti, et du site d’information www.fissuration.fr. « Il faut également éloigner la végétation dont les racines peuvent se développer horizontalement et venir pomper l’eau sous la maison en provoquant une rétractation du sol. »
Les assureurs à la manœuvre
Accusés de tout faire pour échapper à l’indemnisation, les assureurs ont eux lancé un vaste projet sur 5 ans, baptisé « Initiative sécheresse », afin de redorer leur blason. « Nous allons proposer gratuitement aux propriétaires de 230 maisons déjà sinistrées des solutions de réparation et de protection additionnelles, affirme Christophe Delcamp, directeur des assurances de dommages et responsabilités au sein de la fédération France assureurs. Des capteurs seront posés pendant trois ans sur ces bâtiments pour comprendre comment ils réagissent. Des mesures de prévention seront également offertes aux propriétaires de 100 autres maisons situées dans des zones à risques comme l’Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine, avant que le dommage ne se soit manifesté. »
Ce projet à plusieurs millions d’euros est en partie subventionné par l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Selon la Cour des comptes, plus de 60 % des propriétaires sinistrés situés pourtant dans une commune déclarée en état de catastrophe naturelle ne sont pas indemnisés, soit à cause d’une demande arrivée hors délai, soit parce que l’expert de leur assurance estime que le RGA n’est pas la cause déterminante des dégâts.