Joseph Oughourlian, le président de Lens, se démarque par son attitude très critique depuis plusieurs mois au sein du football français. En temps normal, l’homme d’affaires joue la discrétion et oeuvre surtout à investir avec son fonds d’investissement activiste.
En principe, il n’aurait pas dû se retrouver de la sorte sous les feux des projecteurs. Avec ses prises de position dans le dossier des droits TV de la Ligue 1, Joseph Oughourlian apparaît comme l’un des meneurs de la fronde au sein du football français. Son égal américano-lyonnais John Textor aurait pu prendre toute la lumière, au regard de son expression publique particulièrement cash. Mais les fuites des enregistrements de conseils d’administration de la Ligue de football professionnel (LFP) ont permis d’entendre les propos très tranchés et le courage du président du RC Lens. Qui, il n’y a même pas un an, n’était qu’un homme de l’ombre.
C’est lui qui, dans les derniers audios révélés par l’After Foot sur RMC, dénonce en février la “bêtise collective” des dirigeants de la LFP et de ses homologues devant eux. Dans la précédente fuite, d’une réunion datant de l’été, c’est lui qui prédit le fiasco de la politique tarifaire de DAZN et qui ose tenir tête à Nasser Al-Khelaïfi, patron du Paris Saint-Germain. Une prise de parole publique existe tout de même. “L’erreur DAZN est pire que celle de Mediapro”,
Jusqu’à cette saison, la discrétion le caractérisait. Lorsque le RC Lens séduit lors des saisons 2020-2021 et 2021-2022, avant de briller avec la deuxième place en 2022-2023, Franck Haise prend la lumière avec le directeur général Arnaud Pouille et le coordinateur sportif Florent Ghisolfi. Propriétaire du club depuis 2016 avec sa société Solférino, unique actionnaire depuis 2017, président depuis 2018, Joseph Oughourlian gardait un oeil attentif sur les affaires courantes. Mais avec distance. “Sur les quatre ans et demi auprès des pros, je n’ai heureusement pas eu beaucoup d’ingérence”, observait Franck Haise auprès de L’Équipe. “Je n’ai pas nécessité d’intervenir si les gens font leur boulot. Je parle quand j’ai quelque chose à dire”, confiait-il en septembre 2023 au micro de RMC, dans l’une de ses rares sorties médiatiques.
S’il demeure relativement loin des micros, Joseph Oughourlian s’est en revanche décidé à être beaucoup plus actif. Sa reprise en main du club, l’été dernier, a été remarquée avec notamment le départ d’Arnaud Pouille pour “divergences de vision stratégique”. Il n’a guère apprécié que le club tombe dans une augmentation significative des dépenses. “Je ne pense pas que l’on va revoir le Racing dépenser ce type de montant de si tôt”, disait-il sur le recrutement d’Elye Wahi à 30 millions d’euros. Le manque de recettes après une saison de Ligue des champions l’a aussi frustré. “On n’a pas mis ce que j’aurais aimé que l’on mette de côté pour avoir une stabilité financière”, avait-il déploré, appelant à “revenir à une forme d’intelligence sportive perdue depuis 18 mois”. Comme s’il avait anticipé le déraillement sur les droits TV. Une affaire qui se jouait en coulisses au même moment.
“J’ai toujours été attiré par la finance”
Après tout, son coeur de métier est de bien compter et prévoir. Petit-fils de vice-gouverneur de la banque centrale du Liban, Joseph Oughourlian (53 ans) est d’abord un homme de finance qui a commencé à la Société Générale à New York et qui a monté un petit empire avec son fonds Amber Capital depuis 2005.
“J’ai toujours été attiré par la finance”, confirmait-il au magazine des anciens de Sciences Po. “J’ai effectué mon premier stage dans la salle de trading d’une banque à Londres. J’ai adoré les marchés financiers. Un temps, j’ai tout de même pensé à faire l’ENA. J’étais d’ailleurs inscrit en service public mais, en troisième année, je me suis vite rendu compte que ce n’était pas pour moi”. Sa spécialité depuis ses bureaux londoniens? Prendre des parts dans des entreprises en difficulté, imposer des changements de gouvernance pour prendre des profits d’une manière ou d’une autre.
Ce qui correspond plutôt bien à ce qui s’est passé au RC Lens, même si l’opération n’a pas impliqué Amber Capital. “Ce qui était attirant, c’était le côté financier, parce qu’on rachetait le club pour rien, en sachant qu’il fallait tout de suite mettre de l’argent dedans. Le club fait des pertes structurelles, mais on se disait qu’on pouvait équilibrer les comptes”, racontait à Mediacités celui qui avait commencé dans le football… en Colombie. En 2015, Joseph Oughourlian, également actionnaire à Padoue et Saragosse, avait repris Millonarios de Bogota, d’où sa grand-mère est en partie originaire.
Il a fait tomber Arnaud Lagardère
Si le football a beau être l’activité phare du point de vue du grand public français, l’influence de Joseph Oughourlian se mesure autrement. Et principalement par le fait qu’Amber Capital est l’actionnaire majoritaire (29,9%) du groupe de presse espagnol Prisa. Il s’agit de l’éditeur d’El Pais, le premier journal d’information générale du pays, mais aussi du quotidien sportif AS et de la première radio généraliste Cadena SER. Joseph Oughourlian en est d’ailleurs le président depuis 2021. Un poste toutefois menacé par une probable offensive d’actionnaires proches du gouvernement de gauche du socialiste Pedro Sanchez.
Avec plus d’un milliard d’euros d’actifs, Amber Capital a aussi fait voler des quilles chez Nexans, Lactalis, Solocal, Suez ou encore Gameloft, entre autres. Ce n’est presque rien à côté du combat titanesque mené chez Lagardère, où Joseph Oughourlian a directement contribué à faire tomber… Arnaud Lagardère. Une manoeuvre réalisée avec le groupe Vivendi de Vincent Bolloré, qui en a profité pour faire virer les médias du groupe à l’extrême droite.
“On a fait notre travail, on était concentrés sur une meilleure gouvernance, une meilleure gestion, une vraie stratégie qui faisait du sens pour la société. Le travail a été accompli. On avait un bon prix d’entrée, on fait une très bonne opération”,