L’annonce d’une réserve stratégique de bitcoins aux États-Unis, aussi spectaculaire qu’attendue, illustre le soutien tangible de Donald Trump envers les cryptomonnaies. Nous analysons ce que l’administration américaine désigne comme un « Fort Knox numérique », une initiative susceptible d’apporter une légitimité nouvelle à ce domaine controversé.
Que prévoit le décret de Donald Trump ?
Le 6 mars, le président des États-Unis a promulgué un décret établissant une « réserve stratégique » constituée de 200 000 bitcoins, d’une valeur approximative de 17 milliards de dollars, confisqués lors de procédures civiles et pénales sur le territoire américain. Cette réserve sera maintenue pour une durée indéterminée. Le conseiller de la Maison-Blanche aux cryptomonnaies, David Sacks compare ce stock à celui des lingots d’or entreposés sur la base militaire de Fort Knox aux États-Unis.
Ces réserves d’or permettent traditionnellement aux nations de se prémunir contre les aléas économiques, de stabiliser leur monnaie ou de servir de garantie pour des emprunts et des échanges commerciaux. L’introduction du bitcoin offrira une occasion de diversification des réserves américaines.
Outre l’or, des réserves stratégiques sont également constituées pour assurer qu’un pays dispose de ressources vitales en cas de crise ou de pénurie, telles que le gaz ou le pétrole, mais aussi le riz en Asie.
Pourquoi la cryptosphère est-elle déçue ?
Le secteur déplore l’absence actuelle d’une stratégie d’acquisitions publiques. Néanmoins, le document envisage l’éventualité d’obtenir davantage de bitcoins, à condition que cela n’engendre pas de charges supplémentaires pour les contribuables américains.
Les États-Unis sont par ailleurs « légalement tenus de restituer les bitcoins des utilisateurs identifiés comme victimes du piratage » de la plateforme d’échange Bitfinex en 2016, ce qui pourrait amputer de près de moitié la réserve américaine, indique Dessislava Aubert, analyste pour la société Kaiko.
En outre, le décret envisage l’inclusion d’autres “actifs numériques” sans toutefois en spécifier la nature, ce qui suscite la déception du secteur. Donald Trump avait précédemment identifié, début mars, quatre cryptomonnaies supplémentaires en plus du bitcoin : l’ether, qui occupe la deuxième place en importance, ainsi que trois devises numériques de moindre envergure (XRP, Solana et Cardano).
Quelles craintes entourent le projet ?
Les opposants au projet mettent en avant la nature spéculative et volatile des cryptomonnaies, dépourvues de valeur intrinsèque, en contraste avec l’or. Néanmoins, David Sacks avance que l’approche à long terme du gouvernement américain dans la détention de ces actifs le protège des fluctuations à court terme.
Facilement transférable et divisible, le bitcoin est « un actif rare [ses émissions sont limitées à 21 millions d’unités] beaucoup plus adapté au monde d’aujourd’hui », qui permet de s’affranchir du dollar, estime pour sa part Stéphane Ifrah, directeur de l’investissement chez Coinhouse. Pour l’ingénieure Molly White, éminente critique des cryptomonnaies, cette réserve n’a d’autre intérêt que « de susciter l’intérêt pour l’industrie de la crypto », pour qui sa création s’avère « très rentable ».
La question des conflits d’intérêts se pose concernant le président américain, qui a ardemment soutenu les cryptomonnaies durant sa campagne, en partie financée par ce secteur. Selon le Wall Street Journal, la famille Trump envisagerait une participation dans la plateforme Binance, bien que le fondateur ait démenti cette information. Par ailleurs, Donald Trump a lancé sa propre monnaie numérique peu avant son investiture, laquelle aurait généré 350 millions de dollars d’après le Financial Times.
Et ailleurs ?
Plusieurs États procèdent régulièrement à la cession d’actifs numériques confisqués lors de procédures judiciaires, ce qui peut parfois entraîner des fluctuations des cours, comme ce fut le cas à l’été 2024 lorsque l’Allemagne s’est départie de 50 000 bitcoins. Certains pays s’engagent déjà activement dans l’achat et la revente de cryptomonnaies, à l’instar du Salvador qui avait fait du bitcoin l’une de ses devises officielles, avant de revenir sur sa décision en début d’année face à l’échec de son adoption par la population.
Le Bhoutan possède un portefeuille de bitcoins d’une valeur approximative de 900 millions de dollars, une somme qui, bien que modeste en apparence, représente près de 30 % du produit intérieur brut de ce petit royaume himalayen. Parallèlement, certaines nations, à l’instar du Brésil, envisagent la création d’une réserve nationale en cryptomonnaies, tandis que d’autres, comme la Suisse, dont la banque centrale a récemment rejeté l’idée d’intégrer le bitcoin dans ses actifs de réserve, adoptent une position plus conservatrice.
(Avec AFP)
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