Olivier Andriès, le directeur général de Safran, n’a pas mâché ses mots ce lundi devant la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale sur les freins à la réindustrialisation : « chaque fois que j’aurai un choix de localisation, je bannirai une offre faite par une ville détenue par une majorité écologiste. Ce n’est pas politique mais à partir du moment où on oublie l’intérêt national, où on a une attitude égoïste et où on ne comprend pas que 500 emplois sont importants pour le territoire et la vie des personnes, je dis que ce n’est pas la peine ».
Devant la représentation nationale, le dirigeant du groupe, qui pèse 27,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2024, a fait référence à l’accueil réservé par les Écologistes de la métropole de Rennes, il y a un an, au projet d’usine destiné à la production d’aubages de turbine pour ses programmes de motorisation M88 dans le domaine militaire et LEAP dans le domaine civil.
Au terme d’un investissement de 80 millions d’euros, celle-ci devrait bien ouvrir ses portes courant 2027 mais visiblement, Olivier Andriès n’a pas apprécié la levée de boucliers d’une partie de la majorité métropolitaine rennaise.
Une 4ᵉ usine de frein carbone en région lyonnaise
En région lyonnaise, ces propos ravivent les inquiétudes, et les polémiques, concernant le projet de construction de la quatrième usine mondiale de freins carbone de Safran. Un dossier au long cours et aux multiples rebondissements, depuis l’annonce en 2019 par Emmanuel Macron en personne, de l’implantation de cette usine sur le territoire de la métropole lyonnaise.
Cette dernière mettait alors à la disposition de l’industriel un terrain de 14 hectares situé à Feyzin, dans la Vallée de la Chimie. A la clé, un investissement alors annoncé à plus de 230 millions d’euros, associé à la création de 200 emplois. Le plan prévoyait alors un lancement opérationnel courant 2024, avec une complémentarité avec son site de Villeurbanne, tout proche, qui accueille le centre de R&D de Safran et une des trois usines de freins carbone du groupe.
Mais par deux fois, Safran a revu sa copie. La première fois en 2020, en raison du Covid. La seconde, en 2022, en raison de l’explosion du prix de l’énergie. Olivier Andriès expliquait alors préférer reporter sa décision de 18 à 24 mois car l’augmentation significative du prix de l’électricité remettait en cause, selon lui, la rentabilité du projet de Feyzin, l’énergie représentant 40% du coût de fabrication des freins carbone. Un report associé à une mise en compétition de la région lyonnaise, avec l’Oregon et le Québec.
Une implantation envisagée plutôt dans la Plaine de l’Ain
En ce début de second trimestre 2025, soit six ans après l’annonce de l’implantation en région lyonnaise, Safran n’a toujours pas tranché.
« Trois implantations sont toujours à l’étude. La région lyonnaise à proximité de notre centre technologique et de production de Villeurbanne, est toujours étudiée au même titre que l’Oregon aux États-Unis et le Québec. Les critères majeurs à prendre en compte dans le choix de l’implantation restent les mêmes : non seulement bénéficier d’une énergie décarbonée compétitive, mais aussi d’une visibilité et d’une garantie à long terme sur ces coûts », explique ainsi à La Tribune une porte-parole du groupe.
La région lyonnaise serait donc bien toujours dans la course, selon Safran. En revanche, ce n’est plus la Vallée de la Chimie qui est dans la balance, comme annoncé en 2023, le site ayant par conséquent été réaffecté à un projet d’éco-parc.
Interrogé sur le lieu précis envisagé, Safran évoque une zone « à grosse maille dans la région lyonnaise, à proximité de (son) centre technologique et de production de Villeurbanne ».
Selon nos informations, confirmées par plusieurs sources, il s’agit du PIPA, le Parc Industriel de la Plaine de l’Ain, plus grand parc industriel de la région Auvergne Rhône-Alpes (1.000 hectares, 185 entreprises, 8.000 emplois), situé à une trentaine de kilomètres de Lyon.
Et si le PIPA doit se battre sur les mêmes problématiques que celles évoquées précédemment, en particulier celles des tarifs de l’électricité, il n’a pas, en revanche, cette coloration écologiste devenue visiblement un handicap aux yeux d’Olivier Andriès, le DG de Safran. En effet, le Pipa est implanté dans le Département de l’Ain, présidé par un élu LR, Jean Deguerry. Certes, à la gouvernance du syndicat mixte il y a bien la métropole écologiste de Lyon, mais elle y siège aux côtés du Département de l’Ain, de la Région AuRA (LR) et de la communauté de communes de la Plaine de l’Ain pilotée par Jean-Louis Guyader (UDI).
Des élus locaux toutefois favorables au projet
La présence de la Métropole lyonnaise serait d’autant moins un handicap pour le PIPA que le président de la Métropole, Bruno Bernard, assure que sa collectivité a toujours accompagné Safran pour faciliter son implantation sur le territoire.
« Nous ne nous sentons pas du tout concernés ni ciblés par les récentes déclarations d’Olivier Andriès. Les relations sont bonnes », indique une porte-parole de la Métropole.
Mais pour Gilles Gascon, maire LR de Saint-Priest (commune de la Métropole de Lyon), tout n’est pas si clair. L’élu cite, pour preuve, une interview d’Olivier Andriès en décembre dernier dans le Figaro, où celui-ci expliquait : « La majorité écologiste de la communauté urbaine nous a fait comprendre que nous n’étions pas forcément le bienvenu ».
Pour le maire de Saint-Priest, « à force de confusion entre écologie et idéologie, à force de déclarations lénifiantes et de décisions en catimini, ce sont des centaines d’emplois industriels qui s’évanouissent ».
Une position peu ou prou partagée par la Région : « le comportement dogmatique et idéologique des écologistes dans la Métropole de Lyon comme partout en France, constitue un frein à l’implantation d’industries de pointe ».
La décision de Safran est attendue d’ici à cet été. Aucun des acteurs impliqués dans ce dossier n’a pour le moment été informé que la possibilité d’une implantation dans l’Ain serait désormais écartée définitivement.
Réindustrialisation : une commission d’enquête passe au crible les freins
Les propos tenus en début de semaine par le directeur général de Safran remettent en lumière une énième fois une commission d’enquête parlementaire qui a fraîchement débuté ses travaux. Dédiée aux freins à la réindustrialisation en France, celle-ci est tenue par deux jeunes députés, Alexandre Loubet (RN) et Charles Rodwell (Ensemble), rompus à la pratique des réseaux sociaux, mais aussi très sensibles aux questions industrielles.
Le duo, qui est favorable à la suppression de la CNDP pour les dossiers industriels, veut sauver la timide dynamique de réindustrialisation enregistrée par la France entre 2017 et 2023, avant la dégringolade à compter de l’année 2024. Bien qu’Alexandre Loubet et Charles Rodweel partagent deux visions différentes pour le soutien aux entreprises, tous deux sont inquiets du bilan comptable de l’année industrielle 2024 : celle-ci a enregistré davantage de fermetures d’usines en France que d’ouvertures. La dynamique est beaucoup plus nuancée si les calculs prennent en compte les extensions industrielles, comme le martèle sans relâche la direction générale des entreprises.
Néanmoins, les points positifs dans la santé industrielle du pays sont atténués par le taux d’activité du moment. Selon les derniers bilans mensuels de l’Insee, les mois de décembre 2024, mais surtout janvier et février 2025, ont marqué un recul de la production industrielle dans l’Hexagone. Pour Alexandre Loubet, la solution est toute trouvée : « l’écologie est un frein à la réindustrialisation », persiste le député.
Pierrick Merlet