Sanctions peu sévères et marché lucratif : les médicaments, ce nouveau butin des trafiquants

Marianne - News

https://resize.marianne.net/img/var/ceKjT7xvHo/asovnLYyLZpZvc7pg/asovnLYyLZpZvc7pg.jpg









Sanctions peu sévères et marché lucratif : les médicaments, ce nouveau butin des trafiquants





















Des médicaments anticancéreux ont été dérobés dans les locaux du fournisseur en produits de santé de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).
GILE MICHEL/SIPA

Business juteux

Par

Publié le

Des médicaments anticancéreux ont récemment été dérobés dans les locaux du fournisseur en produits de santé de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), pour un préjudice total d’un million d’euros. À l’instar des psychotropes et des analgésiques, ce type de traitements très onéreux est dans le viseur des trafiquants. L’ampleur du commerce illicite de médicaments a dépassé celle des stupéfiants – le résultat d’un manque de réaction du législateur et de sanctions trop peu sévères.

Les médicaments, dans le viseur des trafiquants ? À deux jours d’intervalle, les locaux de l’Agence générale des équipements et produits de santé (AGEPS) à Nanterre (Hauts-de-Seine) – le fournisseur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) – ont été pris pour cible. Ainsi, dans la nuit du lundi 21 au mardi 22 avril, des équipements et des produits de santé ont été dérobés, au surlendemain du vol de médicaments anticancéreux dont le préjudice est estimé à un million d’euros. Si cet incident sera « sans conséquence sur la prise en charge des patients », comme l’assure l’AP-HP, une enquête a été ouverte et confiée à la brigade de répression du banditisme pour déterminer les circonstances et le préjudice total de ces vols.

Les locaux de l’AGEPS n’en sont pas à leur première intrusion. En décembre 2023, des voleurs y avaient déjà dérobé une palette de Keytruda, un anticancéreux, pour une somme totale de près de deux millions d’euros, comme le rappelle Le Parisien. Et pour cause, les fournisseurs en produits de santé sont devenus une cible de choix pour les voleurs – le trafic de médicaments, notamment contre le cancer, s’avérant de plus en plus juteux.

À LIRE AUSSI : Pénurie de médicaments : comment en est-on arrivés là ?

Toujours selon le quotidien local, un flacon de 4 ml de Keytruda est vendu 2 400 euros par le fabricant américain Merck-MSD. Plus globalement, ce type de traitement se revend « majoritairement au Maghreb et en Égypte » à des prix exorbitants, entre 1 500 et 15 000 euros la boîte. « Les marchés illicites de vente d’anticancéreux se sont développés à destination des pays où les populations n’y ont pas accès gratuitement et où se multiplient les ruptures de stocks », nous informe Alexandra Martin, députée LR des Alpes-Maritimes, qui s’est penchée sur le sujet du trafic de médicaments dès 2023.

Les pharmacies prises pour cible

Outre l’AGEPS et autres fournisseurs d’hôpitaux, les pharmaciens demeurent les principales victimes des trafiquants. Fausses ordonnances, prêts de carte Vitale, vols à l’étalage… « Il existe tout un éventail de pratiques illégales pour se procurer des médicaments dans les officines », note Maître Diane Tourret, avocate en droit de la santé.

Et si, aux yeux des voleurs, les pharmacies deviennent tout aussi attirantes que les bijouteries, c’est parce qu’elles regorgent non seulement de traitements onéreux tels que les anticancéreux, mais également de psychotropes, très recherchés pour leurs effets planants et euphorisants. Parmi eux, on trouve notamment le Subutex, qui contient une substance proche de la morphine, le Fentanyl (un analgésique) mais également le Lyrica – un puissant anxiolytique, également appelé « la drogue du pauvre » et revendu à 2 ou 3 euros la gélule sur le marché noir, au milieu des autres stupéfiants.

À LIRE AUSSI : Trafic de drogue : fonctionnaires corrompus, flics en sous-effectifs… Ces 5 fautes majeures de l’État

« Parmi mes clients, j’ai beaucoup d’anciens “stupeux” qui se sont intéressés au trafic de médicaments parce qu’ils sentent que la lumière est actuellement braquée sur les drogues », affirme Maître David Curiel, avocat pénaliste au Barreau de Paris, alors que les sénateurs ont approuvé, le 1er avril dernier, la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.

Des sanctions moins sévères

Signe de cet engouement chez les trafiquants : de « deux ou trois dossiers actifs » concernant ce type de délit en 2023, l’avocat assure aujourd’hui en collectionner une quinzaine. « C’est comme un entrepreneur qui sent que son business est en train de péricliter et qui se réoriente pour faire davantage de marges », renchérit-il.

Un revirement d’autant plus intéressant que les peines encourues sont beaucoup moins sévères. Alors qu’un individu peut écoper d’une peine de 30 ans de réclusion criminelle et de 7 millions d’euros d’amende pour trafic de drogues, les sanctions, concernant les médicaments, ne dépassent pas sept ans de prison et 750 000 euros d’amende.

« S’agissant des trafics importants, qui impliquent des sommes astronomiques de médicaments et des enjeux de santé publique, les juges commencent à appliquer des “grosses” peines, autour de cinq ans de prison, constate Maître David Curiel. Mais en moyenne, elles ne dépassent pas trois ans alors que ce quantum n’existe quasiment plus dans le trafic de drogues. »

À LIRE AUSSI : Natacha Polony : “Face à la pénurie de médicaments, la France coincée ?”

Résultat : « Aujourd’hui, le trafic de médicaments rapporte dix à vingt fois plus que celui de l’héroïne », souligne la députée Alexandra Martin. En 2023 puis en 2024, cette dernière a déposé une proposition de loi « visant à sanctionner plus durement » ce commerce illicite, en augmentant le quantum de la peine à 20 ans de prison et 2 millions d’euros d’amende.

Mais deux ans plus tard, c’est le statu quo. D’un côté, les députés LR, « ni dans la majorité, ni dans l’opposition », ne parviennent pas à s’imposer dans une Assemblée plus que divisée. Et de l’autre, la passivité des parlementaires qui « ne semblent pas avoir pris la mesure de l’ampleur » du trafic de médicaments, regrette Maître David Curiel.

Et ce dernier de poursuivre : « Le législateur attend d’être au pied du mur pour réagir. Il faudrait un élément déclencheur à même de créer l’émoi dans l’opinion publique pour que les députés se saisissent du problème. » En attendant, le phénomène s’enlise. En 2023, le trafic de médicaments lié aux fausses ordonnances a augmenté de 36 %. Plus globalement, cette même année, ce type de délit a coûté 7,6 millions d’euros à l’Assurance Maladie.


Nos abonnés aiment

Plus de Société

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne

0 0 votes
Article Rating
S’abonner
Notification pour
guest
0 Comments
Le plus populaire
Le plus récent Le plus ancien
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

Welcome Back!

Login to your account below

Create New Account!

Fill the forms below to register

Retrieve your password

Please enter your username or email address to reset your password.

Add New Playlist

0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x
Are you sure want to unlock this post?
Unlock left : 0
Are you sure want to cancel subscription?