Un cap, un tournant, un mur du son… Les invités aux tables rondes sur la santé mentale, qui se tenaient dans le cadre d’Impacts Santé, ont tous salué les prises de parole récentes, notamment de journalistes, comme Nicolas Demorand, sur sa bipolarité, et Bertrand Chameroy (y compris dans La Tribune Dimanche), sur sa dépression. Ils ont en effet brisé un tabou, celui de la santé mentale, et fait franchir une étape à la France, comme cela a été le cas il y a plusieurs années dans certains pays anglo-saxons.
L’Hexagone était en effet en retard. D’autant que d’après Santé publique France, 16 % de la population générale est affectée par un état dépressif et 23 % par un trouble anxieux. Une dégradation marquée depuis la pandémie de Covid-19 (+ 6 à 9 points comparé à 2017). En outre, l’OMS estime qu’un Français sur cinq sera touché par un trouble psychique au cours de sa vie…
Certes, cette détérioration, particulièrement visible chez les femmes et les jeunes, touche de nombreux pays, notamment en Europe, selon Angèle Malatre-Lansac, déléguée générale de l’Alliance pour la Santé Mentale, une association créée en 2024 qui fédère les acteurs de la santé mentale, avec l’objectif de prévenir les troubles et de promouvoir une meilleure santé mentale. D’autres statistiques, en revanche, illustrent une exception française. Celle du travail. Ainsi, le dernier baromètre du cabinet Empreinte Humaine, rendu public au début du mois d’avril, montre que 45 % des salariés français souffrent de détresse psychologique. En outre, les données de l’Assurance maladie, analysées par Axa France, révèlent que les troubles psychologiques, le stress et le burn-out sont devenus la première cause d’arrêts maladie de longue durée.
Un travail« qui fait mal »
Que se passe-t-il donc dans les entreprises ? Pour Dominique Méda, professeure de sociologie à l’université Paris-Dauphine-PSL et présidente de l’Institut Veblen, l’explication principale tient à l’intensification du travail. Les études du ministère du Travail sur les conditions de travail depuis la fin des années 1970 font état d’une dégradation quasi constante (sauf entre 1998 et 2005) et d’une ré-intensification depuis 2005.
Au point que selon la dernière prise de pouls, en 2019, 37 % des salariés déclarent ne pas se sentir capables de tenir jusqu’à la retraite. Et les ouvriers, plus exposés aux risques physiques, ne sont pas les seuls, « puisque 32 % des cadres disent la même chose », ajoute-t-elle. En somme, « le travail fait mal », conclut-elle, bien au-delà de la pénibilité physique.
L’entreprise peut aussi être protectrice
L’Oréal a voulu en savoir plus. Sa directrice Santé et Qualité de vie de travail, Emmanuelle Lièvremont, s’est appuyée sur l’analyse de la charge de travail, la gestion du temps, la priorisation des tâches et enfin, les exigences cognitives, pour conclure que l’entreprise avait effectivement des responsabilités, en particulier en termes d’organisation et de management. Mais elle met aussi en avant des aspects protecteurs de l’entreprise, ou plutôt, du travail en commun, source, au moins, d’interactions sociales.
D’où, d’ailleurs, une règle générale sur le télétravail, de deux jours par semaine seulement chez L’Oréal, en plus d’une attention portée à la santé mentale et à divers dispositifs (dont un questionnaire) pour la préserver… Car si, dans certaines entreprises, la performance économique s’oppose de fait à la performance sociale et à la santé mentale, « nous considérons au contraire que les deux s’auto-nourrissent », assure Emmanuelle Lièvremont.
Tout commence à l’école
Enfin, si, comme l’observe Dominique Méda, « outre le reporting, les entreprises françaises sont également obsédées par le diplôme, ce qui place de jeunes diplômés, ignorants des réalités de terrain, à des postes de management où ils fixent aux équipes des objectifs peu réalistes », ces organisations ne sont pas les seules responsables de la situation actuelle de la santé mentale en France. « Elles héritent d’un malaise plus vaste, qui touche d’autres couches de population, dont les enfants dans les écoles », souligne la déléguée générale de l’Alliance pour la Santé Mentale, Angèle Malatre-Lansac.
Des enfants sous pression pour apprendre, sélectionnés par l’échec et soumis à une éducation dépourvue d’empathie… La culture d’une bonne santé mentale devrait donc commencer très tôt. De quoi inciter à réfléchir à de nouvelles méthodes d’enseignement, sans négliger, dans ce domaine, la responsabilité parentale, en particulier sur l’usage des écrans chez les jeunes et très jeunes, puisqu’ils peuvent être, de par leurs contenus, la cause d’anxiété ou de harcèlement, ou par leur simple usage, de manque de sommeil. Autant d’éléments qui pèsent, là aussi, sur la santé mentale.
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Lysiane J. Baudu