À quand la désescalade ? Acte I : La Maison-Blanche a annoncé que les produits européens seront désormais taxés à 25 %. En représailles, l’Union européenne a déclaré à son tour qu’elle taxera les articles américains, notamment le bourbon. Et jeudi dernier, Donald Trump a finalement annoncé des taxes douanières à… 200 % sur toutes les importations de vins et spiritueux français et européens.
Un coup de massue pour la filière des vins de Bordeaux, qui se retrouve comme prise en otage. « Nos clients se disent que c’est encore du bluff et que Trump cherche à négocier avec l’Union européenne en mettant la barre très haut, observe Jade Castano, mais cela rend le marché très instable et attentiste. » La Française est responsable commerciale pour tous les États-Unis de la société de négoce de grands crus Sobovi à Bordeaux. C’est son troisième marché derrière l’Asie et l’Europe.
La société écoule depuis Bordeaux environ 1,6 million de bouteilles chaque année, tous pays confondus. « Cela tomberait d’autant plus mal que le groupe a prévu d’investir énormément ici, poursuit Jade Castano, actuellement en tournée auprès de ses clients en Californie. Nous avons une boutique à New York qui a entièrement été refaite l’an dernier. »
Un marché totalement asséché ?
L’inquiétude concerne notamment les bordeaux primeur vendus en 2022 et qui ne sont expédiés que cette année. « Les clients ont déjà payé leurs commandes il y a trois ans, détaille-t-elle, et une partie est aujourd’hui dans des conteneurs, sur des bateaux, en train d’arriver aux États-Unis. Si les bouteilles sont taxées, même à 25 % de plus, qui va payer ? Ne parlons même pas de 200 % ! »
Pour les grands crus aussi, une telle mesure assécherait totalement le marché selon la Française : « Quand on parle de Petrus, de Margaux ou d’un Lafitte, on est sur une clientèle de collectionneurs qui veut par exemple un Mouton-Rothschild de 1982 et rien d’autre. Il existe bien des assemblages typiques du bordelais dans la Napa Valley, par exemple, mais cela n’a rien à voir avec un grand cru français. Et pour cette riche clientèle, même avec 25 % de taxes en plus, ça ne passe plus ! »
Des milliers d’employés à la rue ?
Les clients de Sobovi aux États-Unis sont des grossistes comme Émeline Moquillon, installée dans le quartier de Pacific Palisades à Los Angeles. « Ce qui est certain, c’est que personne n’est serein, confirme la Française, originaire de Rochefort, en Charente-Maritime. 200 % de taxes supplémentaires feraient passer les vins abordables de 15-20 dollars à plus de 50 dollars ! Ce qui produirait une nouvelle baisse alors que les Américains consomment déjà 20 % d’alcool de moins en moyenne chaque année. »
Sa société importe plus de 80 000 caisses par an et uniquement des vins européens. Ses clients sont des grands restaurants ou des chaînes de supermarchés comme Costco, Trader Joe’s ou Whole Foods. « Un restaurant italien sans vin italien ou un restaurant français sans vin français à la carte, ce n’est pas imaginable ! assure-t-elle. Les États-Unis ne produisent de toute façon pas suffisamment pour couvrir leur propre consommation. Ils ne pourront pas se passer des vins étrangers. »
Si Donald Trump met ses menaces à exécution, la Française prédit que de nombreux importateurs mettront la clé sous la porte aux États-Unis, davantage encore que pendant le Covid-19, selon elle. « Il se dit qu’il va couler l’Europe, mais c’est en fait son propre pays qu’il va pénaliser. Si les importateurs américains font faillite, ils vont devoir mettre à la rue des milliers d’employés. » De plus, une telle mesure créerait de fait une distorsion de concurrence avec les autres vins étrangers, ceux du Chili, d’Argentine, d’Afrique du sud ou d’Australie, sur lesquels il n’est pour l’instant question d’aucune surtaxe douanière.