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Post-Trudeaumania
Par Valentine Daru
Publié le
Élu à la tête du Parti libéral canadien ce dimanche 9 mars par plus de 85 % des voix, Mark Carney deviendra officiellement Premier ministre après une passation de pouvoir avec Justin Trudeau, qui avait annoncé sa démission début janvier. Un poste à forts enjeux à l’heure où le voisin américain se montre de plus en plus agressif.
Ce dimanche 9 mars, Mark Carney est devenu le nouveau chef du Parti libéral canadien. Élu avec un score presque stalinien – plus de 85 % des voix – l’ex-banquier se présente comme un homme fort capable d’incarner un véritable contrepoids à la politique douanière agressive du président américain Donald Trump. Une occasion aussi, de corriger les erreurs de son prédécesseur, Justin Trudeau, dont l’impopularité croissante l’avait contraint à démissionner.
« Les gens veulent du changement parce qu’ils sont inquiets (…) Donald Trump attaque les familles, les travailleurs, les entreprises canadiennes, nous n’allons pas le laisser réussir », a lancé le nouveau chef de parti canadien, appelé à devenir Premier ministre, lors de son discours de victoire. Un discours qui le donne le ton sur ses priorités et l’attitude à adopter face aux offensives menées par l’administration trumpienne à l’encontre du Canada. « La plus grave crise de l’époque », selon les mots du nouveau Premier ministre.
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Si l’ex-banquier de 59 ans s’est montré offensif contre le président américain dans son discours de victoire, Mark Carney a pourtant largement tiré parti de l’unité des Canadiens face aux attaques de Trump. La guerre commerciale déclarée aux produits canadiens a favorisé l’émergence d’une rhétorique de défense largement répandue dans les discours politiques et d’un climat anti-américain dans son pays. Malgré son peu d’expérience politique – il n’a pas de siège au Parlement –, Mark Carney bénéficie pourtant d’une image « rassurante » des Canadiens.
Nouveau cadre budgétaire
À l’inverse de Justin Trudeau, étrillé à maintes reprises pour sa gestion des finances publiques et du surendettement du Canada au nom de l’expansion de l’État-Providence fédéral, Mark Carney est vu comme un technocrate responsable disposant d’une parfaite maîtrise des dossiers budgétaires. Économiste de formation, sorti de Harvard aux États-Unis et d’Oxford au Royaume-Uni, et ancien banquier d’affaires chez Goldman Sachs, Mark Carney a forgé ses armes de gestionnaire de crise d’abord en tant que gouverneur de la Banque du Canada – à la tête de laquelle il a aidé le pays à traverser la crise financière de 2008-2009 – puis à la Banque d’Angleterre entre 2013 et 2020. Une expérience qui lui vaut, encore aujourd’hui, d’être perçu comme un artisan central de la stabilité qui a prévalu pendant le Brexit. Il est également conseiller économique du Parti libéral depuis le mois de septembre 2024 et ancien conseiller de Justin Trudeau depuis 2020.
Mark Carney a affirmé dimanche 9 mars, après son élection, que le Canada devait « bâtir une nouvelle économie et créer de nouvelles relations commerciales ». Depuis le début de sa jeune carrière politique, Mark Carney a promis de « développer l’économie la plus forte du G7 » en utilisant notamment l’intelligence artificielle pour améliorer la productivité, notamment dans la fonction publique. Une meilleure gestion des dépenses permettra de « libérer des ressources » pour réduire, par exemple, les impôts sur le revenu personnel.
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« Dépenser moins, investir plus », martelait-il pendant sa campagne à la chefferie du Parti libéral. En février, lors d’un rassemblement en Ontario, l’ex-banquier proposait de séparer le budget des dépenses courantes de celui des investissements du gouvernement fédéral pour les garder à l’œil et assurer leur équilibre.
Selon lui, le gouvernement fédéral a beaucoup trop dépensé par rapport à ce qu’il a investi. Les dépenses totales ont augmenté en moyenne de 9 % par an au cours de la dernière décennie quand celles de la fonction publique fédérale ont augmenté de plus de 40 % depuis 2015. Le gouvernement fédéral n’a cessé de manquer ses objectifs en matière de dépenses et son point d’ancrage budgétaire, rapportait-il sur Radio Canada. Une meilleure gestion des dépenses permettra de « libérer des ressources » pour réduire, par exemple, les impôts sur le revenu personnel.
Suppression de la taxe carbone
« Les Canadiens savent que l’on peut protéger l’environnement et faire croître l’économie en même temps », avait déclaré Justin Trudeau en 2019. Dimanche, son successeur, qui se présente comme centriste, se positionnait dans la même ligne idéologique en réaffirmant son refus d’opposer l’économie et écologie. Si les deux hommes croient à la possibilité de concilier croissance économique et protection de l’environnement, les moyens d’y parvenir diffèrent.
L’ancien envoyé spécial des Nations Unies sur le financement de l’action climatique souhaite mettre l’accent sur des solutions axées sur l’investissement, comme les technologies vertes, « qui créent des profits et des emplois » et proposait d’abolir, dès son entrée en campagne, la très controversée taxe carbone, mise en place par le gouvernement Trudeau en 2019. Mal accueilli, cet impôt sur la pollution n’a jamais cessé d’être décrié par les Canadiens. En mars 2024, ils étaient 40 % à vouloir sa suppression. Une taxe en réalité mal expliquée, car 90 % des recettes issues de cette tarification étaient redistribuées aux ménages canadiens (environ 80 % des ménages concernés).
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« La taxe sur le carbone imposée aux consommateurs et consommatrices ne fonctionne pas – elle divise trop. C’est pourquoi je vais l’éliminer et la remplacer par des incitatifs pour encourager les gens à faire des choix plus verts », est-il indiqué dans un communiqué de presse sur le site de campagne de Mark Carney. Les consommateurs et les petites entreprises ne paieront plus de taxe sur les carburants, comme l’essence, le gaz naturel, le diesel, le mazout, etc. Bien qu’il estime que la taxe sur le carbone divise trop la population canadienne, il souhaite tout de même conserver une tarification des émissions pour les grands pollueurs.
L’ex-banquier a un objectif : la carboneutralité. Selon lui, le Canada doit investir 2 000 milliards de dollars canadiens d’ici 2050 (environ 1 279 milliards d’euros), « pour devenir compétitif en matière de carbone et atteindre la carboneutralité, alors que les investissements actuels dans la décarbonation sont de l’ordre de 10 à 20 milliards de dollars par an », précise-t-il.
Des investissements notamment dédiés à la création de logements pour enfin sortir le Canada de la crise. « Nous entrerons dans une nouvelle ère d’investissements continus dans les infrastructures », avait affirmé le candidat durant sa campagne, qui s’était engagé à doubler le rythme de la construction de nouveaux logements sur dix ans. Mark Carney pourrait cependant faire un passage éclair en tant que Premier ministre, puisque des élections législatives anticipées doivent avoir lieu au plus tard en octobre prochain.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne