Elon Musk bouscule le monde. De l’Ukraine à Washington, de l’espace au cyberespace et bientôt nos smartphones. Bien qu’absent du Mobile World Congress (MWC), qui se déroule jusqu’au 7 mars à Barcelone, il est dans toutes les têtes. Car le 9 février, en partenariat avec l’opérateur américain T-Mobile, il a lancé une offre de téléphonie « direct to cell », qui permet l’utilisation des appareils 4G standards dans des zones dépourvues de couverture mobile traditionnelle. Actuellement limité aux SMS, ce service devrait évoluer pour inclure les appels vocaux et vidéo avec les futures générations de satellites.
D’autres suivent : la start-up californienne Skylo a fait sensation en présentant à Barcelone son service de messages d’urgence satellites, développé en partenariat avec Verizon et Deutsche Telekom. Sur son stand, la liaison s’établit sur les téléphones d’exposition avec des satellites situés à des centaines ou des milliers de kilomètres en orbite — beaucoup plus loin que les quelques kilomètres habituels vers une tour cellulaire. Pour parvenir à se connecter à cette distance avec de simples smartphones, Skylo a réussi à « transformer un problème matériel en un problème logiciel », déclare son PDG Parth Trivedi.
L’entreprise a découvert qu’elle pouvait utiliser les composants déjà présents dans les téléphones les plus récents — tous les modèles ne sont pas concernés — pour communiquer avec les satellites. Les modifications sont « entièrement basées sur le logiciel embarqué et le code ».
Skylo devra néanmoins faire face à « de nombreux défis d’ingénierie » pour franchir les prochaines étapes qu’elle s’est fixées : après les messages d’urgence, elle veut généraliser l’envoi de SMS puis passer des appels via satellite. « Tous les acteurs progressent vite parce qu’ils comprennent qu’il y a une grande opportunité », commente Suman Sharma, directeur principal de la gestion des produits chez le fournisseur d’infrastructure réseau Mavenir.
400 millions d’utilisateurs potentiels
Alors que les services satellites pour le grand public restent relativement limités – Apple permet, par exemple, aux utilisateurs d’iPhone d’envoyer des messages d’urgence via un partenariat avec l’entreprise Globalstar -, le marché à prendre est important. Les opérateurs de satellites et de réseaux mobiles considèrent les services 5G par satellite — aussi appelés « réseau non terrestre » (NTN) — comme un moyen d’atteindre environ 400 millions de personnes qui n’ont aujourd’hui aucun accès mobile. « Tout le monde travaille à obtenir » des messages et des appels via satellite, ce qui sera probablement « une réalité dans deux ou trois ans », indique Luke Pearce, analyste chez CCS Insight.
Dernier exemple en date, ce mercredi matin : Ericsson, Qualcomm, et Thales Alenia Space, qui avaient annoncé nouer un partenariat en 2022, ont indiqué qu’une nouvelle étape de connexion 5G satellite sur un smartphone classique avait été franchie grâce à une expérience réussie.
Mais l’adoption généralisée de la technologie satellite, une fois celle-ci aboutie, sera dépendante du marché des smartphones, souligne Luke Pearce. Seuls les modèles les plus récents peuvent en effet être connectés via satellite et leur adoption par les consommateurs est « un peu lente », constate l’analyste, notamment en raison d’un attrait croissant pour les téléphones d’occasion. La plupart des fabricants de composants prévoient d’adapter leurs produits à la 5G NTN d’ici à 2026 à 2027, souligne M. Sharma. Un mouvement qui pourrait néanmoins s’accélérer pour suivre le rythme des opérateurs.
Retour sur investissement
Dans cette course, les opérateurs commerciaux et les opérateurs d’infrastructures ont tous un même but : être les premiers à offrir cette technologie au public, afin de bénéficier du retour sur investissement le plus avantageux possible en attirant les premiers clients. Certains opérateurs n’ont ainsi pas attendu le développement de technologies conformes aux normes développées par l’organisme industriel mobile 3GPP, comme celle que cherchent à déployer Skylo et Ericsson.
Mais des solutions comme celles de Starlink ou de son concurrent AST Space Mobile occupent des fréquences réseaux partagées avec le reste des opérateurs, ce qui peut ralentir les communications. Une fois le développement d’offres 3GPP achevé, les utilisateurs bénéficieront de bandes de réseaux dédiées, et passeront du réseau terrestre au réseau satellite aussi simplement que du Wifi au réseau cellulaire, indique le dirigeant de Skylo. « Vous ne vous en rendrez même pas compte », promet-il. En Europe, la Commission européenne a annoncé Iris2 pour 2030, tandis qu’Eutelsat teste également sa capacité à connecter des appareils mobiles via sa constellation OneWeb
Vers un nouveau cadre réglementaire
Alors que la technologie évolue rapidement, la question du cadre réglementaire s’impose. Les opérateurs historiques expriment des réserves quant à l’impact potentiel des solutions satellitaires sur leurs réseaux terrestres. Pour eux, ces technologies ne remplaceront pas complètement les infrastructures existantes, mais pourraient constituer un complément utile dans certaines zones.
L’accès aux fréquences constitue un enjeu majeur pour ces services. Les opérateurs, ayant beaucoup investi dans ces droits, rechignent à partager leur spectre avec des nouveaux acteurs tels que Starlink. En 2027, la Commission européenne remettra sur le marché les licences satellitaires « en bande S ». Ce sera alors le moment de juger si, là aussi, Elon Musk peut dicter sa loi ou si les opérateurs traditionnels et les autorités ont encore la capacité de répliquer.
(Avec AFP)
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