Alors que plane depuis quinze ans la menace d’une rupture de la chaîne d’approvisionnement en terres rares en raison de son ultradépendance à la Chine, c’est au moment où Pékin et Washington négocient ensemble des politiques commerciales que la chaîne se rompt. Si le paradoxe est saisissant, il n’est pas le fruit d’un malheureux hasard : le 4 avril, la Chine annonçait la mise en place de restrictions à l’exportation de sept terres rares. Concrètement, les entreprises chinoises exportatrices devront obtenir une licence pour exporter les précieuses matières premières.
Deux mois plus tard, le constat est sans appel : l’Europe, les États-Unis et l’Inde font face à une rupture de stocks d’aimants permanents, une gamme de produits qui constitue le principal débouché pour les terres rares. Si la pénurie révèle les lacunes, notamment occidentales, dans les politiques long-termistes d’industrie et d’approvisionnement, l’urgence à très court terme est encore plus préoccupante. Selon le cabinet Berylls by AlixPartners, si le flux chinois ne reprend pas de plus belle, certaines lignes d’assemblage pourraient s’arrêter en Europe et aux États-Unis d’ici deux semaines. En effet, les aimants permanents constitués d’assemblage de terres rares sont essentiels – et sans alternatives – dans l’industrie automobile comme pour la construction d’éoliennes.
L’industrie automobile, principale victime
En fonction des modèles de véhicules fabriqués, certaines usines sont plus ou moins sensibles aux approvisionnements en terres rares. Ainsi, bien que l’on retrouve des terres rares dans tous les véhicules, des moteurs d’essuie-glace aux capteurs de freinage, les voitures aux moteurs électriques en contiennent bien plus que les thermiques. Les analystes d’AlixPartners estiment qu’un véhicule électrique à batterie à moteur unique comprend environ 140 grammes de terres rares.
Si la pénurie déjà en cours n’est pas le fruit d’un hasard, elle n’est pas non plus une surprise. Déjà, le 9 mai dernier, les directeurs commerciaux américains de Hyundai, Volkswagen, General Motors et Toyota adressaient à Donald Trump une lettre afin de le prévenir du danger.
« Sans un accès fiable à ces éléments et aimants, les fournisseurs automobiles ne seront pas en mesure de produire des composants automobiles essentiels, notamment des transmissions automatiques,[…]des moteurs, des directions assistées et des caméras »,écrivait l’Alliance pour l’innovation automobile à l’administration Trump.
« Dans les cas les plus graves, cela pourrait impliquer la nécessité de réduire les volumes de production, voire d’arrêter les chaînes de montage des véhicules », ajoutaient les signataires. Trois semaines après l’envoi de cette missive, restée lettre morte, les industries du Midwest et du sud des États-Unis menacent de fermer des lignes de production dès les jours suivants. Pour le moment, si les analystes confirment des risques similaires pour l’Europe dans les prochaines semaines, les dirigeants automobiles du Vieux Continent n’ont pas encore tiré la sonnette d’alarme.
Des licences trop peu nombreuses
La capacité de la Chine à mettre hors service l’industrie automobile du monde entier s’explique par son monopole sur les terres rares. Ces dix-sept éléments sont en réalité présents un partout dans le sous-sol mondial. Mais, pour être exploités, il faut que leur densité soit suffisamment importante en un même lieu. C’est ce phénomène de concentration rare qui a donné le nom trompeur de terres rares. Aujourd’hui, près de 70 % de la production mondiale est chinoise. Et alors que l’extraction s’avère difficile, l’étape du raffinage l’est encore plus, en raison de processus longs et de technologies complexes. 99 % des terres rares mondiales sont raffinées en Chine. Une fois raffinées, un quart de ces terres rares sont assemblées dans les aimants permanents. À ce stade du processus de fabrication, la Chine est encore en situation de monopole, puisqu’elle produit 90 % des près de 200 000 tonnes annuelles d’aimants en terres rares hautes performances.
Ainsi, lorsque Pékin a annoncé début avril l’imposition de licences pour les exportateurs, les exportations se sont arrêtées. Les entreprises attendaient l’obtention du précieux sésame, mais ce dernier n’a été distribué qu’au compte-goutte par Pékin. Quelques sociétés chinoises ont été autorisées à vendre des terres rares vers l’Europe, puis, plus récemment, d’autres ont reçu leur licence pour les États-Unis. Un niveau « loin d’être suffisant pour éviter des arrêts de production imminents », a déclaré Jens Eskelund, président de la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine.
À lire également
Julien Gouesmat