Transport solidaire, petite menuiserie, entretien d’espaces verts, ressourcerie… Depuis sa création en 2017, Actypôles avait développé diverses activités. Mais l’avenir de la première entreprise à but d’emploi de Thiers, dans le Puy-de-Dôme, est désormais plus qu’incertain. En grande difficulté, la société coopérative a été placée en redressement judiciaire en octobre. Jeudi 27 mars, le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a annoncé mettre sa décision en délibéré au 3 avril. Les espoirs sont minces.
Cette entreprise à but d’emploi (EBE) fait partie de l’expérimentation « Territoires zéro chômeur », lancée en 2016 et prolongée en 2021, qui permet à des chômeurs de longue durée de retrouver un emploi en CDI, grâce à des financements de l’État et des Départements. Actypôles compte aujourd’hui 76 salariés, dont 73 anciens demandeurs d’emploi éloignés du marché du travail. Tous sont inquiets.
Lou Hirsch, entrepreneur local et président bénévole d’Actypôles, se dit, lui, amer. Arrivé à la tête de l’entreprise en juin 2024, c’est lui qui a lancé la procédure auprès du Tribunal au regard des derniers bilans financiers.
« L’entreprise avait accumulé d’importants déficits sur les deux dernières années. C’est un immense gâchis ! Beaucoup de ces salariés avaient repris confiance en eux. Certains s’étaient formés. Là, on les renvoie à la case départ », se désole le dirigeant pour qui le travail reste inachevé.
Pour expliquer la situation, le fonds ETCLD, pilote national de l’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée, rappelle que les EBE ont, en plus des risques classiques, des contraintes spécifiques : « les EBE évoluent dans un contexte socio-économique territorial plus fragile que la moyenne nationale » et elles « développent des activités non concurrentes à celles existantes sur le territoire ce qui peut limiter le développement de leur chiffre d’affaires ». D’ailleurs, sans le financement de l’État qui représente une très large partie du budget, ces structures ne pourraient pas exister.
Bilan positif des EBE en France
Mais les grosses difficultés de l’entreprise de Thiers ne reflètent pas la situation globale de ces structures dans l’Hexagone. Selon le fonds ETCLD, seules 2 EBE sur les 88 conventionnées, Thiers donc et Colombelles en Normandie, sont en situation de redressement judiciaire au niveau national.
« Nous sommes sur un accident de gestion. Diriger une EBE n’est pas un exercice facile. Cela nécessite des compétences humaines, financières, commerciales pointues. Ce sont des entreprises autonomes qui font leurs choix », indique Clémentine Hodeau, directrice générale du fonds ETCLD.
En clair, le modèle n’est pas remis en cause. Dans son dernier bilan, le fonds précise que l’expérimentation est bénéfique avec des entreprises viables qui ont permis de créer plus de 4 000 emplois pour des personnes qui en étaient très éloignées, en moyenne depuis près de 5 ans. Et selon ses calculs, la démarche aurait un coût « maîtrisé ».
« 75 % des dépenses publiques sont compensées par les recettes générées par ce retour à l’emploi et par les économies réalisées [non-versement du RSA et des allocations chômage], sans compter les bénéfices en termes de santé, de retombées pour les territoires… », indique Clémentine Hodeau.
Loin d’être inquiété, le dispositif Territoires zéro chômeur de longue durée s’est même vu accorder cette année par l’État une augmentation de son budget, pour passer à 70 millions d’euros. Le précédent Premier ministre, Michel Barnier, soulignant qu’il était parmi les politiques « qui donnent des résultats et doivent être encouragées ».
Quel avenir pour les salariés de Thiers ?
Dans le Puy-de-Dôme, une solution est en train de se construire pour les salariés d’Actypôles, dont la moyenne d’âge se situe autour de 45-50 ans et dont 23 % sont des personnes en situation de handicap. Car en cas de licenciement, les perspectives d’embauche sont faibles pour ces personnes durablement éloignées de l’emploi. D’autant que le taux de chômage reste élevé à Thiers, 16 % pour les 15-64 ans au sens du recensement selon l’INSEE.
Une proposition a été faite par la société publique locale Gaïa, créée par la Ville de Thiers et la Communauté de Communes Thiers Dore et Montagne. Elle pourrait reprendre une partie des activités et du personnel. Les démarches sont en cours, avec notamment un changement de statuts juridiques et une demande conventionnement pour pouvoir devenir une entreprise à but d’emploi. Un courrier de Tony Bernard, le président de la Communauté de communes que La Tribune a pu consulter, réclame un traitement accéléré du dossier.
« Le fonds d’expérimentation est disposé à étudier la demande de conventionnement de la SPL, mais nous n’avons pas encore toutes les pièces du dossier. Avec les élus du territoire, nous sommes mobilisés techniquement et politiquement », insiste Clémentine Hodeau, directrice générale du fonds ETCLD.
Cette dernière précise, d’ailleurs, que le président du fonds, François Nogué, se rendra à Thiers dans les tout prochains jours. Mais pour Lou Hirsch, président d’Actypôles, trop de temps a été perdu. « Au niveau local, nous avons un sentiment d’abandon. Cela fait des mois qu’on les alerte. Le fonds a fait la politique de l’autruche et n’a pas rempli son rôle », s’agace l’entrepreneur. Tous attendent désormais la décision du tribunal.