Aux États-Unis, les menaces ne pèsent pas seulement sur les militant·es accusé·es d’avoir manifesté contre Israël, comme Mahmoud Khalil, un réfugié palestinien d’origine syrienne, arrêté il y a une semaine et dont l’expulsion a été suspendue par une décision de justice. Mais aussi sur les diplomates qui déplaisent au nouveau pouvoir de Donald Trump.
Vendredi, les autorités ont ainsi déclaré persona non grata l’ambassadeur sud-africain Ebrahim Rasool, sans aucun respect des procédures diplomatiques. Ce dernier, qui dispose de trois jours pour quitter le pays, avait déjà occupé le poste de Washington sous la présidence de Barack Obama, entre 2010 et 2015.
C’est par un post sur les réseaux sociaux que le secrétaire d’État Marco Rubio a annoncé la décision, de manière cavalière. Il a déclaré que le diplomate n’était « plus le bienvenu dans [son] grand pays » et l’a accusé d’être « un politicien qui incite au racisme », déteste les États-Unis et le président américain Donald Trump.
Ce dernier a fait de l’Afrique du Sud une cible, en raison d’une supposée politique de discrimination envers les Blancs, mais aussi de son rôle au sein des Brics et de son soutien à la cause palestinienne.
Le chef de la diplomatie états-unienne n’a pas donné d’explications mais a accompagné son commentaire d’un article du site d’extrême droite Breitbart News, rédigé par Joel B. Pollak, États-Unien né en Afrique du Sud, un fervent soutien de Trump et critique du président Ramaphosa.
Sous le titre « L’ambassadeur sud-africain Ebrahim Rasool : “Trump est à la tête d’un mouvement suprémaciste blanc mondial” », il rend compte d’un séminaire en ligne, organisé par un groupe de réflexion sud-africain, sur l’impact des changements à Washington sur l’Afrique du Sud et, plus largement, sur l’Afrique.
Selon les médias sud-africains, Joel B. Pollak, qui accuse Ebrahim Rasool d’être un soutien du Hamas, pourrait être nommé par Donald Trump comme le prochain ambassadeur en Afrique du Sud. Il a récemment rencontré des groupes de pression afrikaners (les Blancs calvinistes locuteurs de l’afrikaans).
Lors de ce séminaire en ligne, au cours duquel se sont exprimé·es des universitaires et une médecin, directrice adjointe de la fondation Desmond Tutu sur le sida, Ebrahim Rasool a donné son point de vue sur la situation actuelle aux États-Unis, jugeant que le mouvement Maga (« Make America Great Again ») était « une réponse non seulement à un instinct suprémaciste, mais aussi à des données très claires qui montrent de grands changements démographiques aux États-Unis, où l’on prévoit que l’électorat votant aux États-Unis deviendra blanc à 48 % ».
Il relevait également « une exportation de la révolution » menée par Donald Trump, faisant référence aux ingérences d’Elon Musk en Grande-Bretagne et en Allemagne.
Il a également noté que les attaques contre l’Afrique du Sud en raison de ses positions diplomatiques avaient débuté sous le mandat de Joe Biden, mais que son successeur se distinguait par « un manque de respect pour la base institutionnelle de l’ordre hégémonique actuel ». Son pays est ciblé, a-t-il affirmé, parce qu’il est « l’antidote historique au suprémacisme », citant la transition de l’Afrique du Sud vers la démocratie et « la belle réussite » du gouvernement d’unité nationale après la défaite électorale l’année dernière du Congrès national africain.
Pretoria veut maintenir le dialogue
Dans un communiqué, la présidence sud-africaine a évoqué une « expulsion regrettable », ajoutant : « La présidence exhorte toutes les parties prenantes concernées à maintenir l’étiquette diplomatique établie dans leur engagement sur cette question. L’Afrique du Sud reste déterminée à construire une relation mutuellement bénéfique avec les États-Unis. »
Le ministre des affaires étrangères sud-africain Ronald Lamola a parlé d’un acte « sans précédent » et regretté que les États-Unis n’aient pas respecté les protocoles diplomatiques habituels, qui impliquent généralement des discussions formelles préalables entre les nations avant que de telles actions ne soient entreprises. Cependant, il s’est déclaré prêt à travailler avec Washington pour renouer les relations de manière plus apaisée, car, a-t-il souligné, elles sont « mutuellement bénéfiques » et « stratégiques ». Pour lui, les deux parties doivent cependant se parler mais « à huis clos » pour régler les différends, car il n’est pas « utile de s’engager dans une diplomatie du mégaphone et de Twitter ».
« L’ambassadeur Rasool était sur le point de rencontrer des responsables stratégiques à la Maison-Blanche. Ce développement regrettable a sabordé les progrès significatifs », a indiqué à l’AFP un porte-parole du ministère des affaires étrangères sud-africain Chrispin Phiri.
Menaces et boycottage
Le président Cyril Ramaphosa avait décidé de faire confiance à Ebrahim Rasool, un diplomate d’expérience, pour tenter de restaurer des relations bilatérales endommagées par les attaques répétées de l’administration Trump contre l’Afrique du Sud.
Car, dès son entrée en fonction à la Maison-Blanche, le 47e président a ciblé l’Afrique du Sud dans un décret présidentiel en suspendant toutes les aides, au motif de « violations sérieuses des droits humains », en raison d’une nouvelle loi sud-africaine sur les expropriations adoptée fin janvier.
Alors qu’il s’agit de lutter contre les inégalités et la mainmise des personnes blanches sur les propriétés notamment, plus de trente ans après la fin du régime d’apartheid, le président états-unien a estimé que « l’Afrique du Sud confisque les terres et traite certaines classes de gens très mal ». Il a même proposé d’accueillir les Blancs « discriminés » par le gouvernement de Pretoria. Un peu plus tôt, son allié Elon Musk, lui-même élevé dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, avait dénoncé une « persécution » raciale des Blancs « dans leur propre pays ».
Dans la foulée, le secrétaire d’État Marco Rubio ne s’était pas rendu à un sommet du G20 organisé par Pretoria fin février. Là encore, le secrétaire d’État a fait référence à la nouvelle loi, affirmant que le pays africain « fait de très mauvaises choses ». Une semaine plus tard, le secrétaire au Trésor Scott Bessent a boycotté une réunion des ministres des finances et des gouverneurs de banque centrale du forum intergouvernemental.
Washington soulève d’autres griefs, par exemple le fait que l’Afrique du Sud ait engagé une action auprès de la Cour internationale de justice contre l’État d’Israël, sur le « caractère génocidaire » de sa guerre contre les Palestiniens et Palestiniennes de Gaza, ou encore ses liens avec l’Iran et la Chine.
Dans ce contexte, l’ambassadeur sud-africain Ebrahim Rasool a tenté de renouer le dialogue avec l’administration mais sans guère de succès. Et son expulsion montre que Washington a choisi l’escalade plutôt que le dialogue.
Pretoria redoute que Donald Trump suspende la participation de l’Afrique du Sud au traité Agoa (African Growth and Opportunity Act, loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique) qui accorde des baisses et des exemptions de droits de douane aux produits sud-africains, notamment les automobiles. Les États-Unis sont le principal partenaire commercial de l’Afrique du Sud, première économie et puissance industrielle du continent africain.