Trump, Musk : le rejet radical de l’empathie au nom de l’anti-wokisme

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Trump, Musk : le rejet radical de l’empathie au nom de l’anti-wokisme





















Elon Musk à la Maison-Blanche
BRENDAN SMIALOWSKI / AFP

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Le nouveau président américain et son entourage semblent obsédés par une idée : l’empathie serait un problème pour la civilisation occidentale.

L’idéologie trumpiste considère l’empathie comme une forme de gauchisme dangereux, justifiant ainsi l’élimination de l’aide humanitaire et du droit d’asile aux États-Unis. En réaction au progressisme qui avait tendance à fétichiser le statut de victime, la droite MAGA et ses alliés nationalistes chrétiens rejettent ouvertement la compassion envers les plus vulnérables.

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Depuis qu’il est à la tête du département de l’efficacité gouvernementale (DOGE), Elon Musk élimine des centaines de programmes humanitaires et fait licencier des milliers de fonctionnaires avec une jubilation évidente. Il avait le sourire lorsqu’il a paradé sur scène avec une tronçonneuse « contre la bureaucratie » lors d’une convention conservatrice à Washington. Un sénateur républicain l’a encouragé à faire preuve d’un peu plus de « compassion », rappelant que « de vrais gens, de vraies vies » étaient en jeu, mais le patron de Tesla continue d’être extrêmement désinvolte. « Ce week-end, on a passé USAID à la broyeuse, a-t-il écrit à propos de l’Agence des États-Unis pour le développement international. On aurait pu aller à des super fêtes, mais on a fait ça à la place. »

« Empathie suicidaire »

Le président Donald Trump s’est lui-même moqué d’un de ces programmes humanitaires récemment éliminés : « Huit millions de dollars pour promouvoir les LGBTQI+ dans la nation africaine du Lesotho, un pays dont personne n’a jamais entendu parler », a-t-il lancé lors de son discours au Congrès, sous les rires des élus républicains dans la salle. En fait, aucune association LGBT n’avait reçu cette somme au Lesotho, mais l’USAID, qui représentait 0,7 % du budget des États-Unis en 2023, avait bien financé des traitements et de la prévention contre le VIH.

Pendant des décennies, ces programmes de santé publique, qui ont sauvé des millions de vies à travers le monde, étaient promus par des élus républicains et de nombreuses associations caritatives chrétiennes : George W. Bush parlait à l’époque de « conservatisme compatissant ». Mais pour la droite trumpiste, se préoccuper du sort des plus démunis, particulièrement s’ils sont étrangers, est une forme d’empathie dangereuse. « La faiblesse fondamentale de la civilisation occidentale est l’empathie », expliquait Elon Musk dans une longue interview sur le podcast de Joe Rogan. L’homme le plus riche du monde faisait référence au concept « d’empathie suicidaire » développé par l’auteur canadien Gad Saad, qui considère que les pays qui refusent de limiter l’immigration sont en train de s’autodétruire.

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Le vice-président JD Vance a aussi récemment utilisé un terme similaire, qualifiant la politique migratoire de l’Europe, et particulièrement celle de l’Allemagne, de « suicide civilisationnel ». Sur ces questions, le gouvernement Trump ne cherche pas de compromis pragmatique. Depuis son retour au pouvoir, le milliardaire new-yorkais est déterminé à suspendre le droit d’asile (seuls les Sud-Africains blancs victimes de discriminations sont encouragés à s’installer aux États-Unis), et à faire expulser des sans-papiers sans antécédents judiciaires, même s’ils sont intégrés dans le pays depuis des années. Une des priorités de l’administration semble aussi de mettre cette politique en scène avec cruauté. Par exemple, la Maison-Blanche a récemment partagé sur X des images de migrants menottés, une vidéo qu’ils ont intitulée « ASMR : Vol d’expulsion d’immigrés illégaux » en référence au bruit soi-disant agréable de leurs chaînes qui s’entrechoquent.

Rupture avec le christianisme

« Le parti républicain est censé être le parti du christianisme, et une grande partie de leur électorat est composée de chrétiens évangéliques. Le problème est que toute interprétation plausible de la Bible suggère qu’il faut aimer son prochain comme soi-même, et que Dieu est du côté des moins fortunés. Or c’est tout à fait contraire à ce que veut la droite trumpiste, dont l’attitude correspond plutôt à la phrase de Thucydide : Les forts font ce qu’ils peuvent et les faibles subissent ce qu’ils doivent », résume Matt McManus, politologue à l’université du Michigan.

Le vice-président américain JD Vance a tenté de justifier cette approche en expliquant que l’ « extrême gauche » avait inversé l’ordre naturel de l’empathie : « Ils semblent détester les citoyens de leur propre pays et se soucient davantage des personnes qui se trouvent en dehors de leurs frontières », avait-il déclaré. Le pape François lui-même a rétorqué qu’au contraire, le christianisme doit défendre « une fraternité ouverte à tous, sans exception ». Ce n’était pas la première figure religieuse à critiquer le programme de Trump. Le lendemain de l’investiture du nouveau président, une pasteure l’avait exhorté « d’avoir pitié » des gens qui ont peur, particulièrement les immigrés sans-papiers, et Trump l’avait aussitôt accusée d’être « une gauchiste radicale » qui ne « savait pas faire son travail ». À la Maison-Blanche, les principaux alliés religieux de Trump sont des nationalistes chrétiens qui adaptent leur approche de la compassion en fonction de leur objectif politique, qui est de transformer les États-Unis en nation chrétienne.

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« Il y a une tendance au suprémacisme blanc et à l’ethno-nationalisme au cœur du nationalisme chrétien, avec l’idée que les chrétiens blancs devraient ressentir plus d’empathie les uns envers les autres qu’envers les étrangers, et que l’idée d’un pays multiculturel est contre nature » résume la sociologue Ruth Braunstein, qui a réalisé un podcast sur ce mouvement. « Le nationalisme chrétien est souvent accusé d’utiliser le christianisme pour justifier un projet social contraire aux valeurs chrétiennes. Mais depuis l’émergence politique de Trump en 2015, de nombreux pasteurs disent que leurs églises ont été infectées par le nationalisme chrétien. Et comme dans le parti républicain, les personnes qui n’adhèrent pas au programme de Trump sont intimidées et poussées vers la sortie. »

Anti-wokisme

Plusieurs auteurs de cette mouvance ont récemment écrit des livres avec des titres comme « le péché de l’empathie » et « l’empathie toxique ». Ils partent d’une critique de la gauche et en arrivent à un rejet de toute solidarité, comme l’exprime le pasteur et auteur Joseph Rigney : « Dire que nous luttons contre la faim dans le monde est le prétexte d’une vaste escroquerie qui permet au gouvernement de financer de la propagande de gauche, au nom de la compassion. »

Les alliés de Trump dans la Silicon Valley se retrouvent dans ce discours. En effet, pour Peter Thiel, co-fondateur de PayPal et premier fan de Trump parmi les milliardaires de la tech, « le wokisme est une forme d’hyper-christianisme » car le christianisme « est toujours du côté des victimes ». Un christianisme critique de l’empathie serait donc préférable. Les courants idéologiques qui sous-tendent l’extrême droite trumpiste, inspirés par une vulgarisation de la philosophie de Nietzsche, sont encore plus radicaux dans leur rejet de la compassion et leur célébration de la domination.

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« L’auteur et influenceur d’extrême droite appelé Bronze Age Pervert [Pervers de l’âge de bronze] a eu une grande influence sur de nombreux jeunes républicains, dont plusieurs qui sont actuellement à la Maison Blanche, explique le politologue Matt McManus. Or il n’hésite pas à comparer la plupart des êtres humains à des insectes, et à suggérer que les “âmes aristocratiques” ne sont pas motivées par la compassion, mais par la recherche de la domination. Il pense que la cruauté doit être saluée comme une restauration de la vitalité de notre culture. Comme lui, de nombreux membres de l’élite dirigeante actuelle considèrent tous ceux qui sont plus vulnérables comme des losers, pour reprendre le vocabulaire de Trump. La droite trumpiste est saturée de cette mythologie du capitaliste en tant que génie qui veut nous faire avancer mais qui doit sans cesse faire face au ressentiment du troupeau. »


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