Trump, Russie, menace de la Chine… : “Le Japon marche sur un fil et craint d’afficher une politique étrangère claire”

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Trump, Russie, menace de la Chine… : “Le Japon marche sur un fil et craint d’afficher une politique étrangère claire”





















Shigeru Ishiba, Premier ministre du Japon
Yomiuri / KANAME MUTO / AFP

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Christian Kessler, historien, auteur notamment de « Les kamikazés (1944-1945). Leur histoire. Leurs ultimes écrits » (Perrin, 2024), raconte les difficultés géopolitiques du Japon qui a dû mal à tenir une ligne claire, face aux changements stratégiques américains opérés par Donald Trump.

Le 24 février, jour du troisième anniversaire du début de l’invasion russe de l’Ukraine, le vote d’une résolution condamnant la Russie à l’Assemblée générale des Nations Unies a révélé de manière brusque les changements fondamentaux intervenus dans le monde sous l’administration du président américain Donald Trump.

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Les États-Unis, ainsi que par exemple la Corée du Nord étaient du même bord pour s’opposer à la résolution condamnant la Russie pour cette agression. Parallèlement, les États-Unis ont entamé des négociations avec la Russie – des négociations qui se sont déroulées sans l’Ukraine – et n’ont fourni ni vision claire ni « garanties de sécurité » susceptibles d’un arrêt des combats ou plus tard d’une paix sûre mettant définitivement l’Ukraine à l’abri.

Soutien à l’Ukraine

Le récent changement radical de position des États-Unis face à cette guerre a ébranlé la communauté internationale. Selon des responsables japonais, les États-Unis avaient initialement annoncé qu’ils se joindraient au Japon et aux pays européens pour soutenir la résolution condamnant la Russie, mais ils ont changé de position peu avant le vote, déclarant seulement que telle était l’intention de Trump. Le Japon a été perplexe face à ce brusque revirement de son allié, mais à l’issue des discussions au sein du gouvernement, la position de Tokyo, qui était de « soutenir l’Ukraine », est restée inébranlable.

Kazuyuki Yamazaki, ambassadeur du Japon à l’ONU, a clairement exprimé la position de son pays en appelant au soutien d’un ordre international fondé sur l’État de droit dans son discours aux Nations Unies avant le vote. « L’agression russe contre l’Ukraine constitue une violation flagrante du droit international, y compris de la Charte des Nations Unies, comme l’a déclaré à maintes reprises l’Assemblée générale, et un acte qui en sape les fondements », a déclaré Yamazaki et d’ajouter : « Tolérer de telles violations créerait un dangereux précédent, nous ramenant à une jungle dominée par la force brute et la coercition. C’est pourquoi il est impératif que nous soyons aux côtés du peuple ukrainien. »

Si le Premier ministre Abe avait tenté d’avoir de bonnes relations avec Poutine en le rencontrant à de nombreuses reprises, la rupture semble dans ce moment de l’histoire clairement affichée, ce qui est nouveau dans la politique extérieure d’un Japon la plupart du temps attentiste et suiviste. C’est du moins ce qui apparaît chez nombre de politiciens et dans l’opinion publique.

Ambiguïtés

Pourtant le Premier ministre Shigeru Ishiba lui, s’est montré, et c’est un euphémisme, beaucoup moins clair que Yamazaki et que ses homologues européens, déclarant dans une réponse à la Diète du 3 mars que le Japon « n’a aucune intention de prendre parti pour l’un ou l’autre camp. Nous souhaitons nous efforcer de déterminer comment maintenir l’implication des États-Unis et garantir l’unité globale des pays du G7. » Ishiba a également tenté de faire preuve de compréhension face à la virulente attaque de Trump et son gouvernement contre Zelensky, déclarant : « Je suis sûr que M. Trump avait ses propres idées. » Autrement dit, il ne faut pas froisser la Maison Blanche en prenant ouvertement le parti ukrainien.

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Cette déclaration et cette approche ambiguë qui reflète la tendance nationale à « ne pas prendre position » n’a donc en rien disparu. Impossible de réveiller un antiaméricansime à cause de l’appréhension grandissante par le Japon de son entourage géopolique considéré comme menaçant, et cela même si les décisions économiques de Trump laissent perplexe les dirigeants devant des droits de douane qui pénaliseraient les exportations d’un pays qui en est totalement dépendant – notamment dans les secteurs de l’automobile qui représentent à lui seul 30% des exportations totale. Ainsi, le Premier ministre Shigeru Ishiba refuse-t-il des mesures de rétorsions, à savoir ici l’augmentation de taxes à l’entrée de produits américains. Comme le note l’historien Jean-Marie Bouissou, l’Amérique apparaît comme « le père redoutable, à la foi castrateur et fondateur » dont le Japon ne parvient pas à s’émanciper.

Sans le parapluie nucléaire américain, l’archipel serait nu face à la Chine et la Corée du Nord malgré l’accroissement de ses dépenses militaires d’ailleurs encouragés par l’allié américain ainsi que son rôle dans le plan de containment mis en place par les États-Unis, – lequel se traduit notamment par l’export d’armes aux pays d’Asie du Sud-Est asiatiques, de manœuvres militaires conjointes aussi avec l’Inde et plus encore avec l’Australie, voire de réenforcement de premières coopérations dans la recherche et le programmes d’armements avec la France et le Royaume-Uni, toutes deux puissances européennes présentes dans la zone indo-pacifique. Approfondissement donc et rééquilibrage avec les États-Unis tout en gardant une alliance qui est l’alpha et l’oméga de sa politique de sécurité particulièrement dans un environnement fortement dégradé. La prudence est donc de mise.

Revendications territoriales

Face à la Chine, – malgré les menaces économiques et stratégiques qui font florès dans les médias et sur les réseaux sociaux – la prudence s’impose aussi tant les relations économiques avec le grand voisin continental sont importantes, alors que d’autre-part, la confiance en la protection américaine d’un Trump isolationniste s’effrite quelque peu. La politique du balancier entre l’Occident et la Chine a été une constante dans l’histoire de l’archipel, soit d’un côté soit de l’autre, s’en tenant souvent à équidistance. Les revendications territoriales sont aussi une des raisons pour laquelle Ishiba entretient un flou.

Les îles Senkaku, dans la préfecture d’Okinawa, sont constamment soumises aux incursions de bâtiments de garde-côtes chinois dans les eaux territoriales des Senkaku, une « zone grise », menaces indirectes certes mais possiblement graduelles, rendant au vrai toute réponse de la part du Japon complexe dans la mesure où ces changements brusques ne lui permettent pas d’ajuster une réponse appropriée. Les gardes côtes japonais, sabre avancé de la défense nippone, n’y peuvent pas grand-chose de sorte que, bien qu’à mi-voix, certains à Tokyo pense encore pouvoir arranger cette pression de la Chine par de bonnes relations.

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Même chose pour le différend avec la Russie concernant les « îles du Nord » au large d’Hokkaïdo, butin saisi sans coup férir par un Staline encore avide dans son entrée en guerre contre le Japon le 8 août 1945. Depuis ce temps le Japon ne cesse de réclamer la rétrocession des toutes les quatre îles. Si parfois la Russie lui a proposé le retour de deux d’entre-elles qu’il a toujours refusé, le Japon pense sans doute encore – malgré Poutine ! – récupérer les quatre îles qu’il considère comme faisant partie intégrante du territoire national.

Le Japon marche donc sur le fil et craint plus que jamais d’afficher une politique étrangère qui ne lui permettrait pas de faire un pas en arrière. Sur le plan géopolitique, 3 éléments lui semble fondamentaux et constitutif de son histoire : suivre si ce ne peut-être lui, une puissance dominante dans sa vision de l’ordonnancement du monde hiérarchique qui lui vient du confucianisme ; assurer ses lignes de communications maritimes – c’est la raison qui le pousse à développer fortement sa marine militaire et à soutenir Taïwan – sans lesquelles son existence même serait compromise ; se positionner face aux menaces dans son environnement proche. En somme, trouver pour chaque élément la bonne distance. Avec le bouleversement des rapports planétaire sur lequel il a au final peu de prise, le Japon est donc particulièrement mal à l’aise et pour tout dire assez impuissant à tenir une ligne véritablement claire.


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