Un grand texte à redécouvrir : le témoignage de Rousseau sur l’oppression des Juifs à la veille de la Révolution

Marianne - News

https://resize.marianne.net/img/var/cenIWiWQhO/ascWmUYAOGDM76awC/ascWmUYAOGDM76awC.jpg









Un grand texte à redécouvrir : le témoignage de Rousseau sur l’oppression des Juifs à la veille de la Révolution





















Portrait de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
Photo12 / Ann Ronan Picture Library via AFP

Billet

Par

Publié le

Notre chroniqueur Henri Pena-Ruiz, auteur du « Dictionnaire amoureux de la laïcité » (Plon) et de « Marx quand même » (Plon), met en lumière un passage d’ « Émile ou De l’Éducation », de Jean-Jacques Rousseau qui réussit à dénoncer d’un même geste l’intolérance religieuse et l’antisémitisme.

À l’opposé des propos antisémites de Voltaire, Jean-Jacques Rousseau a su discerner et rejeter les différentes formes de persécution des juifs à la fin de l’Ancien Régime, en amont de leur libération par la Révolution Française. Sur le plan religieux, il pointe notamment le conflit des « Révélations » propres aux trois monothéismes. À distance de tout privilège identitaire du christianisme catholique, il met en évidence l’intolérance religieuse et sa contradiction avec l’esprit supposé de respect voire d’empathie pour tout être humain inscrit dans les textes sacrés. Il inspire ainsi la Révolution Française de deux manières.

À LIRE AUSSI : Rousseau, le fondateur du monde moderne

La première en fondant la souveraineté populaire sur la volonté générale du peuple qui se donne à lui-même sa propre loi. La seconde en appelant à l’émancipation politique et sociale de toutes les personnes opprimées sous l’Ancien Régime. Dans cet esprit il se fait le défenseur intransigeant, entre autres, du peuple juif. Il le fait au nom des principes généraux qui allaient être consignés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : liberté et égalité.

À LIRE AUSSI : Démocratie, écologie, religion… Jean-Jacques Rousseau vs. Sandrine Rousseau : le match

La conjonction remarquable de ces deux démarches fait de lui le fossoyeur de l’Ancien Régime, et le promoteur d’une nouvelle conception de la nation française, désormais fondée sur les droits humains et non plus sur des particularismes religieux ou coutumiers. Cette refondation a permis l’émancipation des juifs sous l’impulsion de Clermont-Tonnerre et de l’Abbé Grégoire. Lisons l’admirable texte de Jean-Jacques Rousseau. Il vaut témoignage, et charte des libertés.

Rousseau et les juifs

« Nos catholiques font grand bruit de l’autorité de l’Église ; mais que gagnent-ils à cela, s’il leur faut un aussi grand appareil de preuves pour établir cette autorité, qu’aux autres sectes pour établir directement leur doctrine ? L’Église décide que l’Église a droit de décider. Ne voilà-t-il pas une autorité bien prouvée ? Sortez de là, vous rentrez dans toutes nos discussions. Connaissez-vous beaucoup de chrétiens qui aient pris la peine d’examiner avec soin ce que le judaïsme allègue contre eux ? Si quelques-uns en ont vu quelque chose, c’est dans les livres des chrétiens. Bonne manière de s’instruire des raisons de leurs adversaires ! Mais comment faire ? Si quelqu’un osait publier parmi nous des livres où l’on favoriserait ouvertement le judaïsme, nous punirions l’auteur, l’éditeur, le libraire. Cette police est commode et sûre, pour avoir toujours raison. Il y a plaisir à réfuter des gens qui n’osent parler. Ceux d’entre nous qui sont à portée de converser avec des juifs ne sont guère plus avancés. Les malheureux se sentent à notre discrétion ; la tyrannie qu’on exerce envers eux les rend craintifs ; ils savent combien peu l’injustice et la cruauté coûtent à la charité chrétienne : qu’oseront-ils dire sans s’exposer à nous faire crier au blasphème ?

À LIRE AUSSI : De Rousseau à Mélenchon : la gauche et le service militaire, une longue histoire d’amour contrarié

L’avidité nous donne du zèle, et ils sont trop riches pour n’avoir pas tort. Les plus savants, les plus éclairés sont toujours les plus circonspects. Vous convertirez quelque misérable, payé pour calomnier sa secte ; vous ferez parler quelques vils fripiers, qui céderont pour vous flatter ; vous triompherez de leur ignorance ou de leur lâcheté, tandis que leurs docteurs souriront en silence de votre ineptie. Mais croyez-vous que dans des lieux où ils se sentiraient en sûreté l’on eût aussi bon marché d’eux ? En Sorbonne, il est clair comme le jour que les prédictions du Messie se rapportent à Jésus-Christ. Chez les rabbins d’Amsterdam, il est tout aussi clair, qu’elles n’y ont pas le moindre rapport. Je ne croirai jamais avoir bien entendu les raisons des juifs, qu’ils n’aient un État libre, des écoles, des universités, où ils puissent parler, et disputer sans risque. Alors seulement nous pourrons savoir ce qu’ils ont à dire. »

Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l’Éducation (Garnier-Flammarion, Paris 1966, livre IV, p. 397-398).


Nos abonnés aiment

Plus d’Agora

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne

0 0 votes
Article Rating
S’abonner
Notification pour
guest


0 Comments
Le plus populaire
Le plus récent Le plus ancien
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

Welcome Back!

Login to your account below

Create New Account!

Fill the forms below to register

Retrieve your password

Please enter your username or email address to reset your password.

Add New Playlist

Are you sure want to unlock this post?
Unlock left : 0
Are you sure want to cancel subscription?
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x