Au-delà du monde sportif, c’est toute la ville de Lyon qui est en deuil ce mercredi, quelques heures après l’annonce du décès de Bernard Lacombe. À cela une explication: Il incarnait Lyon, “sa” ville au-delà de “son” club, l’OL.
S’il fallait se demander pourquoi toute la ville de Lyon est marquée par la disparition de Bernard Lacombe, Emmanuel Imberton, entrepreneur reconnu entre Rhône et Saône, répondrait simplement: “Parce que c’est un gars de chez nous, un gone, un vrai, avec ses deux autres amis, Serge Chiesa et Fleury Di Nallo.”
Yann Cucherat, ancien gymnaste et adjoint aux sports de l’ancien maire de Lyon Gérard Collomb, prolonge: “C’est incroyable le nombre de messages et d’appels que j’ai eus mardi soir de personnalités de Lyon. Un peu comme s’il fallait qu’on partage ce douloureux moment ensemble et comme si nous avions tous besoin de nous parler.”
Une certaine vision du football
C’est aussi pour beaucoup le début du deuil d’une certaine façon de voir le football, déjà affectée par le départ de Jean-Michel Aulas en 2023 et remplacée par la version US du footbusiness. “Sa disparition affecte aussi pour cela, appuie Emmanuel Imberton. Quand on voit comment le club plonge. Bernard Lacombe, c’était mes jeunes années en tant que supporter du club, puis celles d’acteur de la vie économique quand l’OL régnait sur la France.”
Tout comme la spirale des titres du début du millénaire: “Mon premier souvenir, c’est à Gerland en 1998-99, j’avais six ans. Il était l’entraîneur qui a mené l’OL sur le podium et on connait la suite”, se remémore Pierre Oliver, maire du 2ème arrondissement et fan du club.
À ce voile d’une tristesse palpable qui enveloppe la ville, Bruno Bernard, supporter de l’OL et actuel patron de la Métropole, y voit une autre explication: “Sa longévité dans son club à travers ses deux vies, coupe l’élu. Vous imaginez, il a eu une première vie de footballeur qui a amené une Coupe de France, chez les juniors (Gambardella, en 1971) et chez les adultes (1973). Et ensuite, depuis son retour après la fin de sa carrière à Bordeaux, c’est 31 ans de présence (1988 – 2019). Ça en crée des liens!”
Et des larmes aussi parmi les interlocuteurs de la société civile interrogés par RMC Sport. Aucun ne sort d’une nuit tranquille. “J’ai ressassé tous nos souvenirs, c’est quand même presqu’une vie, 53 ans qu’on se côtoyait, ce n’est pas rien”, explique Gilbert Giorgi, homme d’affaires lyonnais spécialisé dans l’immobilier et ex-membre du conseil d’administration de l’OL. Le “petit maçon” – Bernard Lacombe aimait à donner des surnoms à tout le monde – en a encore la voix qui tremble: “lundi, Jean Michel (Aulas) m’appelle à la mi-journée pour me dire de l’accompagner pour une visite à Bernard. J’en suis ressorti malade, comme quelques jours avant en compagnie de Bafé Gomis et Rémi Garde.”
Il sait alors que c’est la dernière fois qu’il le verra. La fin d’un parcours de plus d’un demi-siècle. “J’en ai vécus des matches à côté de lui en tribune. Je pensais que je m’y connaissais mais avec lui à côté, c’était autre chose, poursuit celui que Bernard appelait aussi ‘multitouches’, Gilbert Giorgi. Et d’ajouter: “Oui, c’était mon autre surnom car quand on jouait au foot, il m’engueulait toujours car je devais toucher le ballon plusieurs fois pour le contrôler vraiment. Lui, voulait que ce soit à une touche.”
Dirigeant et citoyen engagé
Très actif en dehors de sa vie de dirigeant et même au fait de la gloire de l’OL, Bernard Lacombe laisse aussi la trace d’une personnalité qui ne comptait pas ses heures pour les associations d’enfant malades, tel que “Docteur Clown”. “Il m’avait introduit auprès des dirigeants de l’association qui amenait des sourires aux enfants malades au Centre anti-cancer de Léon Bérard, se souvient Yann Cucherat. Il avait cette envie de redonner aux autres, tout ce que le sport, le foot et sa notoriété lui avaient amené. Il a beaucoup insisté et il ne ménageait pas sa peine pour convaincre des sportifs d’autres disciplines.”
L’humeur maussade se ressent encore plus dans le nord de l’agglomération, à Fontaines St Martin, le village de son enfance. Virginie Poulain, la maire, évoque un “homme marquant pour le village”. “Ici, nous sommes plus attachés à l’homme qu’au sportif et sa carrière, rappelle-t-elle. Je suis très émue comme l’ensemble des habitants. C’est difficile d’en parler.” Car ici, tout le monde le connaissait et/ou le fréquentait jusqu’à l’été dernier quand il pouvait encore se déplacer sans soucis. Le boucher lui gardait “son rôti, sa demande pour le dimanche en famille”, quand un autre commerçant loue son amabilité tout en lui reconnaissant un “sacré caractère”.
Mais on pardonne tout à l’enfant du pays qui, apprenti footballeur, avait été pris sous son aile par Charles Frantz, entrepreneur et dirigeant de l’OL: “Je dois avoir une photo de lui en chaudronnier, se souvient Emmanuel Imberton. C’était l’époque où il fallait travailler en parallèle de sa carrière de footballeur.”
Une admiration que le patron de la “Cotonnière lyonnaise”, société spécialisée dans le marquage et de signalétique, prolonge il y a peu en faisant monter les enchères pour la fondation OL. “J’ai acheté, aux enchères, son maillot de l’équipe de France face à la Tchécoslovaquie, confie-t-il. Mon regret, c’est qu’on a toujours repoussé le jour de la dédicace, et elle ne pourra avoir lieu.”
Le mur des Lyonnais fleuri
Une “légende” qui lui vaut dès 1995 sa présence sur le mur des Lyonnais, en bord de Saône à l’entrée de la Presqu’île. Sur cette fresque de 800 m2, d’illustres personnages ayant fait rayonner la ville, d’Antoine de St Exupéry à Marcel Merieux, du physicien Ampère aux frères Lumière, inventeur du cinéma, ou encore de Paul Bocuse. Il en était le seul sportif et le dernier vivant depuis la disparition de Bernard Pivot en mai 2024. Tôt ce mercredi matin, un supporter y a déposé une écharpe et un bouquet de fleurs avec un petit mot: “Un homme de légende, merci Monsieur Lacombe”, signé P2L.
Son aura découle d’une gentillesse “hors pair” d’après Bruno Bernard, et Gilbert Giorgo de poursuivre: “une crème qui lors de nos footings en commun pouvait toucher du doigt car tout le monde l’apostrophait et voulait un autographe”. Mais il savait aussi “piquer”. “Lors d’un match amical avec Charles Bietry dans les buts et Thierry Gilardi en arbitre, il a quitté le terrain, au bout de 10 minutes, se souvient Gilbert Giorgi. Et il lui dit : ‘Tu arbitres aussi mal que tu commentes.'”
Et quand Gilbert Giorgi tente une analyse “technicotactique”, sa réplique fuse: “‘Rappelle-moi dans quel club tu as joué’, me demandait-il, et je lui répondais, ‘un club en haute altitude’. Et on partait en fou rire.”
Les Bad Gones prévoient un hommage
Tous garderont à vie un souvenir ancré en eux. Pêle-mêle, Emmanuel Imberton se rappelle: “Avec ses mimiques et ses mots, il me faisait de grandes tirades sur le moment où il fallait se démarquer. Il fallait que les jambes soient toujours visibles. ‘Si tu veux trouver un mec, il faut regarder ses jambes’. C’est à lui de se démarquer.”
S’il a bien essayé de trouver un défaut à “son” Juninho en posant la question, dérangeante, à “Nanard”: “Pourquoi, il ne tirait pas bien les corners?” Bernard Lacombe lui rétorquait: “Mais non”. Et il tournait la tête.
Bruno Bernard, lui, retient cet instantané, vécu en jeune supporter dans une séance où un certain Mick McCarthy appuie l’un de ses tacles et en se relevant, “écrase” le visage de son adversaire. “Et là, Bernard Lacombe va voir Bruno N’Gotty en lui montrant et en insistant: ‘Tu vois, c’est cela que tu dois faire.'”
Des souvenirs en photos noir et blanc ou en couleurs, suivant la période de suivi de l’OL de Lacombe, les Bad Gones rendront hommage ce jeudi soir à 19h devant les Lions de l’entrée de Gerland.