“Une machine à broyer” : pour les soignants étrangers, le laborieux combat pour la régularisation

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“Une machine à broyer” : pour les soignants étrangers, le laborieux combat pour la régularisation





















Près de 300 praticiens à diplôme hors Union européenne en France (padhue) ont entamé ce mercredi 5 mars une grève de la faim.
Riccardo Milani / Hans Lucas

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Près de 300 praticiens à diplôme hors Union européenne en France (padhue) ont entamé ce mercredi 5 mars une grève de la faim, censée durer trois jours. Manque de postes ouverts, processus de régularisation inadapté, fausses promesses du gouvernement… « Marianne » fait le point sur les raisons de la colère de ces soignants étrangers, dont l’importance au sein du système de santé peine à être reconnue.

Pour les trois prochains jours, ils ont choisi de délaisser leur blouse, stéthoscope et autres matériels de diagnostic médical. Près de 300 praticiens à diplôme hors-Union européenne en France, traditionnellement appelés « padhue » dans le jargon administratif et hospitalier, ont entamé ce mercredi 5 mars une grève de la faim, avant d’organiser une manifestation prévue ce samedi devant le ministère de la Santé.

L’objectif : se mobiliser contre le manque de régularisations leur étant accordées – pourtant promises par l’ancien Premier ministre Gabriel Attal et Emmanuel Macron en janvier 2024 – pour lutter contre les déserts médicaux et limiter les tensions dans le milieu hospitalier. Places limitées, concours inadapté, volte-faces de l’exécutif… Les difficultés rencontrées par ces praticiens étrangers dans leur processus de titularisation sont nombreuses. Ils se sont pourtant rapidement avérés indispensables pour assurer le fonctionnement du système de santé français.

Pourquoi les padhue font-ils grève ?

Les padhue protestent contre la suppression, confirmée en janvier dernier, de 700 postes sur les 4 000 annoncés à l’issue des résultats des épreuves de vérification des connaissances (EVC), constituant le précieux sésame afin d’obtenir une autorisation d’exercice pérenne sur le territoire français. « Il y a eu des candidats qui ont été recalés alors qu’ils ont obtenu plus que la moyenne », a déploré Abdelhalim Bensaïdi, diabétologue à l’hôpital de Nanterre depuis plus de six ans, au micro de France Inter ce mercredi 5 mars. Ce sont ces « reçus-collés » qui font grève aujourd’hui pour dénoncer une « précarité inadmissible » liée à leur statut.

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À poste équivalent, leur salaire, qui tourne autour de 1 500 euros nets hors gardes, est en effet trois fois moins élevé qu’un titulaire français. Et la voie vers leur régularisation, relevant du parcours du combattant, ne fait rien pour leur faciliter la tâche. Avant d’être apte à candidater aux fameuses EVC, les praticiens étrangers doivent obtenir une autorisation temporaire d’exercice, valable 13 mois. Délivrée par l’Agence régionale de santé (ARS), elle suggère que le soignant a exercé au moins trois ans dans son pays d’origine et s’est engagé à passer les épreuves de vérifications à son arrivée en France.

Aux EVC, le praticien se retrouve ensuite en concurrence avec quelque 7 000 autres padhue. À peine la moitié vont finalement être reçus. Rappelons qu’environ 3 228 d’entre eux a pu obtenir un poste à l’issue des résultats publiés en ce début d’année. Pour les plus chanceux, s’en suit un « parcours de consolidation » d’une durée de deux ans à l’issue duquel ils pourront (enfin) être inscrits, après un passage par une commission, à l’Ordre des médecins.

Mais pour ceux qui ont été recalés, retour à la case départ. Jusqu’en 2023, et après l’adoption de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé en 2019, un statut de « praticien associé » leur était accordé afin de sécuriser leur emploi. Mais le texte législatif « visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels », porté par l’ancien ministre de la Santé Frédéric Valletoux et promulgué en décembre 2023, a changé la donne.

« Près de 4 000 padhue qui bénéficiaient jusqu’alors du statut de praticien associé ont été rétrogradés au titre de “faisant fonction d’interne” » (FFI), regrette le docteur Éric Tron de Bouchony, du Collectif Médecins de l’Union fédérale médecins, ingénieurs, cadres, techniciens CGT (UFMICT-CGT). Le salaire brut des FFI est fixé à 1 480 euros par mois.

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Un type de contrat « sous-payé », mais également « illégal » et précaire, qui octroie la liberté aux directeurs d’hôpitaux d’en abuser comme bon leur semble. Sur le papier, ce contrat est censé durer deux ans. Mais dans les faits, « les directeurs en font ce qu’ils veulent. Ils décident de renouveler comme d’éjecter les padhue à leur guise et ces derniers se retrouvent en déshérence complète », dénonce le médecin biologiste. D’autant qu’après deux échecs aux EVC, le candidat malheureux n’a plus la possibilité de passer ces épreuves sur le territoire métropolitain.

« De toute évidence, les EVC sous la forme actuelle ne sont pas le bon outil de recrutement ; elles sont en réalité un moyen de maintenir toute une catégorie de praticiens dans une situation de sujétion, dans des statuts mal rémunérés et précaires », concluent les membres du Collectif Médecins de l’UFMICT-CGT dans un communiqué, consulté par Marianne. De son côté, le docteur Éric Tron de Bouchony dénonce « une machine à broyer qui laisse des milliers de personnes sur le bas-côté ».

Quelles mesures ont été promises (et pas tenues) par le gouvernement ?

Dès janvier 2024, et après quatre années marquées par la crise sanitaire et l’arrivée de médecins étrangers en France pour combler les manques d’effectifs soignants, Emmanuel Macron l’avait reconnu : les padhue « tiennent parfois à bout de bras nos services de soins ». Le chef de l’État avait alors appelé de ses vœux à la « régularisation de nombre [d’entre eux] ». Même refrain lors du discours de politique générale de Gabriel Attal, le 30 janvier 2024, confirmant l’objectif du gouvernement de régulariser les praticiens étrangers actifs dans l’Hexagone.

L’ex-Premier ministre était même allé plus loin, en annonçant l’intention de l’exécutif de nommer un émissaire « chargé d’aller chercher à l’étranger des médecins qui voudraient venir exercer en France ». Un an plus tard, le bilan n’est pas terrible, ledit émissaire n’ayant jamais fait son apparition.

En outre, aucun progrès n’est à constater dans la régularisation des padhue. « La promesse était insincère », constate le docteur Éric Tron de Bouchony, assurant que la loi Valletoux demeure un frein à davantage de titularisations. Car ce texte impose une base d’ouvertures de postes aux padhue correspondant à 20 % d’une promo d’internes.

« La loi n’est pas basée sur les besoins réels du pays en termes d’effectifs, mais sur un chiffre totalement arbitraire. On sait très bien que la totalité des 7 000 padhue qui candidatent chaque année aux EVC seraient utiles, alors qu’il y a toujours entre 20 et 30 % de postes vacants à l’hôpital », s’insurge le membre du Collectif Médecins de l’UFMICT-CGT.

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Plus récemment, l’actuel ministre de la Santé, Yannick Neuder, a promis de réformer et de simplifier le concours dès cette année pour les praticiens étrangers exerçant sur le territoire. Une annonce accueillie avec prudence par les principaux concernés. D’une part, parce que ces derniers continuent de plaider pour une « validation sur dossier ».

D’autre part, Yannick Neuder ne s’est pas toujours montré très enclin à faciliter l’arrivée des soignants étrangers. Interrogé par Le Figaro en février 2024, il partageait ses craintes quant à la régularisation des padhue « qui ont manqué leur EVC », jetant le risque sur la qualité des soins. Il réfutait également l’argument, mis en avant par le président de la République et son Premier ministre de l’époque, d’un remède aux déserts médicaux : « Ces médecins étrangers ont rarement des fonctions de médecins généralistes dans les territoires », martelait alors l’ancien élu.

Que représentent les padhue dans l’effectif total de soignants en France ?

Selon un rapport parlementaire publié en novembre dernier par le député (LFI) Damien Maudet, ces praticiens étrangers proviennent pour la majorité d’Afrique du Nord, avec 36,8 % des padhue inscrits à l’Ordre ayant obtenu leur diplôme en Algérie, 12,4 % en Tunisie et 9 % en Syrie.

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Toujours selon ce même rapport, les médecins ayant obtenu leur diplôme hors Union européenne représentaient, en 2024, 7,5 % des médecins en activité, soit une augmentation de 3,5 points par rapport à 2010. Au 1er janvier 2024, quelque 17 619 padhue exerçaient en France, dont 3 430 médecins généralistes, 1 528 psychiatres et 1 413 anesthésistes-réanimateurs. Ces praticiens sont particulièrement présents dans les hôpitaux d’Île-de-France, qui sont les plus sous tension. Ils représentent ainsi 38 % des soignants franciliens inscrits à l’Ordre des médecins.

Partout en France, et particulièrement depuis la crise sanitaire, ces padhue se sont rapidement avérés indispensables pour le système de santé français. Et, selon le Collectif Médecins de l’UFMICT-CGT, en se bornant à ne régulariser qu’une petite partie des candidats, « ministère, ARS et CNG [centre national de gestion, chargé de recruter les médecins] manquent encore une fois l’occasion de réduire la désertification médicale de nombreuses régions, les effets délétères pour la prise en charge des patients, et des morts évitables ».


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