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Entretien
Propos recueillis par Chloé Sémat
Publié le
Lancée en octobre dernier, la commission d’enquête sur les « violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité » a rendu son rapport, ce mercredi 9 avril. Que faut-il retenir de ce compte rendu ? Est-il à la hauteur des enjeux autour des abus dans le monde de la culture ? « Marianne » s’est entretenu avec le cinéaste et écrivain, Frédéric Sojcher.
« Ce moment est la fin du premier acte, mais ce n’est pas la fin de la pièce. » Après six mois d’auditions et de tables rondes, le député centriste Erwan Balanant a dévoilé, ce mercredi 9 avril, le compte rendu de la commission d’enquête sur les « violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ».
Déclenchement d’une enquête en cas de dépôt de plainte pour violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS), encadrement strict des castings, interdiction de la sexualisation des mineurs à l’écran, augmentation du nombre de coordinateurs d’intimité… Près de 90 propositions figurent dans ce rapport pour tenter d’assainir le monde de la culture, au sein duquel l’élu déplore des violences « systémiques » et « endémiques ».
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Pour Marianne, le cinéaste et auteur d’Anatomie du cinéma (Nouveau monde, 2025), Frédéric Sojcher, revient sur les progrès permis par la commission d’enquête et ses recommandations, notamment sur la « libération de la parole des victimes », l’avancée du débat sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans le cinéma et la protection des mineurs.
Marianne : Estimez-vous que le rapport et ses recommandations rendent suffisamment compte de l’urgence de la situation dans les secteurs visés ?
Frédéric Sojcher : Si on peut améliorer les conditions de tournage et la prise de conscience collective tout en créant un cadre législatif, ça ne peut qu’aller dans le bon sens. En outre, on ne peut que se réjouir de la libération de la parole, non seulement dans le cinéma mais également dans toutes les sphères de pouvoir au sein desquelles il est susceptible d’y avoir des abus. Face à ces derniers, il était évident qu’il fallait réagir. Avec ce rapport, l’objectif est de réduire au maximum toutes ces violences sexistes et sexuelles et de prévoir des sanctions si elles se produisent.
En revanche, à l’issue de cette commission, un débat persiste entre deux logiques auxquelles je souscris entièrement mais qui demeurent difficilement compatibles. D’un côté, pour une victime d’agressions sexuelles ou de viol, il est insupportable de constater que son abuseur ne soit pas poursuivi ou condamné faute de preuves ou d’éléments. C’est une double peine. Comme je l’indique dans un chapitre de mon livre, j’ai moi-même été violé quand j’avais 11 ans par un ami de mon père. J’ai mis trente ans avant de pouvoir en parler et, de fait, je sais à quel point il faut de la force et du courage pour en parler.
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Mais de l’autre côté, si on défend l’Etat de droit, on ne peut pas admettre qu’une personne puisse être condamnée sans preuve. Comment conjuguer ces deux logiques ? Selon moi, il faudrait se battre pour qu’elles puissent coexister, notamment dans le monde de la culture au sein duquel on a constaté de nombreuses dérives.
Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué lors des débats en commission et dans ce rapport ?
Outre le questionnement autour des violences sexistes et sexuelles, plusieurs éléments, concernant le cinéma et le dépassant à la fois, m’ont frappé. A commencer par le fait que la société évolue et qu’il y ait eu un véritable questionnement sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Dans le monde du cinéma, ce débat est particulièrement révélateur parce qu’il existe statistiquement beaucoup plus de cinéastes masculins que féminins. C’est toujours le cas aujourd’hui, dans une moindre mesure, mais c’était prégnant il y a une vingtaine d’années.
Moi-même, quand j’avais 15 ans, j’ai été, comme toute personne de ma génération, bercé par des films réalisés par des hommes. Mais ce n’était pas par choix. De fait, aujourd’hui, il est très important de se battre pour qu’il y ait une diversité dans le cinéma et que celle-ci passe par l’égalité entre les femmes et les hommes.
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En revanche, dans ce débat, le risque serait de confondre le combat fondamental pour faire avancer l’égalité et la question de la politique et de la vision des auteurs et des autrices. Le député Erwan Balanant l’a d’ailleurs affirmé sur France Inter : il ne faut pas que l’exception culturelle française et l’importance du cinéma dans notre pays soit remise en question par les dérives de certaines personnes. Or, j’ai remarqué qu’une telle confusion avait pu apparaître lors des débats en commission. C’est dangereux pour la place spécifique qu’occupe le cinéma en France.
Que retenez-vous des recommandations portant sur la protection des mineurs dans le cinéma ?
La question des castings a été abordée par l’actrice Sarah Forestier, celle-ci ayant réclamé que ces derniers soient davantage encadrés et, a fortiori, lorsqu’ils impliquaient des enfants. Ma fille, aujourd’hui âgée de 21 ans, a participé à de tels castings lorsqu’elle était mineure et affirme avoir ressenti une forme de mépris à l’égard des enfants. Par exemple, elle n’était pas rappelée lorsqu’elle n’était pas prise et on la traitait comme un objet plutôt qu’un sujet.
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J’ai moi-même pu constater des comportements condescendants et démonstratifs d’une sorte de mépris de classe. Plus globalement, il existe une sorte d’entre-soi dans le cinéma qui est insupportable et particulièrement néfaste pour les mineurs qui peuvent être victimes de harcèlement professionnel.
De fait, il faut tout faire pour qu’il y ait un cadre réglementaire et législatif qui limite au maximum ces dérives, particulièrement envers les mineurs qui doivent être protégés. Car, comme l’a affirmé le député Erwan Balanant et comme je l’indique également dans mon livre, « le cinéma est une machine à broyer ».
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne