Christophe Raynaud de Lage
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Par Armelle Héliot
Publié le
Avec « Wonnangatta », que l’on découvre sur la scène des Plateaux Sauvages, à Paris, l’Australien Angus Cerini, auteur très connu dans son pays, compose une pièce d’une haute tenue autour d’un récit palpitant et tendu à souhait.
Sur le plateau de la grande salle des Plateaux Sauvages, à Ménilmontant, à Paris, on devine les silhouettes de deux hommes, debout l’un à côté de l’autre, dans la pénombre. On ne les quittera pas, une heure trente durant, dans l’éprouvant voyage qu’ils entreprennent à la recherche d’un homme qu’ils soupçonnent d’avoir assassiné l’ami de l’un d’entre eux.
La construction de la pièce d’Angus Cerini est audacieuse, tout comme son écriture. Dominique Hollier a traduit Wonnangatta, du nom d’une contrée très reculée du bush. En Australie, le nom de Wonnangata renvoie à un fait divers jamais élucidé qui remonte à l’année 1917. Dans le texte, n’était une allusion furtive aux hommes qui meurent dans les tranchées, rien n’indique clairement une époque.
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Cette « pièce » n’est pas simple à mettre en scène. On a connu il y a deux ans Angus Cerini, acteur, performeur, auteur très célébré dans son pays, par L’Arbre à sang, texte également traduit par Dominique Hollier (qui jouait l’un des rôles) et mis en scène par Tommy Milliot. C’était fort, violent, dans un monde âpre.
Enterré dans le lit d’une rivière
L’argument de Wonnangatta paraît simple : Harry, incarné par Vincent Winterhalter, se rend une fois par mois chez son ami Barclay, éleveur de bétail dans une région montagneuse, très difficilement accessible. Il lui apporte son courrier. Un mois auparavant, déjà, il n’a pas pu voir Barclay. Il revient ce jour-là avec Riggall (Serge Hazanavicius), et découvre le cadavre de Barclay, enterré dans le lit d’une rivière. Persuadé qu’il a été tué par l’employé de ferme récemment engagé, Harry entraîne son camarade dans une longue aventure à cheval. Ils traversent des paysages splendides, plongés dans une nature merveilleuse ou effrayante, avec vent violent, tempête de neige, concert d’oiseaux mais hurlements de chiens sauvages, aussi.
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Comment représenter cette épopée ? Jacques Vincey, l’un des grands metteurs en scène de notre époque, signe un spectacle d’une sévère sobriété. Mouvements des tubes de néon qui éclairent le sombre plateau, jeu de cubes qui transforment l’espace – une scénographie abstraite –, son, musique, tout ici excède les apparences : on croit à tout. Aux chevaux, aux paysages, au chien qui les accompagne.
On écoute ces deux hommes, leurs échanges, les descriptions, le style sec, tranchant et pourtant sensible, imagé de Cerini, si bien traduit par Dominique Hollier. Les interprètes, Serge Hazanavicius qui est celui qui a peur jusqu’à la déraison, et Vincent Winterhalter, celui que le désir de vengeance exalte jusqu’à la folie, sont remarquables. Comme deux musiciens profondément accordés. Une performance rare. Cela change de la médiocrité paresseuse du théâtre ces temps-ci…
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Les Plateaux Sauvages, Paris, du lundi au vendredi à 19 heures, samedi à 16 h 30 et 20 heures. Durée : 1 h 30. Tournée en cours de montage.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne