Zübeyir Aydar, proche d’Abdullah Öcalan : “Si la Turquie fait ce qu’elle a promis, le PKK se désarmera et se dissoudra”

Marianne - News

https://resize.marianne.net/img/var/ce8aaCAc0l/ase5loFmkO5gotzgm/ase5loFmkO5gotzgm.jpg









Zübeyir Aydar, proche d’Abdullah Öcalan : “Si la Turquie fait ce qu’elle a promis, le PKK se désarmera et se dissoudra”




















Zubeyir Aydar, responsable de l’Union des communautés du Kurdistan. (Photo by JOHN THYS / AFP)
AFP

Exclusif

Par

Publié le

Depuis l’appel, le 27 février, du leader kurde Abdullah Öcalan à déposer les armes, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en guerre depuis plus de 40 ans contre l’État turc, souhaite abandonner l’insurrection armée et s’engage dans un processus de paix. Les armes vont-elles se taire en Turquie et au Kurdistan ? Zübeyir Aydar, proche d’Öcalan et responsable de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK, auquel appartient le PKK), a été consulté pendant les négociations. Dans un entretien exclusif, il estime que c’est maintenant à Ankara d’apporter des garanties.

Le jour fera date dans l’histoire de la Turquie. Le 27 février 2025, le fondateur et leader historique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Abdullah Öcalan, incarcéré sur l’île-prison d’Imrali depuis 26 ans, a appelé ses partisans à déposer les armes. Le PKK a annoncé un cessez-le-feu dans la foulée. Ce processus de paix pourrait mettre fin à 40 années de guerre sanglante entre l’État turc et l’organisation séparatiste armée, classée « terroriste » par la Turquie, les États-Unis et l’Union européenne.

À LIRE AUSSI : “La balle est dans le camp de la Turquie” : les Kurdes mettent Erdogan à l’épreuve de la paix

Durant les négociations qui ont précédé cet appel au désarmement, Öcalan a consulté quelques fidèles. Zübeyir Aydar, membre du conseil exécutif de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK, auquel appartient le PKK), en fait partie. Dans un entretien exclusif ce proche d’Abdullah Öcalan raconte comment le dirigeant kurde a mûri sa décision. Il dit ses espoirs de voir l’insurrection se terminer. L’entretien s’est tenu le 10 mars, en kurde, avec l’appui d’une traductrice.

Marianne : Abdullah Öcalan a appelé ce 27 février le PKK à se dissoudre et à déposer les armes. Son appel pourrait mettre fin à 40 ans de guerre. Comment expliquez-vous ce revirement sans précédent ?

Zübeyir Aydar : Le président Öcalan avait déjà lancé par le passé des appels de la même sorte, mais peut-être n’avaient-ils pas eu la même portée. Le PKK a été fondé en période de Guerre froide [en 1978] avec une philosophie marxiste-léniniste. Il était temps de changer de paradigme. Nous en avons parlé plusieurs fois avec Öcalan : que ces pourparlers de paix aboutissent ou non, il fallait une révision, du changement. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas une organisation politique propre aux Kurdes. Mais le PKK a peut-être terminé sa mission.

Pourquoi les conditions semblaient-elles réunies aujourd’hui pour déposer les armes ?

Il y avait eu, dès 1993, des tentatives de pourparlers avec Ankara pour mettre un terme à la lutte armée. Ces discussions avaient été conduites par Jalal Talabani, alors président de l’Union patriotique du Kurdistan [ancien président de la République d’Irak] avec Turgut Özal, alors président de la Turquie. Le mouvement kurde avait déclaré un cessez-le-feu unilatéral. Cela aurait pu réussir et les armes auraient pu se taire. Mais Turgut Özal est décédé de façon suspecte [officiellement de crise cardiaque mais des soupçons d’empoisonnement persistent, N.D.L.R.]. Les discussions ont pris fin. Les deux autres tentatives qui ont eu lieu entre 2006-2011 puis entre 2013 et 2015 ont également échoué.

Depuis sa prison, Öcalan est engagé dans de nouveaux pourparlers depuis plus d’un an. Le PKK a déclaré un cessez-le-feu unilatéral. La balle est dans le camp de l’État turc. La Turquie doit maintenant changer son langage de guerre et mettre fin à ses opérations militaires. Elle doit arrêter les arrestations de maires kurdes, et cesser leur remplacement par des administrateurs turcs.

Il faut également que les Kurdes aient la possibilité de s’organiser politiquement en toute liberté et que les droits des Kurdes sont protégés par la Constitution turque.

Enfin, il faut aussi qu’Öcalan puisse sortir de son isolement carcéral. Il devrait pouvoir librement communiquer avec son parti, les universitaires, les journalistes, les organisations de société civile… Que toutes les entraves soient levées. Sans, nous ne pourrons pas avancer. Si la Turquie fait ce qu’elle a promis de faire, le PKK rassemblera son congrès et poursuivra le processus.

Comment avez-vous pris part aux négociations ces derniers mois entre l’État turc et Abdullah Öcalan, celui-ci vivant dans un isolement quasi-total qui le prive de contacts directs avec ses partisans ?

Toutes les rencontres avec le président Öcalan nous ont été rapportées. Avant sa déclaration du 27 février qui appelle à déposer les armes et la dissolution du PKK, le président Öcalan nous a envoyé un courrier nous demandant notre avis. Nous avons répondu à ce courrier en y mettant notre position : nous étions d’accord pour que l’organisation puisse déposer les armes et se dissoudre, si les conditions juridiques et démocratiques étaient garanties.

Selon nos informations, il y a un consensus au sein de l’État turc, notamment les unités de sécurité, pour que ces pourparlers se tiennent. Au niveau du gouvernement, certains semblent en revanche y adhérer à contrecœur.

À LIRE AUSSI : Rojava : où en est l’utopie du peuple kurde de Syrie ?

Öcalan, qui a plus de 32 ans d’expérience de relations avec la Turquie, connaît très bien les négociations à mener. Il a une feuille de route avec l’État. Nous ne la détenons pas encore. Je ne pourrai pas vous dire à ce stade quel est l’objectif de la Turquie. Mais celui du PKK est d’aller jusqu’au bout. Nous ferons tous les efforts nécessaires.

Le gouvernement turc a-t-il fait des concessions à ce stade ?

Depuis la déclaration d’Öcalan, nous n’avons pas vu de grand changement au niveau de l’État turc, que ce soit au niveau de ses actes que du langage qu’il utilise. Le fait que nous ne voyons pas de changement nous amène, en tant que responsable, à être extrêmement prudents.

Nous allons tout faire pour que la paix puisse gagner, mais les choses doivent avancer des deux côtés. La paix se fait avec les deux parties. Nous sommes deux adversaires qui devons trouver un accord. Il faudra donc qu’ils fassent des concessions. Sans un accord sur les conditions juridiques et la protection des droits des Kurdes par la constitution, le PKK ne se dissoudra pas et ne déposera pas les armes.

Le 9 mars, Devlet Bahceli, le négociateur d’Erdogan, a annoncé qu’il n’y a pas que le PKK qui doit déposer les armes, mais aussi les « groupes affiliés » au PKK. Il vise par ces termes les Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance dominée par les miliciens kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), qui contrôlent le quart nord-est de la Syrie. Les Kurdes de Syrie doivent-ils eux aussi penser à déposer les armes, malgré l’équilibre précaire de la région ?

Nous n’adhérons pas franchement à ces déclarations. Devlet Bahceli est un de ceux qui ont initié ces pourparlers. Ce qu’il dit sur les « groupes affiliés » et sur les garanties démocratiques va à l’encontre de ce qui a été déclaré précédemment. L’appel d’Öcalan est très net : il s’adresse au PKK, pas à d’autres organisations. La question d’autres organisations est hors sujet.

À LIRE AUSSI : “Bachar protégeait la communauté chiite” : ces soutiens de l’ancien régime qui ont fui au Liban par peur des représailles

Et nous voyons ce que subissent depuis quelques jours des groupes non-armés à Lattaquié, qui se sont fait attaquer par des groupes djihadistes. Il serait inconcevable que les Kurdes là-bas déposent les armes.

De plus, les YPG ne sont pas en guerre avec la Turquie. La Turquie a le pouvoir d’amnistier un militant du PKK, qui est un citoyen turc. Mais les YPG peuvent être Syriens, Irakiens, Iraniens… Non seulement la Turquie n’a pas de droits sur eux, mais ces gens-là n’ont pas combattu contre la Turquie. Elle n’a rien à leur demander.

Où se trouvent géographiquement les combattants du PKK aujourd’hui ? Combien sont-ils ?

Je ne peux que vous dire qu’ils sont au Kurdistan, mais je ne peux pas donner de chiffres.

Si ces combattants du PKK devaient aller au bout de l’appel d’Öcalan, comment pourrait concrètement se dérouler le processus de désarmement ?

C’est une question primordiale. Il faut en débattre. Avec un appel, on n’en est pas encore à la conclusion. Il faudra peut-être faire appel à un troisième interlocuteur extérieur, qui puisse régir cela. Nous ne sommes qu’au début de cette discussion.

À LIRE AUSSI : Kurdistan, la terre des guerres

Je voudrais rajouter que nous sommes une organisation âgée de 52 ans et un mouvement de lutte âgé de 41 ans. Nous avons subi des drames épouvantables et payé un lourd tribut parce que la question kurde n’était pas réglée. S’il n’y a pas de solution, tout cela va perdurer. Il faut vraiment que cette tentative aboutisse. La question kurde concerne d’abord la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Nous voulons une solution démocratique et de paix durable. C’est une question de stabilité et de paix au Moyen-Orient, mais cela ne s’arrête pas au Moyen-Orient. Nous attendons de l’État français, de l’Union européenne, de l’ONU qu’ils nous aident à conclure cette tentative de paix pour qu’il y ait une stabilité dans toute la région, car cela vous concerne aussi.


Nos abonnés aiment

Plus de Monde

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne

0 0 votes
Article Rating
S’abonner
Notification pour
guest
0 Comments
Le plus populaire
Le plus récent Le plus ancien
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

Welcome Back!

Login to your account below

Create New Account!

Fill the forms below to register

Retrieve your password

Please enter your username or email address to reset your password.

Add New Playlist

0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x
Are you sure want to unlock this post?
Unlock left : 0
Are you sure want to cancel subscription?